MADRID : "Adios" petite banque du coin de la rue. L'Espagne, où les employés de banque étaient autrefois légion, va de nouveau supprimer des milliers de postes et d'agences, un phénomène engagé depuis dix ans et accéléré par la pandémie de Covid-19.
Deux des plus grandes banques du pays ont annoncé cette semaine de vastes plans de départs: environ 8.300 postes -près d'un emploi sur cinq- chez CaixaBank, et 3.800 chez BBVA, soit 16% des effectifs.
Des projets qualifiés de "sauvages" et de "scandaleux" par les grands syndicats UGT et Commissions ouvrières.
A l'automne, le numéro un espagnol, Banco Santander, avait déjà annoncé 3.500 suppressions de postes et Banco Sabadell 1.800.
Toutes mettent en avant les mêmes arguments: dans un contexte de taux d'intérêt bas appelés à durer à cause de la pandémie, il leur faut réduire leurs coûts et supprimer des guichets rendus inutiles par la montée en puissance des services bancaires en ligne.
Les transactions par internet des clients de BBVA en Espagne ont ainsi augmenté de 87% en deux ans, tandis que les transactions en agence ont chuté de 48%, affirme cette banque.
Cette hémorragie de l'emploi bancaire n'est pas nouvelle en Espagne: entre 2008 et 2019, le secteur s'est débarrassé de près de 40% de ses salariés, soit environ 100.000 personnes, après avoir échappé de justesse à l'effondrement lors de la crise financière, qui a débouché sur un sauvetage public massif des banques du pays.
Consolidation
La myriade de caisses d'épargne locales, qui avaient nourri la bulle immobilière des années 2000 en prêtant à tout-va, a été absorbée par les grandes banques, qui ont sabré dans les effectifs au passage.
Résultat: le nombre de banques en Espagne a été divisé par deux en une décennie, selon un rapport de Moody's.
"Le système bancaire espagnol a traversé l'un des processus de consolidation les plus profonds en Europe durant la dernière décennie", souligne l'agence de notation.
Entre 2008 et 2019, l'Espagne est en effet le pays européen qui a le plus supprimé d'agences bancaires (-48%) et d'emplois (-37%), largement au-dessus des niveaux européens (-31% et -19% respectivement).
En France, seuls 9% des agences et 6% des emplois ont été détruits dans le secteur durant la décennie écoulée, toujours selon Moody's.
"Je dis toujours qu'en Espagne, on a deux choses: des bars et des agences bancaires (...) Mais c'est un modèle qui n'est plus rentable. Les gens ne vont plus au guichet, seules les personnes âgées y vont encore", explique Ricardo Zion, professeur de finances à l'EAE Business School.
En 2008, l'Espagne comptait environ 105 agences pour 100.000 habitants, trois fois plus que la moyenne européenne, selon des données de la Banque mondiale compilées par Moody's.
En 2019, il n'en restait plus que 46, un chiffre encore deux fois supérieur à la moyenne européenne.
"Le processus de suppressions d'emploi n'est pas encore terminé", et les fusions non plus, prévoit Robert Tornabell, professeur à l'école de commerce Esade et spécialiste des banques.
Pour rester rentables, "les banques doivent gagner en taille (...) et fermer des agences" en particulier dans les zones rurales dépeuplées, souligne-t-il.
Dans ce contexte déjà difficile, la pandémie de Covid-19 "aggrave le problème", car dans une économie ralentie, les banques gagnent moins d'argent et cherchent de la rentabilité ailleurs, analyse M. Zion.
Dans le cas de CaixaBank, la fusion avec Bankia, officialisée fin mars pour créer un géant bancaire, va provoquer la fermeture de nombreuses agences des deux banques, parfois côte à côte dans une même rue, explique Robert Tornabell.
Pour les salariés, cette nouvelle vague de départs pourrait être plus traumatisante que les précédentes, essentiellement composées de pré-retraites.
CaixaBank a ainsi prévenu que la moitié des postes supprimés concerneraient des moins de 50 ans.
"Ce sera difficile pour ce type de personnes de retrouver du travail", craint M. Zion.
"Ce sont des personnes avec un haut niveau de formation, un capital humain qui doit être préservé le plus possible", a souligné jeudi la ministre socialiste de l'Economie Nadia Calviño, se disant par ailleurs "préoccupée par les hauts salaires et bonus des hauts dirigeants des banques" dans ce contexte de coupes sombres dans leurs effectifs.