TUNIS: D’abord tentés par un passage en force pour imposer Kamel ben Younes, un journaliste acquis au mouvement islamiste, comme PDG de l’agence de presse officielle, le chef du gouvernement et son principal soutien semblent hésiter. En effet, les journalistes rejettent fermement cette nomination en raison du passé et du présent politiques de leur confrère.
Mouna Mtibaa continue à travailler sereinement. Pourtant, au siège de l’Agence Tunis Afrique Presse (TAP), dont elle est la présidente directrice générale, l’ambiance n’est guère studieuse. Un sit-in a été instauré à l’initiative des journalistes depuis le 6 avril au rez-de-chaussée de l’agence de presse située à El Manar 2, un quartier résidentiel du nord-est de la capitale, Tunis, pour protester contre la nomination de leur confrère Kamel ben Younes au poste de PDG.
Face à cette fronde, Hichem Mechichi, chef du gouvernement, a déclaré le 13 avril dernier que le gouvernement ne ferait pas marche arrière. Le jour même, Kamel ben Younes a pu entrer au siège de la TAP et accéder à son bureau grâce au soutien de policiers en uniforme et en civil, mais il a dû ressortir aussitôt sous les insultes des journalistes de l’agence.
Une réunion du conseil d’administration de la TAP devait avoir lieu le 14 avril pour entériner la nomination et organiser la passation avec l’actuel PDG. Elle a finalement été reportée sine die.
Les journalistes de l’agence de presse officielle s’opposent au parachutage de leur confrère non parce qu’ils doutent, comme d’autres, qu’il ait les compétences requises pour son nouveau poste, mais en raison de son passé et de son présent politiques.
À l’École normale de Bizerte comme à celle de Tunis, Kamel ben Younes fut un cadre très actif du Mouvement de la tendance islamique (MTI – ce courant fut rebaptisé «mouvement Ennahdha» en 1989). Il a même été condamné à quatre ans de prison en raison de son engagement lors du premier procès des islamistes en 1981.
Mais le nouveau PDG de la TAP est devenu après 1987 un défenseur et un propagandiste zélé du régime Ben Ali. Il a notamment mené en 2001 l’offensive contre la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme. Son nom a été cité dans l’ouvrage Dispositif de la propagande sous le règne de Ben Ali: le livre noir, publié par la présidence de la République en 2013.
D’ailleurs, le site Kapitalis.com a produit le 7 avril 2021 des documents compromettants dont l’authenticité n’a pas été contestée par l’intéressé, prouvant que Kamel ben Younes avait été grassement payé pour les services rendus à l’ancien régime.
Après le 14 janvier 2011, Kamel ben Younes est retourné vers ses premières amours islamistes. Même s’il n’est pas encarté à Ennahdha, le nouveau PDG désigné de la TAP est l’un des partisans les plus engagés du mouvement et, selon nos sources, l’un des conseillers de Rached Ghannouchi, le président du mouvement et du Parlement: il trouve aujourd’hui sa récompense.
Après avoir accompagné M. Ghannouchi en Chine en septembre 2014, Kamel ben Younes a été nommé en avril 2017 directeur général de Zitouna FM, une radio religieuse confisquée après le 14 janvier 2011 à Sakhr el-Materi, le gendre de Ben Ali. Aujourd’hui, avec sa nomination à la tête de la TAP, il monte en grade.
Mais pourra-t-il garder ce poste? Ne cédera-t-il pas sous la pression, comme le fit Lotfi Touati, un cadre nahdhaoui nommé en août 2012 directeur général de Dar Assabah, un groupe de presse qui fut confisqué à MM. El-Materi et Touati, ce qui conduisit ce dernier à démissionner à la fin du mois d’octobre? Ou le gouvernement et le mouvement Ennahdha finiront-ils par se raviser face à l’élargissement du cercle des soutiens aux journalistes de la TAP, en Tunisie (UGTT, syndicat des journalistes, partis politiques) comme à l’étranger (Fédération internationale des journalistes et Reporters sans frontières)?