TUNIS : Le mouvement populaire antirégime en Algérie est déterminé à rester dans la rue malgré la « répression » et les « manœuvres de diversion » du régime qui ont convoqué des élections anticipées en juin, a affirmé à l'AFP Karim Tabbou, visage populaire du Hirak.
M. Tabbou, 47 ans, s'est exprimé dans un entretien à l'AFP quelques jours avant son placement en garde à vue et sa libération 24 heures plus tard jeudi sous contrôle judiciaire. Il est accusé par un responsable de l'avoir conspué en public.
Face à la répression, « le Hirak a encore plus de détermination » et « la jeunesse est décidée à arracher son droit à la vie digne », a déclaré ce chef de file de la contestation.
Pour lui, le Hirak, qui rassemble chaque semaine des milliers de manifestants, est désormais « le plus grand parti politique en Algérie. Il a su créer les conditions d'une coexistence, d'une action commune de toutes les tendances qui travaillent pour le changement ».
Né en février 2019 du rejet massif d'un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, ce mouvement inédit, pacifique mais sans véritable leadership, réclame un changement radical du "système" en place depuis l'indépendance en 1962. Il a été suspendu durant la pandémie du coronavirus mais a repris il y a quelques mois.
Karim Tabbou, incarcéré de septembre 2019 à juillet 2020, participe régulièrement aux manifestations hebdomadaires à Alger.
Condamné alors pour « atteinte à l'unité nationale », il savait qu'il ne serait pas à l'abri de nouvelles poursuites judiciaires.
Virulent, il fustige un régime qui « fait appel à un mercenariat médiatique pour faire croire à des risques de retour en arrière, de retour au terrorisme » de la « décennie noire » (1992-2002), arguments déclinés par les médias officiels.
« Pays caserne »
Reste qu'il est reproché au Hirak de ne pas présenter de propositions politiques concrètes ni de programme électoral.
« Le pouvoir se dresse contre toutes les initiatives. Il y a un appareil répressif prêt à toutes les méthodes pour empêcher le changement », répond l'opposant, coordinateur de l'Union démocratique et sociale (UDS), un parti « non agréé » par le pouvoir.
Karim Tabbou se félicite toutefois des réunions de concertation et des débats de la société civile qui s'organisent dans le pays. « Ils n'ont pas abouti à l'annonce d'une initiative acceptée par tous mais on est sur cette voie. »
" »Les autorités n’arrivent plus à concevoir la vie des gens, la vie politique en dehors de la doctrine sécuritaire. On conçoit le pays comme une caserne », dit-il. Le pouvoir est dans une « logique d’infiltration, de contrôle, de surveillance et de répression ».
Selon les organisations algériennes de solidarité avec les détenus d'opinion, quelque 65 personnes sont actuellement derrière les barreau, poursuivies en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles.
« Chantage social »
Confronté à l'impasse politique, conjuguée à un mécontentement social et une crise économique née de la chute de la rente pétrolière et aggravée par la pandémie de coronavirus, le président Abdelmadjid Tebboune a décidé de convoquer des élections législatives anticipées en juin.
M. Tebboune est décidé à imposer sa « feuille de route » électorale sans tenir compte des objectifs de la rue: un Etat de droit, une transition démocratique vers une véritable souveraineté populaire et une justice indépendante.
Pour Karim Tabbou, le pouvoir mène des « opérations de diversion pendant que le peuple est soumis à l'épreuve du chantage social (aides sociales sous conditions, ndlr), de la crise de l'huile, du lait, du pain ».
Les principaux partis de l'opposition laïque ont annoncé leur boycott du scrutin, dénonçant une « mascarade électorale ».
L'UDS de Karim Tabbou, leur emboîte le pas. « Cette élection ne nous concerne pas. »
« Le pouvoir a mobilisé des moyens colossaux pour tenir une fausse élection présidentielle, un faux référendum et va organiser de fausses législatives », affirme-t-il, en référence aux scrutins caractérisés par des taux d'abstention record, de décembre 2019 et novembre 2020.
« Il y a un pouvoir qui organise des élections et il y a un peuple dans la rue. »