MOSCOU: Les alliés du principal détracteur du Kremlin, Alexeï Navalny, malade et en grève de la faim dans son pénitencier, ont appelé dimanche les Russes à manifester le 21 avril pour « sauver la vie » de l'opposant, tandis que les capitales occidentales exigeaient qu'il soit correctement soigné.
La libération de cet infatigable militant anticorruption de 44 ans a été exigée par les Européens comme par les Américains. La Maison Blanche a menacé dimanche la Russie de « conséquences » en cas de décès d'Alexeï Navalny. La France s'est dite « extrêmement préoccupée » tandis que Berlin demandait d'« urgence » un traitement médical « adéquat ».
Les chefs de la diplomatie de l'Union européenne discuteront du cas de M. Navalny lundi, selon le ministre allemand des affaires étrangères Heiko Maas.
Les alliés de M. Navalny ont appelé les Russes à sortir dans la rue mercredi à 19H00 (16H00 GMT) pour ce qu'ils espèrent être « la plus grande manifestation de l'histoire moderne » de la Russie.
« Il n'y a plus le temps - il est temps d'agir. Il ne s'agit plus seulement de la liberté de Navalny, mais de sa vie. En ce moment, il est en train d'être tué en colonie pénitentiaire, et on ne peut plus attendre », a écrit sur Facebook le bras droit de l'opposant, Léonid Volkov.
Cette manifestation est organisée le même jour que le discours annuel du président Vladimir Poutine devant les deux chambres du Parlement, lors duquel il évoquera les « objectifs » pour développer la Russie et les élections législatives de l'automne prochain.
« Appelez tous vos amis et sortez sur les places centrales. Rendez-vous dans la plus grande ville dans laquelle vous pouvez vous retrouver mercredi soir », a poursuivi M. Volkov, appelant les Russes à participer à la « bataille finale » entre « le bien » et « le mal absolu ».
« Poutine interdit explicitement toute activité d'opposition en Russie. Cela signifie que ce rassemblement pourrait devenir le dernier du pays pour les années à venir. Mais il est en notre pouvoir de changer cela », a-t-il ajouté, appelant ses compatriotes à « ne plus avoir peur ».
Un site internet créé par l'opposition quelques semaines plus tôt pour enregistrer les Russes désireux de manifester affichait près de 460 000 personnes dimanche.
Etat « critique »
Des médecins proches d'Alexeï Navalny ont dit samedi craindre qu'il ne fasse un arrêt cardiaque « d'une minute à l'autre » en raison d'un niveau « critique » de concentration de potassium dans le sang. Ils ont appelé dans une lettre adressée à l'administration du camp de Pokrov, où il est incarcéré, à le placer immédiatement en soins intensifs.
Alexeï Navalny a arrêté de s'alimenter le 31 mars pour protester contre ses mauvaises conditions de détention, accusant l'administration pénitentiaire de lui refuser l'accès à un médecin et des médicaments alors qu'il souffre d'une double hernie discale selon ses avocats.
Revenu en janvier après cinq mois de convalescence en Allemagne, à la suite d'un empoisonnement dont il accuse le Kremlin, l'opposant avait été immédiatement arrêté et condamné à deux ans et demi de prison dans une ancienne affaire de fraude qu'il dénonce comme politique.
Il est incarcéré dans le camp de Pokrov, à 100 kilomètres à l'est de Moscou, réputé comme l'un des plus durs de Russie.
Sa femme Ioulia, qui lui a rendu visite en début de semaine, a affirmé qu'il pesait désormais 76 kg, soit neuf de moins qu'au début de sa grève de la faim.
Plus de 70 personnalités dont les acteurs Jude Law, Vanessa Redgrave et Benedict Cumberbatch, les écrivains Svetlana Alexievitch, Salman Rushdie, Orhan Pamuk et l'illustrateur Art Spiegelman ont appelé vendredi à fournir à Alexeï Navalny les soins nécessaires.
Les Américains et Européens avaient sanctionné la Russie pour l'empoisonnement de M. Navalny en août dernier.
Le Parquet russe a pour sa part demandé vendredi que plusieurs organisations liées à M. Navalny soient déclarées « extrémistes » et donc interdites en Russie. Une telle mesure ferait encourir de lourdes peines de prison aux collaborateurs de l'opposant et à ses soutiens.
Fin janvier et début février, plusieurs manifestations de soutien à M. Navalny ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes en Russie. Elles avaient été réprimées avec plus de 11 000 interpellations, des amendes, des peines de prison fermes et l'ouverture d'une centaine d'enquêtes criminelles.
LA RÉACTION RUSSE
Moscou ne laissera pas Alexeï Navalny « mourir en prison », a assuré l'ambassadeur russe à Londres dans une interview dimanche à la BBC, au moment où les soutiens du principal détracteur du Kremlin s'inquiètent pour sa vie.
« Bien sûr on ne le laissera pas mourir en prison, mais je peux dire que M. Navalny se comporte comme un hooligan », « en essayant de violer chaque règle qui a été établie », a déclaré sur la chaîne publique britannique l'ambassadeur Andreï Kéline.
Il a accusé l'opposant de « vouloir attirer l'attention » en se plaignant « aujourd'hui qu'il souffre de la main gauche », « demain de la jambe gauche ».
« S'il se comporte normalement, il aura une chance d'être libéré plus tôt », a poursuivi l'ambassadeur de Russie à Londres.