PARIS : Pour concrétiser les défis énergétiques à l’horizon 2030, l’Algérie ambitionne de mettre en place un nouveau modèle économique en matière d’énergies renouvelables via la création d’une société dédiée aux énergies propres avec la contribution des deux groupes publics: Sonatrach et la Sonelgaz.
Abdelwahab Ziani, président de la Confédération des industriels et producteurs algériens (Cipa), a annoncé la création d’une fédération spécialisée dans le renouvelable et la transition énergétique qui aura comme objectif de manifester l’adhésion de la Cipa «aux efforts de l’État dans la démarche nationale, en vue d’une transition souple vers les énergies renouvelables».
Désigné à la tête de cette fédération, Belkacem Haouche, estime qu’il est primordial de «centraliser toutes les questions liées à la mise en œuvre d’une stratégie nationale des énergies renouvelables au sein d’une institution disposant de moyens, de prérogatives et qui assurera le leadership». Il ajoute que «l’Algérie est tenue de se lancer rapidement dans les grands projets en matière d’industries renouvelables, en ouvrant les portes de l’investissement aux grandes compagnies et sociétés étrangères détenant une technologie de pointe dans le domaine des énergies renouvelables».
«L’Algérie doit prendre sa place dans la bataille du marché régional des énergies renouvelables, faute de quoi, elle paiera le prix fort à l’horizon 2030, année où seules les énergies zéro carbone pourront être importées sur le marché européen», prévient-il.
Harrag Abdelghani, expert en énergies renouvelables et professeur à l’université Ferhat Abbes de Sétif, recommande la mise en œuvre d’une stratégie de transition énergétique par l’installation de petites unités de production. «Il faudrait plutôt mettre en place de petits projets locaux tels que l’installation de petits dispositifs solaires, éoliens ou géothermiques pour desservir les zones reculées du grand Sud et des hauts plateaux», a-t-il expliqué lors de son intervention à une conférence intitulée «la sécurité énergétique, perspective 2020-2030», organisée en marge de la 4e édition du salon Électricité et énergies renouvelables (SEER) qui a eu lieu du 8 au 11 mars.
Un appel d’offres pour un programme de 1000 mégawatts (MW) utilisant le photovoltaïque sera lancé en juin prochain. Selon Chems-Eddine Chitour, ministre de la Transition énergétique et des énergies renouvelables, des études de faisabilité ont été effectuées par des experts dans dix wilayas du sud du pays, afin de permettre le lancement d’unités de production d’une capacité de 100 MW chacune.
Boukhalfa Yaïci, directeur général de Cluster Énergie Solaire, un groupement de 34 membres (entreprises nationales, publiques et privées, entités de recherche & développement, mais aussi entreprises internationales installées en Algérie) a répondu aux questions d’Arab News en français. Il évoque la mise en place d’un modèle algérien dans le secteur des énergies renouvelables, les attentes des acteurs de la filière, prêts à s’engager pour donner une impulsion à la production nationale, et l’apport du secteur privé et des partenariats régionaux et internationaux.
Le gouvernement algérien mise sur une stratégie de rationalisation de la consommation énergétique et la mise en œuvre d’un nouveau modèle énergétique à l’horizon 2030. Est-ce réalisable? Quels sont les actions prioritaires à mener pour y parvenir?
Les taux de croissance de la demande d’énergie en électricité, gaz et carburants sont tirés par des tarifs et/ou des prix bas fortement subventionnés qui ne bénéficient pas toujours aux couches défavorisées de la population. On constate un gaspillage énorme sur des ressources énergétiques non renouvelables.
Favoriser les économies d’énergie, utiliser les énergies renouvelables, diminuer le recours aux énergies fossiles est devenu une nécessité absolue pour le pays. La transition énergétique nécessaire pour le pays doit être expliquée et accompagnée. Des mécanismes multiformes simples doivent être mis en place pour inciter les utilisateurs à changer de mode de consommation. Cela doit se faire de manière ordonnée, étalée dans le temps avec des indicateurs vérifiables pour s’assurer de l’efficacité des actions mises en place. Tout ceci doit être fait en augmentant graduellement les tarifs de l’énergie, seule garantie d’un changement progressif mais profond du comportement des usagers.
Une approche étalée dans le temps permettra de créer des milliers d’emplois dans la construction, la rénovation, l’industrie, l’ingénierie, les services… Mais il ne faut pas attendre 2030 pour commencer à entamer le changement. On doit le provoquer dès maintenant.
Un objectif de production de 1000 mégawatts/an a été fixé d’ici à 2035. Quel sera l’apport du secteur privé et des compétences nationales dans divers domaines (technique, scientifique et managérial) dans la concrétisation d’un tel programme?
Le Cluster Énergie Solaire souhaite que cet objectif chiffré soit précisé. Il faudrait avoir des détails sur le plan de déploiement incluant les sites d’implantation, le package de l’appel d’offres incluant les différents documents, le financement du programme de 1000 MW, les éléments concernant le contenu local des produits et services à sourcer localement, afin que toutes les parties prenantes puissent se préparer pour y répondre.
Par exemple, les entreprises ont besoin d’avoir les ressources humaines nécessaires pour mettre en œuvre les différentes phases du projet composées d’ingénieurs, de techniciens supérieurs, de techniciens, d’opérateurs... Aujourd’hui, ces ressources humaines ne sont pas là et il faut du temps pour que l’université, l’institut et le centre de formation puissent préparer les futures cohortes techniques et non techniques nécessaires à un tel déploiement. D’autres parties prenantes ont besoin de disposer de ressources humaines de qualité pour accompagner les pouvoirs publics sur le plan réglementaire, financier…
La crainte du Cluster Énergie Solaire est de voir les uns et les autres travailler dans l’urgence avec tous les débordements qui en découlent. Les mauvaises habitudes prendront rapidement le dessus et les réalisations en souffriront.
Le Cluster Énergie Solaire propose que les pouvoirs publics commencent graduellement et travaillent avec toutes les parties prenantes, en toute transparence, en donnant de la visibilité à tous les acteurs pour se préparer, construire leurs équipes, trouver les financements nécessaires tout en donnant les assurances nécessaires aux investisseurs souhaitant prendre part à ce grand projet.
Quelles sont les attentes des opérateurs nationaux, publics et privés, en matière de coopération constructive avec les partenaires étrangers leaders sur les marchés internationaux?
Les pouvoirs publics doivent travailler sur les aspects réglementaires et financiers en laissant aux opérateurs le soin de contracter des alliances, des accords avec leurs partenaires internationaux. Les opérateurs sont les seuls en mesure d’aller chercher les partenaires, les services, les expertises, les produits dont ils ont besoin et/ou qui manquent localement. Sur un plan stratégique, les orientations mais surtout les avantages accordés par l’État aux investisseurs dans certaines parties de la chaîne de valeur peuvent aider à faciliter la colocalisation de nouvelles unités de production et de nouvelles entités spécialisées dans les services.
Aujourd’hui, les énergies renouvelables peuvent être les réceptacles des financements internationaux nécessaires pour accompagner ce déploiement. Les pouvoirs publics doivent préparer le cadre pour faciliter leur arrivée et leur intégration dans le financement global des 4000 MW d’ici 2024.
Une coopération régionale et/ou continentale est-elle envisagée ou planifiée pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables?
Le déploiement des énergies renouvelables à l’échelle internationale, mais surtout à l’échelle régionale et continentale, est inéluctable. Des expériences réussies dans certains pays de la région peuvent être répliquées pour gagner en rapidité dans le déploiement du programme. De nouveaux modèles économiques sont en train d’émerger et il s’agit de s’en inspirer pour penser globalement et agir localement. La création d’emplois dans la région est un impératif économique qui va impacter la localisation des investissements accélérée par la pandémie de Covid-19. La coopération régionale est fortement souhaitée pour réduire les investissements colossaux qu’il s’agit de faire en matière d’infrastructures de transport et de distribution d’énergie pour satisfaire la demande d’énergie des pays de la région. Il en va de même pour la production d’énergie électrique qui sera plus diffuse et distribuée dans des réseaux intelligents.