La France doit mobiliser ses musulmans au lieu de les marginaliser

Prière à Marseille. (Photo d'archives Reuters).
Prière à Marseille. (Photo d'archives Reuters).
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Publié le Vendredi 16 avril 2021

La France doit mobiliser ses musulmans au lieu de les marginaliser

La France doit mobiliser ses musulmans au lieu de les marginaliser
  • La forme très particulière de laïcité approuvée par l'État renvoie une certaine image d'une république à laquelle tous ses citoyens ont un droit égal
  • Pour les musulmans qui représentent le deuxième groupe religieux de France, cette égalité générale est insuffisante

Les principes égalitaires de la République française suggèrent que l'État est aveugle aux croyances et aux convictions personnelles de ses citoyens. Pour la plupart, c'est correct. Sa forme très particulière de laïcité approuvée par l'État renvoie une certaine image d'une république à laquelle tous ses citoyens ont un droit égal. Cependant, pour les musulmans qui représentent le deuxième groupe religieux de France, cette égalité générale est insuffisante.

Des décennies de marginalisation ont caractérisé leur expérience, mais depuis que le gouvernement s'est engagé dans une lutte contre ce qu'il appelle le «séparatisme islamiste», de nombreux musulmans français estiment que la xénophobie et la discrimination auxquelles ils sont confrontés sont devenues courantes.

La «laïcité» (sécularisme) dont les décideurs français sont si obsédés impose une délimitation stricte entre l'État et la sphère privée des croyances personnelles. Ce mur entre les deux visait à l’origine à protéger les citoyens de l’intrusion de l’État et de l’État contre les influences religieuses, qui ont fréquemment surgi tout au long de l’histoire du pays. Cet arrangement est cependant devenu de plus en plus désordonné car l'État semble s'impliquer de plus en plus dans la vie de ses citoyens musulmans.

Depuis des décennies, les présidents français se sont plongés dans les codes vestimentaires islamiques, les besoins alimentaires et la pléthore d'institutions religieuses et de lieux de culte que la France moderne abrite. Avec une population vieillissante qui lutte pour faire face aux transitions sociétales de la France post-impériale, les dirigeants français ont cherché à se concentrer sur les musulmans du pays en tant que bouc émissaire électoral au lieu d’apporter les changements structurels audacieux qui sont si désespérément nécessaires.

Les tentatives constantes de l'État laïc français pour définir la pratique religieuse n'ont pas renforcé sa cohésion, mais l'ont plutôt sapé.

Zaid Belbagi

Un tiers énorme des dépenses du gouvernement français est consacré à l'aide sociale – une réalité que l'État peut difficilement se permettre. Les gouvernements successifs ont hésité à procéder aux réformes nécessaires des dépenses, mais le président Emmanuel Macron en a fait le centre de sa présidence. Après avoir déjoué les partis politiques existant en France en 2017, son mouvement En Marche a démarré avec éclat et les taux d'approbation étaient initialement élevés. Néanmoins, les réformes nécessaires du marché du travail et de la protection sociale ont ralenti, et, plutôt que de guider la France vers la compétitivité économique, Macron a été confronté à des protestations et des grèves – caractéristiques de la vieille France.

Alors que son taux d'approbation diminue, le président a également été confronté à une succession d'attaques terroristes par des extrémistes musulmans, dont la plus récente a été la décapitation en octobre du professeur Samuel Paty et le meurtre de trois personnes à la basilique Notre-Dame à Nice. Avec une élection à l'horizon, ces événements sans précédent ont conduit Emmanuel Macron à s'engager dans un changement de cap radical.

Selon Macron, la France a été ciblée par des terroristes en raison de sa «liberté d'expression, de son droit d’avoir ou non des croyances et de son mode de vie». Cependant, compte tenu de la résurgence du parti d'extrême droite, le Rassemblement national (RN), de Marine Le Pen au milieu de la stagnation économique et d'une réponse au hasard à la pandémie de coronavirus, la présidente du RN semble avoir cherché à embrasser ses électeurs potentiels en rejetant la responsabilité des maux du pays sur sa population immigrée, dont des millions sont musulmans. Cette tactique à court terme a été autorisée à prendre une trop grande emprise sur la société française et ignore la marginalisation économique et politique d'une communauté qui, d'ici à 2050, devrait représenter jusqu'à 15% de la population.

En projetant de construire un «islam français», à travers l’État réglementant la pratique religieuse, les tentatives du président de délimiter les affaires privées des citoyens musulmans n’ont pas été bien accueillies. Plus récemment, en proposant une interdiction du port du hijab en public, l'État français s'est montré une fois de plus en contradiction avec l'islam.

Les dirigeants français ont cherché à se concentrer sur les musulmans du pays en tant que bouc émissaire électoral au lieu d’apporter les changements structurels audacieux qui sont si désespérément nécessaires.

Zaid Belbagi

Les tentatives constantes de l'État laïc français de définir la pratique religieuse n'ont pas renforcé sa cohésion, mais l'ont plutôt sapé. Les gouvernements français ne peuvent plus espérer bénéficier de l'acquiescement des communautés immigrées si non seulement ils encouragent leur marginalisation, mais l'utilisent aussi comme un moyen délibéré de stratifier la société avant les élections. De façon inquiétante, certains éléments de la politique gouvernementale ne sont plus simplement des outils de campagne électorale, ils sont plutôt l'apanage d'une politique délibérément discriminatoire, dont le genre porte encore de profondes cicatrices historiques en Europe.

Dans un récent rapport intitulé «Discrimination contre les musulmans: l'État doit réagir», Amnesty International a dénoncé «le climat hostile et le discours discriminatoire» à l'égard des musulmans en France. Plus inquiétant encore, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, a énuméré en 2019 des libertés religieuses très fondamentales, telles que la prière, le jeûne et la barbe, comme des «signes de radicalisation». Comme l'a souligné le rapport d'Amnesty, la nature de plus en plus ciblée des décideurs politiques français ne distingue pas les formes normales de pratique religieuse de l'extrémisme, laissant de nombreux musulmans risquer d'être pénalisés pour leurs croyances religieuses.

Pour la France, qui se targue d'être un phare de liberté et de tolérance, le durcissement récent des opinions politiques dominantes concernant l'islam n'est pas de bon augure. La marginalisation de la communauté musulmane de France est à l’origine des actes terroristes dans le pays. Aujourd'hui, les musulmans de France croupissent dans ses prisons, 58% déclarent avoir été victimes de discrimination religieuse et environ 40% vivent dans des banlieues pauvres.

Si l'État français souhaite exploiter son capital humain pour mobiliser plutôt que marginaliser cette vaste partie de sa population, il ne peut pas continuer à tenter de dicter la pratique religieuse sous la notion de laïcité, mais devrait plutôt chercher à embrasser ses citoyens indépendamment de leur croyance.

 

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com