WASHINGTON/ LONDRES: Après la main tendue, la contre-attaque: le gouvernement américain de Joe Biden a annoncé jeudi une série de sanctions financières sévères contre la Russie et l'expulsion de dix diplomates russes, qui risquent de compliquer sa proposition de sommet avec Vladimir Poutine.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le nouveau président des Etats-Unis avait fait savoir qu'il mettait au point sa riposte contre une série d'actes imputés à Moscou, dont une cyberattaque géante et des ingérences dans les élections américaines de novembre.
Allant jusqu'à qualifier Vladimir Poutine de « tueur », Joe Biden promettait d'être nettement plus ferme que son prédécesseur Donald Trump, accusé de toutes parts de complaisance à l'égard du maître du Kremlin.
Les représailles sont tombées jeudi.
Le 46e président de l'histoire américaine a signé un décret suivi de sanctions immédiates, et qui permettra aussi de punir à nouveau la Russie « si elle continue ou favorise une escalade de ses actions de déstabilisation internationale », a prévenu la Maison Blanche dans un communiqué.
Le Trésor américain a interdit aux banques américaines d'acheter directement de la dette émise par la Russie après le 14 juin prochain.
Il sanctionne également six sociétés technologiques russes accusées de soutenir les activités de piratage informatique du renseignement de Moscou.
Il s'agit d'une riposte à la gigantesque cyberattaque de 2020, désormais formellement imputée à la Russie, ayant utilisé comme vecteur SolarWinds, un éditeur américain de logiciels dont un produit a été piraté pour introduire une faille chez ses utilisateurs, y compris plusieurs agences fédérales américaines.
« Lire ces délires n'a que peu d'intérêt », ont rétorqué les services de renseignement extérieurs russes, directement mis en cause par Washington.
« Soutien » occidental
Un haut responsable américain a prévenu qu'une partie des représailles demeurerait « secrète », laissant envisager la possibilité d'une contre-attaque informatique.
Par ailleurs, le Trésor sanctionne 32 entités et personnes accusées d'avoir tenté, au nom du gouvernement russe, « d'influencer l'élection présidentielle de 2020 aux Etats-Unis », selon la Maison Blanche.
Et le gouvernement américain impose aussi des sanctions à huit personnes et entités liées à « l'occupation » de la Crimée, en « partenariat » avec l'Union européenne, le Royaume-Uni, l'Australie et le Canada.
L'Otan, l'UE et Londres ont apporté leur soutien aux sanctions américaines, sans toutefois annoncer de nouvelles mesures dans l'immédiat.
De son côté, le département d'Etat américain a expulsé dix diplomates russes à Washington, accusés pour certains d'être des membres des services de renseignement de Moscou.
Toutes ces sanctions visent aussi à tenir les autorités russes « pour responsables » après des accusations de primes offertes par la Russie à des talibans pour attaquer des soldats américains en Afghanistan. Mais un haut responsable américain a précisé que le renseignement des Etats-Unis ne pouvait confirmer la véracité de ces allégations qu'avec un degré de confiance « faible à modéré ».
Ces sanctions s'ajoutent à une première série de mesures punitives annoncées en mars en réponse à l'empoisonnement de l'opposant Alexeï Navalny.
L'AMBASSADEUR DE RUSSIE À LONDRES CONVOQUÉ
Le ministère britannique des Affaires étrangères a convoqué jeudi l'ambassadeur de Russie à Londres en raison des « activités malveillantes » attribuées à Moscou, dont des cyberattaques et les mouvements de troupes à la frontière ukrainienne.
« Le gouvernement britannique est gravement préoccupé par la tendance de l'Etat russe à adopter une attitude malveillante », a indiqué un porte-parole de la diplomatie britannique dans un communiqué.
Réponse russe « inévitable »
Il s'agit d'une des offensives les plus dures contre la Russie depuis l'expulsion de nombreux diplomates à la fin du mandat de Barack Obama.
Et la réponse ne s'est pas fait attendre.
« Un tel comportement agressif recevra une forte rebuffade. La réponse aux sanctions sera inévitable », a prévenu la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova. « Les Etats-Unis ne sont pas prêts à accepter la réalité objective d'un monde multipolaire qui exclut une hégémonie américaine et s'appuient sur la pression des sanctions et l'ingérence dans nos affaires intérieures ».
Moscou a aussi dit avoir convoqué l'ambassadeur américain John Sullivan pour « une conversation difficile », mais ce dernier a assuré avoir été reçu à sa demande, lors d'une rencontre « professionnelle et respectueuse ».
La Russie a aussi averti que ces sanctions n'allaient « pas favoriser » l'organisation d'un sommet Biden-Poutine, alors que les relations sont au plus bas entre les deux rivaux géopolitiques.
Le nouveau président démocrate a maintenu sa proposition de tenir cette première rencontre, faite lors d'une conversation téléphonique cette semaine avec son homologue russe.
« Le moment de la désescalade est venu », a-t-il lancé, exhortant notamment Vladimir Poutine à « s'abstenir de toute action militaire » contre l'Ukraine, après le déploiement massif de troupes russes aux frontières ukrainiennes.
Joe Biden a jugé nécessaire un sommet bilatéral « cet été en Europe » pour « lancer un dialogue stratégique sur la stabilité » en matière de désarmement et de sécurité.
Les sanctions ont été saluées par la classe politique américaine, même si de nombreux républicains ont regretté l'absence de mesures contre le gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'Allemagne, dénoncé unanimement à Washington.
L'influent sénateur démocrate Bob Menendez a applaudi cette « approche ferme », « qui tourne la page de quatre années au cours desquelles Donald Trump s'est couché devant Poutine ».
La mesure la plus spectaculaire annoncée jeudi, sur la dette, devrait avoir un effet réduit, la Russie n'ayant qu'une dette limitée et des réserves qui dépassent les 180 milliards de dollars, forte de ses exportations d'hydrocarbures. Elle pourrait toutefois être douloureuse pour le rouble, en chute jeudi.
« C'est une tempête dans un verre d'eau. Depuis plus de dix ans, la politique des autorités monétaires russes a visé à maintenir le déficit budgétaire à un niveau bas », a relevé l'économiste Sergueï Khestanov, qui souligne que Moscou y est préparé « depuis longtemps ».