LA HAYE: Les pays occidentaux ont sommé mardi l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) de frapper la Syrie de sanctions sans précédent pour son utilisation présumée d'armes chimiques et pour n'avoir pas déclaré tout son stock.
Accusé d'attaques en 2017 contre le village de Latamné, Damas se voit menacé de perdre ses « droits et privilèges », dont son droit de vote, au sein de l'organisation, une mesure inédite dans l'histoire de l'OIAC basée à La Haye et fondée voilà près d'un quart de siècle.
Les 193 Etats membres de l'organisation devraient voter mercredi sur une proposition en ce sens de la France, soutenue par 46 pays.
Selon le régime syrien, qui a toujours nié toute implication, les attaques chimiques ont été mises en scène. Damas et son allié Moscou accusent les puissances occidentales de mener, à travers l'OIAC, une campagne « politisée ».
« Nous ne pouvons laisser cette tragédie perdurer une décennie de plus », a déclaré à l'OIAC l'ambassadeur français Luis Vassy. « Nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle, qui exige que nous prenions des mesures en conséquence ».
La Syrie se voit reprocher d'avoir laissé sans réponses des interrogations de l'OIAC après la publication l'année dernière d'une enquête de l'instance attestant que le régime syrien avait utilisé du sarin et du chlore lors de trois attaques en mars 2017 sur le village de Latamné tenu par des rebelles.
Damas n'a ensuite pas respecté le délai de 90 jours établi par l'OIAC pour déclarer les armes utilisées et révéler ses stocks restants.
« Le refus de la Syrie de fournir fidèlement les informations demandées ne peut et ne doit pas rester sans réponse », a déclaré l'Union européenne dans une déclaration commune à l'ONU la semaine dernière. « Il appartient maintenant à la communauté internationale de prendre les mesures appropriées ».
Explications « insuffisantes »
La pression est montée d'un cran la semaine dernière après la publication d'un deuxième rapport de l'OIAC incriminant Damas, cette fois-ci pour une attaque au chlore dans la ville de Saraqeb en 2018.
Le directeur général de l'OIAC, Fernando Arias, a déclaré mardi que les réponses de la Syrie aux questions sur ses armes chimiques ne pouvaient toujours pas « être considérées comme précises et complètes » malgré des années d'inspections.
Selon le dernier exemple en date, l'OIAC a ouvert une nouvelle enquête après des explications « insuffisantes » fournies par la Syrie après la découverte de produits chimiques en septembre 2020 sur un site où elle avait nié produire des armes chimiques.
Selon l'ONU, Damas n'a toujours pas répondu à 19 questions posées depuis des années sur des installations qui auraient pu être utilisées dans la production ou le stockage d'armes chimiques.
La Syrie a qualifié d'« arrogante » la déclaration française, comparant la situation aux fausses allégations sur la présence d'armes de destruction massive en Irak avant l'invasion conduite par les Etats-Unis en 2003.
« Nous démentons avoir jamais utilisé des gaz toxiques », a déclaré l'ambassadrice syrienne à l'OIAC Rania Al Rifai. « Je vous demande de voter non, pour rejeter cet agenda hostile à la Syrie ».
La Russie a également rejeté la proposition. « C'est très grave. Nous n'avons jamais eu ce genre de cas auparavant où un Etat membre soit privé de ses droits et privilèges », a déclaré l'ambassadeur russe Alexandre Choulguine.
« Ne vous laissez pas duper », a toutefois insisté l'ambassadeur français, soulignant que la proposition « ne vise pas à exclure la Syrie des enceintes de l'OIAC » et qu'elle « pourra continuer à s'y exprimer, conformément aux règles de procédures appropriées ».
En 2018, une majorité des Etats membres de l'OIAC avaient voté en faveur du renforcement de ses pouvoirs, l'autorisant à désigner l'auteur d'une attaque chimique et non plus seulement à documenter l'utilisation d'une telle arme.
La Syrie et la Russie - elle-même sous pression à l'OIAC suite à l'empoisonnement d'Alexeï Navalny - ont toujours été contre ces nouveaux pouvoirs.
Damas affirme avoir remis tous ses stocks d'armes chimiques sous supervision internationale aux termes d'un accord conclu en 2013, lorsque la Syrie a rejoint l'OIAC, après une attaque présumée au sarin, un agent neurotoxique, qui a tué 1.400 personnes dans la banlieue de Damas.
L'OIAC, prix Nobel de la paix en 2013, sert parallèlement d'arène aux tensions croissantes entre la Russie et les Occidentaux. En 2018, les Pays-Bas ont expulsé quatre agents russes qui préparaient une cyberattaque visant l'OIAC.