Mort de Déby au Tchad: des conséquences régionales floues mais qui inquiètent

Le général tchadien Mahamat Idriss Deby (C) près de Tessalit. Les troupes françaises et tchadiennes engagées dans l'AFISMA, la mission africaine de plus de 6 000 soldats, continuent de combattre les islamistes retranchés dans les montagnes des Ifoghas au nord-est du pays et dans le désert autour de Gao.  (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
Le général tchadien Mahamat Idriss Deby (C) près de Tessalit. Les troupes françaises et tchadiennes engagées dans l'AFISMA, la mission africaine de plus de 6 000 soldats, continuent de combattre les islamistes retranchés dans les montagnes des Ifoghas au nord-est du pays et dans le désert autour de Gao. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
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Publié le Jeudi 22 avril 2021

Mort de Déby au Tchad: des conséquences régionales floues mais qui inquiètent

  • Au pouvoir durant trente ans, le leader tchadien était devenu au fil du temps un pion essentiel sur l'échiquier africain
  • Il intervenait, personnellement ou par son armée jugée l'une des plus aguerries du continent, dans les conflits voisins

BAMAKO : Interventions militaires et stabilité en question: après la mort d'Idriss Déby Itno, influent président du Tchad, analystes et acteurs des conflits voisins s'inquiètent des conséquences du changement de leadership dans ce pays pivot entre Sahel, Afrique centrale et méditérannéenne.

Déby avait un "poids incontestable" au Sahel, dit à l'AFP Moussa Ag Acharatoumane, chef d'un groupe armé actif dans le nord du Mali en conflit, qui s'inquiète: "il y a eu la mort de Kadhafi et ses conséquences (arrivée massive au Sahel d'armes et de combattants quand la Libye s'est effondrée, ndlr)... il faut espérer que cela ne se passe pas comme cela au Tchad!"

Au pouvoir durant trente ans, le leader tchadien était devenu au fil du temps un pion essentiel sur l'échiquier africain. Il intervenait, personnellement ou par son armée jugée l'une des plus aguerries du continent, dans les conflits voisins.

L'avenir de cette armée, au coeur du système politique tchadien et désormais au pouvoir par l'entreprise d'un Conseil militaire de transition (CMT), est au centre des préoccupations. Sa stabilité "sera le point le plus important", pense Moussa Ag Acharatoumane, pour que l'équilibre précaire de l'îlot tchadien dans une région troublée soit maintenu.

Au Sahel comme en Afrique centrale, le Tchad et son armée font en effet figure de pilier sur lequel s'appuient partenaires et Etats. 

"Relâchement dans la lutte"

"Quand Boko Haram (groupe jihadiste présent au Tchad, au Niger et au Cameroun, ndlr) devenait assez nuisible, le président Déby prenait sur lui d'aller au front", rappelle Sévérin Tchokonté, universitaire camerounais, pour qui sa disparition sera inéluctablement symbole de "relâchement dans la lutte".

Quand la menace est intérieure, N'Djamena n'a également jamais caché que les déploiements étrangers passaient au second plan. Début 2020, Déby avait fait rebrousser chemin à ses 1.200 soldats en cours de déploiement sous mandat de la force sous-régionale antijihadiste du G5 Sahel, pour faire face à une attaque jihadiste sur le Lac Tchad.

Ils sont finalement arrivés au Niger un an plus tard. 1.400 autres Tchadiens sont déployés au sein de la mission de l'ONU au Mali, la Minusma. Quel avenir pour ces soldats en mission tandis que l'avenir politique tchadien se dessine en pointillés?

Des bruits de bottes, non confirmés par N'Djamena, ont été entendus dans la zone dite des trois frontières entre Mali, Niger et Burkina Faso. Plusieurs sources ont affirmé à l'AFP que les Tchadiens de la Force conjointe seraient sur le départ, deux mois à peine après leur arrivée sur zone.

Qu'ils rentrent ou non, "l'effort récent de +sahélisation+ du contre-terrorisme" insufflé par la France (présente au Sahel avec 5.100 soldats et qui veut y réduire son empreinte), "vient de prendre un coup dans l'aile", dit Yvan Guichaoua, chercheur à l'Université de Kent.

Le Tchad continuera-t-il ainsi d'envoyer ses hommes traquer les fantassins de Boko Haram dans le nord du Nigeria, les jihadistes de l'organisation Etat islamique (EI) au Sahel, ou bien sécuriser avec le casque onusien sur la tête des camps retranchés sur la frontière Mali-Algérie?

A Bamako, un observateur du conflit sahélien s'interroge: "le Tchad était un verrou sécuritaire --rouillé, mais quand même--, va-t-il le rester?"

"Profonde préoccupation"

L'autre conséquence, indirecte, concerne le sud de la Libye, grand voisin du nord du Tchad d'où est partie la rebellion qui a abouti à la mort du président Déby: s'il devient théâtre d'un "débordement des rivalités tchadiennes ou d'une recrudescence" du groupe Etat islamique, prévient le chercheur Jalel Harchaoui, "personne n'ira (le) sécuriser".

La région, vaste zone désertique de non-droit où ont proliféré groupes armés, trafiquants et jihadistes, est un refuge des rebelles tchadiens. Ceux-là, qui ont déjà par le passé tenté de marcher sur N'Djamena, pourraient profiter du moment pour reprendre du service, disent les experts. Certains ont déjà proclamé leur soutien à la rebellion du moment.

La crainte de retombées néfastes se ressent aussi à l'est, au Soudan, où les autorités ont exprimé leur "profonde préoccupation" vis-à-vis de la situation au Tchad. 

N'Djamena et Khartoum entretiennent depuis des décennies des relations en dents de scie, et la frontière tchado-soudanaise a souvent été un territoire de conflits.

La mort de Déby pourrait enfin avoir un impact au sud du Tchad, en Centrafrique, également en conflit. L'armée et ses supplétifs russes combattent sur une large partie du territoire des groupes armés sur lesquels, pour certains, plane l'ombre tutélaire du dirigeant tchadien décédé.

Le président, lui-même ancien chef rebelle réputé inquiet de la porosité de ses frontières, cultivait des accointances avec certains chefs de groupes armés dans le nord de la RCA. Des mercenaires tchadiens sont également largement présents dans les milices centrafricaines.

Déby "faisait la pluie et le beau temps" sur certaines milices, souligne un diplomate ouest-africain anciennement basé à Bangui.

La France "préoccupée" pour la stabilité du Tchad

La France est "préoccupée" pour la stabilité du Tchad après la mort du président Idriss Déby Itno mais "ne croit pas" à un retrait des troupes tchadiennes engagées dans les pays voisins pour la sécurité du Sahel, a déclaré jeudi le chef de la diplomatie française.

"Elle (la situation) me préoccupe. Il faut être très vigilant sur la stabilité de la situation. Est-ce que le Conseil militaire de transition va assurer la stabilité, l'intégrité du Tchad ?", s'est interrogé Jean-Yves Le Drian sur la chaîne France 2.

"Et puis ensuite comment il va pouvoir mettre en ouvre un processus démocratique et comment par ailleurs l'armée tchadienne va remplir ses engagements à l'égard de la Force conjointe du Sahel", a ajouté le ministre, dont le pays est lui-même très engagé au Sahel avec la force antijihadiste Barkhane, qui compte plus de 5.000 hommes.

Interrogé sur un possible retrait de troupes tchadiennes, notamment de la région dite des "trois frontières" entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, il a répondu : "Je ne l'imagine pas (...) Je ne crois pas que le Conseil militaire de transtion va revenir sur ces engagements".

"Les chefs d'Etat du Sahel sont interrogatifs mais en même temps il y a des accords politiques qui ont été passés entre les cinq pays (de la région) pour assurer leur sécurité mutuelle, y compris par la présence de forces tchadiennes au Niger dans ce qu'on appelle les Trois frontières", a souligné Jean-Yves Le Drian.

"La tâche (du Conseil militaire de transition) sera d'assurer la stabilité du pays et de mettre en œuvre un processus démocratique qui devra être le plus rapide possible", a-t-il réitéré. "C'est aussi la position des chefs d'Etat africains", a-t-il noté.

Jean-Yves Le Drian a par ailleurs justifié la mise en place d'une transition militaire, confiée au fils du président défunt, Mahamat Idriss Déby, en relevant que le président de l'Assemblée nationale avait renoncé à assurer l'interim pour des raisons sécuritaires.

"Logiquement ce devrait être le président de l'Assemblée nationale tchadienne, M. (Haroun) Kabadi, qui devrait prendre la transition. Mais il a refusé en raison des situations exceptionnelles de sécurité et nécessité d'assurer la stabilité de ce pays", a fait observer le chef de la diplomatie française.

"Il a dit moi je veux que ce soit un conseil militaire qui assure aujourd'hui la sécurité du pays mais il faut que la transition puisse s'engager de manière sereine, démocratique, transparente et rapide", a ajouté Jean-Yves Le Drian.

Le Conseil militaire de transition (CMT) est composé de 15 généraux connus pour être dans le cercle des plus fidèles du défunt chef de l’État. Ce CMT a assuré que de nouvelles institutions verraient le jour après des élections "libres et démocratiques" dans un an et demi.


Selon une source ukrainienne , Zelensky ne serait pas prêt à signer un accord sur les minerais avec Washington

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Photo AFP )
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Photo AFP )
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'est « pas prêt » à signer un accord avec les États-Unis qui leur offrirait un accès préférentiel aux minerais du pays, a affirmé samedi à l'AFP une source ukrainienne proche du dossier, alors que les deux pays sont en pleines tensions.

Donald Trump réclame depuis plusieurs semaines l'équivalent de 500 milliards de dollars de terres rares, en guise de dédommagement, selon lui, du soutien américain à Kiev face à l'invasion russe, une condition qu'Ukraine ne peut accepter pour l'instant.

« Le président ukrainien n'est pas prêt à accepter le projet dans sa forme actuelle. Nous essayons toujours de faire des changements de manière constructive », a expliqué cette source ukrainienne qui a requis l'anonymat.

« Ils veulent nous soutirer 500 milliards de dollars », a-t-elle accusé.

« Quel genre de partenariat est-ce là ? (...) Et pourquoi devons-nous donner 500 milliards, il n'y a pas de réponse », a-t-elle encore dit, affirmant que Kiev avait « proposé des amendements. Ils ont été soumis ».

Depuis l'appel entre Donald Trump et Vladimir Poutine le 12 février, Moscou et Washington ont exprimé leur volonté de repartir sur de nouvelles bases, et le président américain a complètement renversé la position de son pays concernant la guerre en Ukraine, en reprenant la rhétorique du Kremlin sur la responsabilité de Kiev.

Le 24 février 2022, l'Ukraine a été envahie par la Russie, le Kremlin affirmant agir pour protéger le pays contre la menace de l'OTAN et empêcher un élargissement de l'organisation.

Donald Trump souhaite négocier un accord avec l'Ukraine afin d'obtenir un accès à 50 % de ses minerais stratégiques, en guise de compensation pour l'aide militaire et économique déjà fournie à Kiev.

Le conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, Mike Waltz, s'est montré très pressant vendredi.

« Le président Zelensky va signer cet accord, et vous le verrez à très court terme, et c'est bon pour l'Ukraine », a-t-il insisté lors d'un rassemblement de conservateurs près de Washington.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rejeté avec vigueur la première proposition américaine d'accord, arguant qu'il ne pouvait « pas vendre » son pays.

Il a toutefois laissé la porte ouverte à des « investissements » américains en échange de telles garanties.

De son côté, Donald Trump affirme que les États-Unis ont dépensé 350 milliards de dollars pour s'engager dans une guerre qui ne pouvait pas être gagnée. Or, selon l'institut économique IfW Kiel, l'aide américaine globale à l'Ukraine, financière, humanitaire et militaire, a atteint 114,2 milliards d'euros (près de 120 milliards de dollars au cours actuel) entre début 2022 et fin 2024, dont 64 milliards d'euros en assistance militaire.

Le 1er février, M. Zelensky a assuré que l'Ukraine n'avait reçu à ce stade que 75 des 177 milliards de dollars d'aide votée par le Congrès américain.


Les États-Unis proposent à l'ONU une résolution pour « une fin rapide » du conflit en Ukraine

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (G) accueille l'envoyé américain Keith Kellogg dans ses bureaux à Kiev le 20 février 2025, dans le contexte de l'invasion russe de l'Ukraine.  (Photo par Sergei SUPINSKY / AFP)
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (G) accueille l'envoyé américain Keith Kellogg dans ses bureaux à Kiev le 20 février 2025, dans le contexte de l'invasion russe de l'Ukraine. (Photo par Sergei SUPINSKY / AFP)
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  • Les États-Unis ont proposé un projet de résolution à l'Assemblée générale de l'ONU qui ne mentionne pas le respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
  • Le texte proposé par les États-Unis ne condamne pas l'agression russe ni ne fait référence explicite à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ce qui ressemble à une trahison de la part de Kiev et à un coup bas contre l'UE.

NATIONS-UNIES : Les États-Unis ont proposé un projet de résolution à l'Assemblée générale de l'ONU qui ne mentionne pas le respect de l'intégrité territoriale du pays, après une nouvelle attaque du président américain Donald Trump contre son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky.

Dans un communiqué, le secrétaire d'État américain, Marco Rubio, a exhorté les pays membres de l'ONU à approuver cette nouvelle résolution « simple » et « historique », et « tous les États membres à la soutenir, afin de tracer un chemin vers la paix ».

« Cette résolution est une bonne idée », a rapidement commenté l'ambassadeur russe à l'ONU, Vassili Nebenzia, déplorant toutefois l'absence de référence « aux racines » du conflit.

Les Européens, désarçonnés par l'ouverture du dialogue américano-russe sur l'Ukraine, n'avaient pas réagi samedi matin à la proposition américaine.

« Nous n'avons pas de commentaire pour l'instant », a simplement indiqué l'ambassadeur français à l'ONU Nicolas de Rivière, alors que l'Assemblée générale doit se réunir lundi.

Le texte proposé par les États-Unis ne condamne pas l'agression russe ni ne fait référence explicite à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ce qui ressemble à une trahison de la part de Kiev et à un coup bas contre l'UE, mais aussi à un mépris pour les principes fondamentaux du droit international », a déclaré à l'AFP Richard Gowan, de l'International Crisis Group.

L'Assemblée générale de l'ONU se réunit lundi pour marquer le troisième anniversaire de l'invasion russe de l'Ukraine.

À cette occasion, l'Ukraine et les Européens ont préparé un projet de résolution qui souligne la nécessité de « redoubler » d'efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre « cette année », et prend note des initiatives de plusieurs États membres ayant présenté « leur vision pour un accord de paix complet et durable ».

Le texte réitère également les précédentes demandes de l'Assemblée générale, appelant à un retrait immédiat et inconditionnel des troupes russes d'Ukraine ainsi qu'à la cessation des attaques de la Russie contre l'Ukraine.

Ces précédents votes avaient rassemblé plus de 140 voix sur les 193 États membres.

Les nouvelles salves de M. Trump contre M. Zelensky interviennent alors que la visite de l'émissaire du président américain, Keith Kellogg, semblait avoir apaisé la situation. Ces nouvelles attaques de M. Trump contre M. Zelensky font suite à des premières invectives virulentes plus tôt dans la semaine, qui avaient suscité une vive réaction de la part de Kiev et la stupéfaction de ses alliés européens.

M. Zelensky avait déclaré avoir eu des échanges « productifs » avec M. Kellogg, et ce dernier l'avait qualifié de « dirigeant courageux et assiégé d'une nation en guerre ».

Vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a réaffirmé que le président Vladimir Poutine était « ouvert » à des pourparlers de paix.

La Russie exige notamment que l'Ukraine lui cède quatre régions ukrainiennes, en plus de la Crimée qu'elle a annexée en 2014, et qu'elle n'adhère jamais à l'Otan. Des conditions jugées inacceptables par les autorités ukrainiennes qui demandent à leurs alliés des garanties de sécurité solides.

M. Trump et ses collaborateurs ont jugé « irréaliste » l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan et son ambition de reprendre ses territoires perdus à la Russie.

Sur le terrain, la situation reste difficile pour les troupes ukrainiennes. L'armée russe a revendiqué vendredi la prise de deux localités dans l'est de l'Ukraine.


60 ans après, l'assassinat de Malcolm X continue de secouer l'Amérique

L'avocat Ben Crump (à droite) et la fille de Malcolm X, Ilyasah Shabazz, s'adressent à la presse pour demander la déclassification des documents du pasteur musulman afro-américain et militant des droits de l'homme Malcolm X, à l'occasion du 60e anniversaire de son assassinat, à Harlem, dans l'État de New York, le 21 février 2025. La conférence de presse s'est tenue au Malcolm X and Dr Betty Shabazz Memorial and Educational Center, dans la salle de bal où Malcolm X a été assassiné le 21 février 1965. (Photo de CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
L'avocat Ben Crump (à droite) et la fille de Malcolm X, Ilyasah Shabazz, s'adressent à la presse pour demander la déclassification des documents du pasteur musulman afro-américain et militant des droits de l'homme Malcolm X, à l'occasion du 60e anniversaire de son assassinat, à Harlem, dans l'État de New York, le 21 février 2025. La conférence de presse s'est tenue au Malcolm X and Dr Betty Shabazz Memorial and Educational Center, dans la salle de bal où Malcolm X a été assassiné le 21 février 1965. (Photo de CHARLY TRIBALLEAU / AFP)
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  • Six décennies jour pour jour après sa mort, un hommage est rendu vendredi à la figure de proue du mouvement « Black Power », notamment pour son héritage en matière de « justice sociale ».
  • « Nous espérons que la vérité tant attendue éclatera, après 60 ans d'attente, et que ce qui s'est passé sera documenté », explique à l'AFP Ilyasah Shabazz, la fille de Malcolm X.

NEW-YORK : Six décennies jour pour jour après sa mort, un hommage est rendu vendredi à la figure de proue du mouvement « Black Power », notamment pour son héritage en matière de « justice sociale ». C'est ce que rappelle le Shabazz Center, le mémorial et centre éducatif installé dans l'ancienne salle de bal de Harlem où il a été abattu à 39 ans, au faîte de son influence, et ce quelques mois seulement après l'abolition de la ségrégation raciale.

Qui a commandité le meurtre ? Comment le drame a-t-il pu survenir en pleine réunion publique, alors que les menaces pesant sur le militant, porte-voix de la « Nation of Islam » puis de l'abolition des discriminations, étaient connues des autorités ?

Pour obtenir des réponses, sa famille a engagé en novembre 2024 des poursuites au civil spectaculaires, réclamant 100 millions de dollars aux forces de l'ordre et aux agences fédérales qu'elle accuse, selon elle, d'avoir joué un rôle à divers degrés dans son assassinat.

Dans ce dossier qui doit entrer dans le vif du sujet début mars devant un tribunal de Manhattan, la famille assure disposer d'éléments nouveaux lui permettant d'assigner en justice la police de New York (NYPD), le FBI ou encore la CIA.

« Nous espérons que la vérité tant attendue éclatera, après 60 ans d'attente, et que ce qui s'est passé sera documenté », explique à l'AFP Ilyasah Shabazz, la fille de Malcolm X.

- « Qui a donné l'ordre ? » -

Selon l'assignation en justice, la famille du leader afro-américain, également connu sous le nom d'El-Hajj Malik El-Shabazz, estime que les forces de l'ordre et les services de renseignement américains ont sciemment désengagé les policiers dont la mission était de le protéger la nuit du drame.

Des agents en civil ne sont pas non plus intervenus au moment des faits et, depuis sa mort, les agences de renseignement s'emploieraient à dissimuler leurs agissements, selon la plainte.

Contactée par l'AFP, la police de New York n'a pas souhaité s'exprimer pour l'instant.

« Cette dissimulation a duré des décennies, privant la famille Shabazz de la vérité et de leur droit à obtenir justice », estime auprès de l'AFP Me Ben Crump, qui défend le dossier pour les filles de Malcolm X.

« Nous écrivons l'histoire en nous dressant ici face à ces torts et en demandant des comptes devant les tribunaux », se félicite le conseil, qui a demandé vendredi la « déclassification de documents » liés à ce dossier.

L'affaire avait déjà rebondi en 2021, lorsque deux des trois anciens hommes reconnus coupables de l'assassinat et ayant passé plus de vingt ans derrière les barreaux ont finalement été innocentés, ce qui constitue l'une des plus grandes erreurs judiciaires des États-Unis. En réparation, les deux Afro-Américains ont touché 36 millions de dollars de la part de la ville et de l'État de New York.

« On sait déjà assez précisément comment l'assassinat de Malcolm X s'est déroulé. On sait qui en est responsable : cinq membres de la Nation of Islam. La seule chose qu'on ignore, c'est qui a donné l'ordre », observe Abdur-Rahman Muhammad, historien et spécialiste reconnu du dossier, dont les travaux pendant des décennies ont contribué à disculper les deux accusés à tort.

Selon lui, les éléments mis en avant aujourd'hui par la famille de Malcolm X sont « peu crédibles ».

Il concède toutefois que « si la plainte permet de déterminer qui a donné l'ordre final, alors elle aura de la valeur ».

Cet énième rebondissement aura au moins permis de remettre en avant « l'héritage » de Malcolm X, plus important que jamais sous le second mandat de Donald Trump, « ennemi implacable » de la communauté noire, affirme l'historien.

« Cela va inciter les Afro-Américains à se serrer les coudes », anticipe Abdur-Rahman Muhammad. « En résumé, la communauté noire doit revenir au message de Malcolm : lutter. »