DUBAÏ: Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, est connu pour avoir utilisé ses comptes Twitter afin d’inciter à la haine, à la violence et à la désinformation. Pourtant, ses nombreux comptes en plusieurs langues existent toujours sur la plate-forme.
Ces comptes, dans des langues comme le persan, l’anglais et l’espagnol, publient régulièrement du contenu qui pourrait – et devrait – enfreindre les politiques de Twitter.
En janvier, un compte lié au bureau personnel d’Ali Khamenei a publié un dessin menaçant de «vengeance» et semblant représenter l'ancien président Trump sous la menace d'une frappe aérienne imminente, retweeté par l'un des comptes personnels d’Ali Khamenei. À la suite des réactions négatives du public, Twitter a suspendu le compte qui a publié le tweet mais pas le compte personnel.
Twitter déclare avoir suspendu le compte en raison d'une violation de sa politique contre les faux comptes.
«La justification apportée par Twitter pour expliquer la raison de la fermeture de ce compte en particulier, mais pas d'autres, n’est pas seulement peu convaincante, mais absurde», a déclaré à Arab News David Weinberg, directeur des affaires internationales à Washington de l'organisation américaine contre la haine Anti-Defamation League (ADL).
«D'une part, ce compte a été suivi et fréquemment retweeté par d'autres comptes centraux de Khamenei (qui n'ont pas été suspendus). Il a également été autorisé à promouvoir toutes sortes de contenus problématiques pendant six mois. Pourquoi a-t-il été soudainement supprimé – juste un jour ou deux après avoir publié du contenu incitant à la violence?», demande-t-il.
À la suite de cet incident, ADL a écrit une lettre au PDG de Twitter, Jack Dorsey, appelant à démanteler sans délai tous les comptes liés à Ali Khamenei pour violations répétées des règles de Twitter interdisant l'incitation à la haine et à la violence.
La lettre donne des exemples de la façon dont les tweets d’Ali Khamenei ont continuellement violé trois politiques spécifiques – glorification de la violence, conduite haineuse et informations trompeuses concernant la Covid-19 – et a exhorté Twitter à suspendre les comptes associés.
Signée par Jonathan Greenblatt, PDG et directeur national d'ADL, la lettre se termine ainsi: «Mais étant donné que vous avez déjà suspendu un président américain de votre plate-forme au début du mois et que vous venez de supprimer l'un des nombreux comptes Twitter de Khamenei pour ses violations flagrantes et menaçantes des politiques de Twitter, cette norme doit de toute urgence être appliquée à la panoplie d'autres comptes Twitter de Khamenei, qui constituent si clairement un danger pour la sécurité publique et enfreignent régulièrement les conditions d'utilisation de Twitter.»
Twitter a pris des mesures l'année dernière contre l'ancien président, Donald Trump, en ajoutant des messages de vérification des faits et de violence à ses tweets, avant de suspendre définitivement son compte @realDonaldTrump le 8 janvier.
«Après un examen attentif des récents Tweets du compte @realDonaldTrump et du contexte qui les entoure – en particulier la manière dont ils sont reçus et interprétés sur et hors de Twitter – nous avons suspendu définitivement le compte en raison du risque d'incitation à la violence supplémentaire», a déclaré la plate-forme.
Lorsque le président du du Sénat américain chargé du commerce, Roger Wicker, a interrogé Jack Dorsey lors d'une audience l'année dernière sur les tweets d’Ali Khamenei qui «glorifiait la violence», Jack Dorsey a toutefois défendu la décision de ne pas les signaler sur la plate-forme.
Il a déclaré: «Nous n’avons pas constaté que ceux-ci enfreignaient nos conditions de service car nous les avons considérés comme des “bruits de sabre”, ce qui fait partie du discours des dirigeants mondiaux de concert avec d’autres pays.»
David Weinberg a commenté: «La leçon, à maintes reprises, tirée de l'histoire de l’humanité moderne, telle que je la lis, est que lorsqu'un dictateur fanatique responsable du massacre de milliers de ses propres citoyens, ainsi que d'horribles violences, appelle au génocide contre l'autre , annonce ce qu'il va faire, la communauté internationale doit prendre cela au sérieux; pas simplement le rejeter comme un discours difficile, une posture ou un jeu devant un public national.»
Il ajoute que parfois, lorsque des «fanatiques meurtriers» disent qu’ils vont commettre un génocide, éliminer des pays ou «diaboliser des religions et des nations entières», ils sont sincères. «C'est une expression de leur véritable vision du monde et de leur véritable intention.»
À peu près au même moment, Twitter a émis des avertissements sur les tweets de Trump au sujet de la fraude généralisée dans le vote par courrier et d'autres tweets qui, selon la plate-forme, violaient sa politique «concernant la glorification de la violence basée sur le contexte historique, son lien avec la violence, et le risque que cela pourrait inspirer des actions similaires aujourd'hui.»
Répondant au sénateur sur le «deux poids deux mesures» consistant à signaler des tweets de Trump mais pas ceux des autres dirigeants mondiaux, Jack Dorsey a déclaré: «Nous avons vu la confusion que cela pourrait engendrer et nous l'avons signalé en conséquence. L'objectif de nos messages d’avertissement est de fournir plus de contexte, de relier les points pour que les gens puissent avoir plus d'informations afin de pouvoir prendre des décisions par eux-mêmes.»
Le 18 mars, Twitter a écrit dans un article de blog qu'il «sollicitait l'avis du public» sur son approche des dirigeants mondiaux.
«Les politiciens et les représentants du gouvernement évoluent constamment dans la manière dont ils utilisent notre service, et nous voulons que nos politiques restent pertinentes par rapport à la nature en constante évolution du discours politique sur Twitter et protègent la santé de la conversation publique».
La plate-forme indique également qu’elle consulte des experts des droits de l'homme, des organisations de la société civile et des universitaires et a publié une enquête publique en 14 langues, dont l'arabe, l'anglais, l'espagnol et le farsi.
«En fin de compte, notre objectif est d'avoir une politique qui équilibre de manière appropriée les droits humains fondamentaux et tient compte du contexte mondial dans lequel nous opérons», annonce l’article.
Les critiques se demandent pourquoi Twitter n'applique pas les mêmes politiques à tous les utilisateurs, qu'ils soient de simples citoyens ou des leaders mondiaux.
«Twitter devrait appliquer ses conditions d'utilisation à tous les utilisateurs, qu'ils soient simples citoyens, élus ou tyran non élus. Propager la haine, glorifier le terrorisme et encourager la négation de l’Holocauste devraient vous faire bannir définitivement de Twitter», écrit David Weinberg dans un article de blog de l’ADL intitulé «Twitter doit bannir le guide suprême de l’Iran.»
S'il y a certainement un intérêt public à accéder librement à un large éventail d'informations, «il n'est pas dans l'intérêt du public que des entreprises fournissent une plate-forme d'incitation à la haine et à la violence», a-t-il déclaré à Arab News.
En outre, l’argument de l'intérêt public ignore le fait que «les chefs d'État disposent de leurs propres moyens pour faire passer leur message», qu’il s’agisse de leurs sites Web ou organes de presse.
«Suggérer qu’Ali Khamenei a besoin d'un compte Twitter pour que les gens puissent connaître ses messages haineux et meurtriers, non seulement ne sert pas l'intérêt public, mais ignore le fait qu'il dispose de nombreux autres moyens pour diffuser sa propagande», souligne David Weinberg.
Cet argument passe également à côté du fait qu'il existe une forte censure sur Twitter en Iran. «L'essentiel en termes d'informations d'intérêt public, en ce qui concerne le peuple iranien, c'est qu'il devrait avoir un accès libre à Internet, ce que son gouvernement ne lui permet pas.»
Une audition intitulée «Nation de la désinformation: le rôle des réseaux sociaux dans la promotion de l’extrémisme et de la désinformation» par le Comité de l’énergie et du commerce, prévue le 25 mars, marque le début d’une nouvelle enquête sur la désinformation qui sévit sur les plates-formes en ligne.
Les PDG de Twitter, Jack Dorsey, de Facebook, Mark Zuckerberg, et de Google, Sundar Pichai, témoigneront.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com