ANKARA : Implantée dans plusieurs pays européens, Milli Görüs (Vision nationale, en turc), au cœur d'une polémique sur le financement de la construction d'une mosquée en France, est une association incarnant un courant islamo-conservateur fondé par le mentor du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Le ministre français de l'Intérieur a accusé mercredi la ville de Strasbourg (est) de « financer une ingérence étrangère sur le sol » français avec l'adoption d'une subvention à la construction d'une mosquée soutenue par Milli Görüs.
Ce courant a été créé dans les années 1960 par Necmettin Erbakan, premier chef islamiste d'un gouvernement en Turquie, poussé à la démission par les militaires en 1997.
Vétéran de la politique, défendant une Turquie dirigée selon les principes de l'Islam, où les taux d'intérêts seraient interdits, et tenant des propos antisémites et opposée à l'adhésion de son pays à l'Union européenne, Erbakan a joué un rôle déterminant au sein de partis liés au mouvement Milli Görüs jusqu'à son éclatement et la création en 2001 de l'AKP (Parti de la justice et du développement) du président Erdogan.
« J'ai enlevé ma chemise de Milli Görüs. Oubliez le passé, nous sommes un nouveau parti" », avait alors déclaré M. Erdogan, qui avait appris les ficelles de la politique au sein de la mouvance d'Erbakan, mort en 2011.
Mais couper le cordon n'a pas été si simple ni pour le chef de l'Etat turc ni pour les électeurs qui s'identifient avec Milli Görüs, à la fois en Turquie et en France.
A partir de 2002, avec l'arrivée de l'AKP au pouvoir en Turquie, l'électorat de M. Erbakan a en majorité tourné le dos à son leader de longue date, pour favoriser une relation avec M. Erdogan au pouvoir.
Aujourd'hui, le parti de la Félicité (Saadet en turc) qui se réclame comme l'héritier de Milli Görüs en Turquie, se positionne cependant dans l'opposition face au gouvernement d'Erdogan, malgré leurs nombreux points communs idéologiques.
Le mouvement a suivi un parcours similaire en Europe où il s'est implanté à partir de 1995. Avec un siège à Cologne en Allemagne, Milli Görüs revendique aujourd'hui une présence dans 12 pays européens, ainsi qu'en Australie et au Canada, et une communauté de 350.000 membres.
« En France, malgré quelques particularités, la vision du monde de Milli Görüs a été en parallèle avec la ligne du mouvement en Turquie. Lorsqu'en Turquie il soutenait l'AKP, Milli Görüs France faisait de même. Mais quand ce soutien a pris fin, on a observé la même attitude en France », explique Samim Akgonul, directeur du Département d'Études turques à l'Université de Strasbourg et auteur de « La Turquie 'nouvelle' et les Franco-Turcs : une interdépendance complexe ».
Milli Görüs France n'a pas soutenu M. Erdogan lors des dernières élections présidentielles en Turquie. Mais pour M. Akgonul, les bases des deux formations politiques s'entrecoupent, même s'il n'existe aucun lien organique entre elles.
« Milli Görüs France est proche du pouvoir en Turquie en ce qui concerne une attitude islamique orthodoxe et un discours nationaliste », affirme-t-il.
En Allemagne, où se trouve son siège, Milli Görüs se présente comme la deuxième communauté islamique la plus importante et gère plus de 300 mosquées dans tout le pays.
L'organisation est cependant dans le collimateur du renseignement intérieur allemand pour des « tendances islamistes ».
Ses anciens dirigeants ont été condamnés en 2019 à des peines de prison avec sursis pour fraude fiscale portant sur près de 2 millions d'euros.