BEYROUTH : Nadim Hobeika a un regard cinématographique et une oreille musicale. Diplômé de l'Institut des études audiovisuelles et cinématographiques de l'université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) en 2014, il a ensuite assisté aux cours de la prestigieuse School of Visual Arts de New York. Il s'est fait remarquer avec des courts-métrages indépendants de qualité notamment Before We Heal en 2018. Cet apport du septième art se voit, se ressent, et se complète avec sa passion pour la musique dans les nombreux vidéoclips qu'il a réalisés. Très prisé, il a réalisé entre novembre 2020 et mars 2021 trois vidéoclips très différents les uns des autres, avec à chaque fois le dessein de briser les normes et les codes traditionnels de cet univers dans les pays arabes. Arab News en français décrypte le phénomène Nadim Hobeika.
Ode à la simplicité
Nadim Hobeika traverse au début de l'année 2016 une période délicate. De retour de New York, il décide de quitter son travail à Beyrouth, dérouté et déprimé. Il raconte ses déboires à un ami de longue date Anthony Khoury, chanteur du groupe Adonis, alors en pleine préparation d’un troisième album. «Il m'a invité le soir-même pour écouter les chansons. Je lui ai dit que j'ai envie de partager mes sentiments. C'est ainsi que j'ai réalisé mon premier vidéoclip», raconte t-il.
Le partage d'émotions est la ligne directrice de Nadim Hobeika. Dans son profil Vimeo, il présente son travail avec une simple phrase: Film to Feel («réaliser pour sentir»). «J'ai toujours voulu être celui qui raconte l'histoire. Lorsque j'étais gamin, j'attendais toute la journée que ma musique préférée passe à la télévision pour ensuite mettre en scène mon propre vidéoclip de la chanson, souvent avec l'aide de mes cousins. C'était peut-être enfantin, mais cette passion ne m'a plus jamais quitté», explique-t-il.
L'évocation de son enfance et de sa maison familiale n'est pas anodine. Il a ainsi réalisé dans sa maison de campagne, dans le charmant petit village montagnard de Rechmaya, son premier vidéoclip La Bel Haki pour le groupe Adonis. «Je me suis rendu compte que c’est un format que je souhaite explorer. C'est la raison pour laquelle j'ai depuis réalisé pour Adonis au moins un vidéoclip chaque année.»
L'œuvre de Nadim Hobeika est magnétique – simple et efficace. «Dans le vidéoclip de Shayef [réalisé en 2018], j'ai mis en scène des situations simples de la vie quotidienne mais filmées de manière très cinématographique. C'est ce qui a permis aux gens de se sentir concernés et connectés», raconte-t-il.
Cette simplicité mêlée d'un délicat drap de mélancolie se pose ainsi en contradiction avec les normes classiques du vidéoclip dans le monde arabe. «Il y a en moi la volonté de briser les règles de ce que doit être un vidéoclip. C’est un format tellement extraordinaire pour exprimer des émotions. Or, dans le monde arabe, cet aspect se dissout souvent à cause du “bling-bling”.»
Un perfectionniste
Nadim Hobeika est catégorique sur un point en particulier. Il ne souhaite pas que son œuvre devienne répétitive. «Je réalise des vidéoclips pour la beauté de l'art. Je ne veux pas qu’ils deviennent un devoir. Je ne dors pas la nuit lorsque je travaille sur un projet. Cela en devient même obsessionnel.»
Perfectionniste, il n'a pas peur de relever des défis et de changer d'univers. Son travail avec Dana Hourani, figure de la mode arabe et chanteuse, a été un véritable tournant dans sa jeune carrière. «On a construit une relation de confiance. Elle me permet de faire de nouvelles expérimentations d'un point de vue esthétique, technique et narratif.»
Dans le vidéoclip Enti Anna (2020), les fans de Dana Hourani ont été ébahis par le travail cinématographique réalisé. «Deux commentaires du public m’ont beaucoup touché. L’un disait que mes clips ressemblent à des films, et le second que mon travail était nouveau.»
Dans le dernier vidéoclip Yay de Dana Hourani réalisé en janvier et mis en ligne le 15 mars dernier, Nadim Hobeika a opéré un véritable changement de paradigme. «Je suis connu pour mon univers rempli de mélancolie. Mais étant donné la situation dramatique au Liban, qui nous affecte tous, j'ai opté pour une nouvelle approche beaucoup plus esthétique avec des couleurs vives et un côté minimaliste assumé», précise-t-il.
Face à la monotonie ambiante, Nadim Hobeika apporte incontestablement un vent de fraîcheur…