MOSCOU: Plusieurs groupes de défense des droits humains ont appelé les Russes à prendre conscience des crimes commis par leur pays depuis son intervention militaire en Syrie, publiant vendredi un rapport accablant en la matière.
Ce rapport, le premier d'ONG russes consacré au conflit syrien, publié à l'occasion du 10e anniversaire de la guerre dans ce pays, veut mettre un coup de projecteur sur les victimes des opérations militaires russes, sujet tabou dans les médias pro-Kremlin.
Ses conclusions viennent contredire le discours officiel de Vladimir Poutine qui présente son armée comme étant engagée dans un combat juste pour sauver de «terroristes» le pouvoir légitime du président Bachar al-Assad.
L'intervention russe a changé le cours de la guerre, au prix de nombreuses victimes civiles, estime le rapport rédigé par la principale ONG russe Mémorial et plusieurs autres organisations.
Le texte de 200 pages cite plus de 150 témoins des évènements en Syrie.
«L'écrasante majorité de nos interlocuteurs ne voient pas la Russie comme un sauveur, mais comme une force étrangère destructrice dont l'intervention militaire et politique a contribué à renforcer le criminel de guerre à la tête de leur pays», ont déclaré ces ONG.
«Certaines des personnes interrogées ont révélé qu'elles-mêmes ou leurs proches avaient été victimes des bombardements russes», ajoute le texte. Le rapport exhorte Moscou à mener des enquêtes indépendantes sur les bombardements de son armée en Syrie et à verser des indemnités aux victimes.
«Amers et honteux»
Le rapport a aussi fait état de violations commises par la coalition internationale menée par les Etats-Unis, mais assure que la plupart des témoignages recueillis concernent «des abus subis des mains des forces gouvernementales syriennes et leurs alliés, et des groupes armés d'opposition, y compris terroristes».
Oleg Orlov, membre de Memorial, a comparé lors d'une conférence de presse les bombardements russes sur les civils aux tactiques de l'armée en Tchétchénie, où Moscou a mené deux guerres dans les années 1990 et 2000.
Les auteurs n'ont pas pu entrer en Syrie mais ont interrogé des Syriens ayant fui la guerre au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Allemagne ou en Russie.
Préparé pendant deux ans, le document accuse Moscou d'abus, en ayant bombardé sans discernement des civils ou soutenu un régime accusé de nombreuses atrocités, comme l'usage d'armes chimiques ou l'arme de la faim contre des villes assiégées.
«Six mois après le début des bombardements russes, il y avait plus de victimes qu'en deux ans de bombardements syriens», déclare une habitante du bastion rebelle de Waer, à Homs (centre), assiégé de 2013 à 2016. Elle affirme n'avoir pesé à un moment plus que 33 kilos.
Si la Russie a plusieurs fois démenti l'emploi par les autorités syriennes d'armes chimiques contre des civils, utilisant son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour protéger Damas, les auteurs du rapport disent cependant avoir parlé avec des victimes d'attaque au gaz.
«J'ai vu 30 enfants étendus morts avec d'autres personnes qui continuaient à verser de l'eau sur eux», a raconté un chirurgien de la Ghouta orientale: «Je n'oublierai jamais cette scène».
Les auteurs disent vouloir que le plus grand nombre possible de Russes lisent leur enquête et «comprennent leurs responsabilités dans ce qui se passe en leur nom en Syrie».
«Nous nous sentions à la fois amers et honteux de la façon dont les Syriens que nous avons interviewés considèrent les Russes», affirment-ils.