Les dirigeants iraniens de tous les horizons politiques, y compris les partisans de la ligne dure, les «modérés» et les «réformistes», se sont exprimés et sont d'accord sur un point: ils veulent un allégement des sanctions de la part des États-Unis.
Même le Guide suprême, Ali Khamenei, très réservé quant à publiquement faire part de son opinion lorsque l'accord nucléaire du Plan d'action global conjoint (JCPOA) de 2015 a été conclu pour la première fois, s'est montré impatient de voir les sanctions levées. Dans des commentaires diffusés par la télévision d'État ce mois-ci, il déclare qu’il faut veiller à ce que les partis ne fassent pas traîner les négociations car ce serait préjudiciable pour le pays. Il a déclaré auparavant que l’Iran avait récemment posé comme condition impérative pour revenir à ses engagements dans le cadre du JCPOA – dont certains ont été annulés – que les États-Unis lèvent toutes les sanctions.
On comprend pourquoi le chef suprême de l’Iran est très impatient que les sanctions soient levées, car elles ont mis le régime financièrement et politiquement à genoux.
Grâce à l'allégement des sanctions, le régime pourrait pousser un soupir de soulagement, car il serait autorisé à augmenter ses exportations de pétrole, à faire des affaires avec plus de pays et d'entreprises, en particulier des entreprises européennes, et à attirer les investissements étrangers, notamment pour ses projets pétroliers et gaziers.
La question est désormais de savoir ce que les autorités iraniennes feraient de l'augmentation de leurs revenus – potentiellement des milliards de dollars – si les sanctions américaines étaient levées. Tout d’abord, nous devons déterminer qui pourrait être le premier bénéficiaire de l’argent supplémentaire: les entreprises privées, les gens ordinaires, le gouvernement ou d’autres entités.
L’économie iranienne est dirigée par l’État, avec deux entités majeures contrôlant une partie importante de l’économie: le Bureau du Guide suprême dirigé par Ali Khamenei et le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Le groupe d'opposition iranien, le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), a publié en 2017 un livre intitulé La Montée de l'empire financier du Corps des gardiens de la révolution, dans lequel il démontre que le CGRI contrôle plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB) de l'Iran et possède plusieurs grandes entités économiques et des dotations religieuses. Le CGRI et ses sociétés écrans ont un intérêt dans presque tous les secteurs de l’économie iranienne, notamment la construction, les transports, les télécommunications, la banque et l’assurance.
Le chef suprême et le CGRI seraient les premiers bénéficiaires de revenus supplémentaires.
Dr Majid Rafizadeh
L’une des principales organisations d’Ali Khamenei est Ejraiye Farmane Hazrate Emam (Setad), dont on parle rarement. Le groupe Setad vaut au moins 95 milliards de dollars. Près de la moitié de ses avoirs sont investis dans le domaine des entreprises et l'autre moitié dans l'immobilier, principalement par «la saisie systématique de milliers de propriétés appartenant à des Iraniens ordinaires», essentiellement des dissidents et des expatriés étrangers, selon Reuters. Setad a l’avantage de monopoliser certains secteurs, d’exploiter les richesses de la nation et de contourner la loi pour optimiser ses profits. Un tel empire financier confère à Ali Khamenei une influence économique et politique cruciale sur les appareils, les politiciens et l’opposition du régime. Cela lui permet d'élargir son cercle de loyalistes et de mandataires étrangers et de facilement écraser les dissidents.
Le chef suprême et le CGRI seraient par conséquent les premiers bénéficiaires de revenus supplémentaires et il est plus que probable qu’ils utiliseraient ces fonds afin de renforcer leurs propres appareils et garantir la survie du régime. Cela permettrait également à Ali Khamenei et au CGRI de réprimer plus facilement toute contestation de leur assise théocratique.
Maintenant qu'il est clair que les revenus supplémentaires seraient d'abord versés à la trésorerie du CGRI et du chef suprême, l'étape suivante consiste à analyser leurs autres priorités.
La deuxième priorité du régime consiste à exporter ses idéaux révolutionnaires dans d’autres pays, à faire progresser son hégémonie dans la région et à assurer la survie et le renforcement de ses milices et groupes terroristes, qui ont pour mission de promouvoir les intérêts et l’idéologie du régime à travers le Moyen-Orient.
Cela signifie que les acteurs étatiques et non étatiques tels que les Houthis, le Hezbollah, les milices chiites en Irak et la Syrie de Bachar al-Assad seraient les prochains grands bénéficiaires de l’allégement des sanctions. Bien entendu, la corruption étant endémique au sein du gouvernement iranien, certains responsables gouvernementaux bénéficieraient également d’un allégement des sanctions et d’un développement des échanges commerciaux.
On peut également s'attendre à ce que le régime dépense des capitaux pour d’enrichir ses fidèles au niveau national et autonomiser des groupes tels que les Bassidjis afin de détecter et d'écraser la dissidence et tout soulèvement potentiel.
En résumé, les bénéficiaires de l'allégement des sanctions ne seront pas les citoyens ordinaires de l'Iran, mais le CGRI, Ali Khamenei et leur réseau de loyalistes, de milices et de groupes terroristes dans la région.
• Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français