MAPUTO: Les islamistes armés qui se sont emparés samedi de la ville de Palma, à seulement dix kilomètres d'un mégaprojet gazier de plusieurs milliards d'euros piloté par le groupe français Total, sèment la terreur depuis plus de trois ans dans le nord-est du Mozambique.
Octobre 2017, une trentaine d'hommes armés lancent un raid à l'aube contre trois postes de police à Mocimboa da Praia, ville portuaire de la province de Cabo Delgado, frontalière de la Tanzanie, et à majorité musulmane.
« On a pensé qu'ils voulaient libérer leurs camarades accusés d'appartenir à une secte religieuse radicale appelant la population à désobéir aux lois », racontait fin 2020 un imam qui tient à son anonymat.
C'est en réalité le début d'une sanglante guérilla jihadiste qui continue à ravager la province, forçant à ce jour plus de 670 000 personnes à quitter leur foyer, selon l'ONU, et faisant au moins 2 600 morts, dont plus de la moitié de civils, selon l'ONG Acled.
Le mouvement serait né vers 2007, autour d'un groupe baptisé Ansaru-Sunna qui construit de nouvelles mosquées adoptant un islam rigoriste, selon Eric Morier-Genoud, professeur d'histoire africaine à Belfast.
Les autorités locales sous-estiment alors leur capacité de nuisance, qui se nourrit aussi des déçus de l'exportation gazière offshore, qui avant même d'avoir commencé, chasse des habitants de leurs villages et de leurs zones de pêche.
Aujourd'hui, la péninsule d'Afungi, centre névralgique des installations gazières qui représentent l'un des plus gros investissements en Afrique et auquel participe notamment le groupe français Total, « est une bulle sécurisée, une sorte de Fort Apache assiégé », souligne un expert sécuritaire français.
Mercredi, les groupes armés ont lancé une attaque d'envergure contre Palma, simultanément sur trois fronts, le jour même où Total annonçait la reprise des travaux du site d'exploitation gazière, censé être opérationnel en 2024.
Décapitations à grande échelle
La ville est tombée entre leurs mains samedi, après trois jours de combats. Le nombre de victimes parmi les civils et les combattants reste inconnu.
Les dirigeants de ces rebelles, surnommés localement « al-shabab » (les jeunes, en arabe), restent un mystère. Mais ils ont fait allégeance au groupe Etat islamique en 2019.
Ils ont incendié de nombreux villages, après les avoir pillés, et pratiquent la décapitation à grand échelle pour terroriser la population. Ils enlèvent aussi jeunes gens et femmes pour grossir leurs rangs.
Ils contrôlent une bonne partie de la zone côtière, y compris le port de Mocimboa da Praia, pris en août 2020, crucial pour l'arrivée du matériel nécessaire aux installations gazières.
Faiblement équipée et peu entraînée, l'armée a d'abord semblé dépassée, dans ce pays d'Afrique australe indépendant du Portugal en 1975. Le Mozambique a réussi sa transition démocratique il y a près de 30 ans, à l'issue d'une longue et sanglante guerre civile qui a duré une quinzaine d'années et fait un million de morts, jusqu'à un accord de paix en 1992.
Des milliers de soldats ont toutefois été déployés, aboutissant à une accalmie ces derniers mois, attribuée par les autorités à la réplique militaire.
Au vu de l'opération spectaculaire menée contre Palma, la baisse d'activité des islamistes semble désormais être plus vraisemblablement attribuable à la saison des pluies, qui ralentit tout, mais aussi à la préparation de nouvelles attaques.
Les militaires sont « faiblement équipés », commentait Sergio Chichava, de l'Université Eduardo Mondlane, à Maputo, et ils s'appuient sur « des armes d'un autre âge ». Washington a annoncé mi-mars l'envoi de forces spéciales américaines pour deux mois de formation.
Les autorités ont fait appel à une société militaire privée sud-africaine, Dyck Advisory Group (DAG), pour appuyer les forces de sécurité mozambicaines, qui seraient aussi discrètement épaulées par des mercenaires russes, selon des observateurs.