Le faire-valoir de Biden sur la Chine et la Russie ajoute à la rivalité entre les superpuissances

Le président américain Joe Biden évoque la fusillade dans le Colorado dans la State Dining Room de la Maison Blanche à Washington, DC, le 23 mars 2021 (Fichier / AFP)
Le président américain Joe Biden évoque la fusillade dans le Colorado dans la State Dining Room de la Maison Blanche à Washington, DC, le 23 mars 2021 (Fichier / AFP)
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Publié le Vendredi 02 avril 2021

Le faire-valoir de Biden sur la Chine et la Russie ajoute à la rivalité entre les superpuissances

Le faire-valoir de Biden sur la Chine et la Russie ajoute à la rivalité entre les superpuissances
  • Le président américain a appelé les alliés naturels des États-Unis en Europe et en Asie à «se préparer ensemble à une compétition stratégique à long terme avec la Chine».
  • Son message est clair: il n’est pas Donald Trump en matière de style, mais se révélera un adversaire plus dur si la Chine n’adhère pas à ce qu’il considère comme le fair-play commercial mondial.

Pendant près de deux mois après son investiture, tout s’est passé comme prévu pour le nouveau président américain, Joe Biden. Après une période de transition instable, les premiers jours de Biden à la Maison Blanche ont été principalement consacrés à la réparation des dommages internes causés par son prédécesseur et à la consolidation des relations avec la communauté internationale. Cependant, soixante jours après la mise en place de l’administration de Biden, l’horizon des relations de Washington avec Pékin et Moscou s’assombrit.

Cela soulève quelques questions: Biden tente-t-il de s’affirmer en tant que leader qui n’a pas peur de positionner les États-Unis en champion des valeurs démocratiques libérales, même si cela signifie une confrontation avec la Chine et la Russie? Ou, dans un monde où les superpuissances sont en concurrence, un affrontement entre les États-Unis et ces deux puissances est-il inévitable, les récentes diatribes étant simplement une expression de ce conflit d’intérêts et de valeurs difficile à surmonter?

La réponse à ces deux questions est essentiellement oui. Alors que l’espoir après la guerre froide d’une marche mondiale vers la démocratie s’est depuis longtemps dissipé – et, à bien y réfléchir, de tels espoirs étaient le résultat d’une pure naïveté et d’un vœu pieux – les États-Unis et leurs alliés doivent faire face à une réalité différente. Pendant de nombreuses années, l’Occident en général, et les États-Unis en particulier, ont confondu transition vers le capitalisme et virage vers la démocratie libérale. La Russie et la Chine n’ont jamais souscrit à cette logique ni eu beaucoup de respect pour les droits de l’homme. Si, au début de l’après-guerre froide, il y avait un semblant de démocratie, du moins dans la Russie post-communiste, il n’en reste pas grand-chose trente ans plus tard. La Russie et la Chine ont opéré un virage audacieux vers l’autoritarisme, réprimant brutalement leurs rivaux politiques et les minorités ethniques tout en consolidant leurs influences respectives à l’étranger.

Au cours de sa campagne électorale, Biden s’est engagé à se concentrer d’abord sur les questions nationales, mais aucun président américain ne peut échapper aux turbulences des affaires étrangères. Après tout, la séparation entre politique intérieure et politique étrangère, en particulier pour une puissance politique, économique et militaire, est artificielle au départ.

La consolidation des relations de l’Amérique avec les démocraties libérales occidentales lui permet d’affronter plus efficacement Pékin et Moscou

Yossi Mekelberg

Après Trump, la réorientation de la politique étrangère que Biden a amenée à revenir au multilatéralisme et à se lancer dans la réparation des relations avec les alliés, en particulier au sein de l’UE et de l’OTAN – en d’autres termes la consolidation des rapports de l’Amérique avec les démocraties libérales occidentales – lui permet d’affronter plus efficacement la Chine et la Russie. Lors de la conférence virtuelle de Munich sur la sécurité en février, il n’a pas mâché ses mots, appelant les alliés de l’Amérique en Europe et en Asie à «se préparer ensemble à une compétition stratégique à long terme avec la Chine», en travaillant ensemble «pour garantir la paix, défendre nos valeurs communes et faire progresser notre prospérité».

En ce qui concerne la Chine, il a fait table rase en enjoignant ses alliés à accepter une concurrence féroce, mais pas selon les règles fixées par Pékin. Le message était clair: il n’est pas Donald Trump en matière de style et de courtoisie – ou de son absence dans le cas de Trump – mais se révélera être un adversaire plus dur si la Chine n’adhère pas à ce qu’il considère comme le fair-play commercial mondial. Biden s’est adressé la semaine dernière au président Xi Jinping, affirmant qu’«aucun dirigeant ne peut être maintenu dans ses fonctions à moins qu’il ne représente les valeurs du pays». Par conséquent, il a fait valoir qu’il était déterminé à dénoncer la manière dont la Chine gère Hong Kong, les Ouïghours et Taïwan.

Les États-Unis ont vu la Chine se doter de la plus grande et de l’une des plus puissantes marines du monde, tout en continuant à exercer son soft power avec la vaste initiative Belt and Road, en resserrant son contrôle dans son pays et en lançant des cyberattaques contre les États-Unis et ses alliés. Ce sont là des défis pour les intérêts et les valeurs occidentaux, d’autant plus que la position mondiale de l’Amérique est en déclin depuis un certain temps. De plus, l’appui de la Chine à la Corée du Nord, alors que Pyongyang renouvelle ses essais de missiles à longue portée, et au régime militaire meurtrier du Myanmar est une occasion pour l’Amérique d’inverser la tendance de son déclin constant et de se réaffirmer.

De même, Biden vise une Russie qui jouissait, pour quelque raison que ce soit, de libertés sous Trump. Washington considère que, contrairement à la Chine, la Russie de Vladimir Poutine constitue une menace directe pour les États-Unis et leurs alliés, attaquant les démocraties et «militarisant la corruption pour tenter de saper notre système de gouvernance», tout en affaiblissant le projet de l’UE et l’OTAN. Lorsque Biden ce mois-ci a approuvé l’idée que Poutine est un «tueur», cela aurait pu être une réaction réfléchie, mais cela ne fait pas l’ombre d’un doute que, en plus de percevoir la résurgence de la Russie comme une menace pour les États-Unis et leurs alliés, il a pour Poutine, contrairement à Xi, une très faible estime. La réponse de Poutine, souhaiter une «bonne santé» à Biden et souligner, de manière un peu enfantine, que «si vous affublez quelqu’un d’un nom, ce nom devient le vôtre»… Mais au-delà, son rappel de l’ambassadeur de Russie à Washington, illustre une opposition d’intérêts, de valeurs et de personnalités insoluble. Cela va probablement perdurer.

Le point de vue des États-Unis sur la Chine et la Russie n’est pas si loin de la vérité, et la relance des relations de la nouvelle administration avec ses alliés naturels en Europe et dans l’Otan conforte sa position pour contenir et modifier certains de leurs comportements. Cependant, après des années de déclin de leur pouvoir et prestige en tant que véritable champion des valeurs libérales et démocratiques, les USA doivent d’abord se reconstruire en tant que puissance domestique, militaire et économique fondée sur des principes dans leurs relations afin d’être en mesure de rallier un soutien international pour défier Pékin et Moscou. Il y a des signes précurseurs d’une telle coopération, car plusieurs pays européens ont déjà imposé des interdictions de voyage et des gels d’avoirs, ciblant de hauts responsables chinois qui ont été accusés de graves violations des droits de l’homme à l’encontre les Ouïghours, en plus des sanctions en cours contre la Russie depuis son annexion de la Crimée.

La Chine et la Russie n’apprécient peut-être pas les messages de Biden, mais c’est son devoir moral – et celui de ses alliés européens – d’exprimer ses inquiétudes quant aux pratiques qui violent le droit international et les conventions que les deux pays ont signées, et d’agir en conséquence.

 

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux de presse écrite et numérique. Twitter: @YMekelberg

Avertissement: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News