PARIS: Beaucoup des travailleurs de la deuxième ligne, surexposés à la pandémie, ne verront pas la couleur de la prime prévue pour les bas salaires, estiment les économistes Julie Valentin et François-Xavier Devetter dans un entretien.
« Il y a un large consensus pour admettre que ces travailleurs devraient être payés plus mais au moment de sortir la somme individuellement, on risque de relativiser le travail qui est fait », juge François-Xavier Devetter, qui vient de cosigner avec Julie Valentin un livre sur « l'avenir des métiers du nettoyage dans une société juste » (Deux millions de travailleurs et des poussières, Les petits matins, 2021).
Le gouvernement a annoncé lundi que les entreprises pourraient, comme en 2019 et 2020, à nouveau verser en 2021 une prime défiscalisée et exonérée de cotisations sociales d'un montant maximum de 1 000 euros à tous les salariés. Sont visés en priorité ceux dits de deuxième ligne qui touchent les plus bas salaires et dont la présence sur le terrain est indispensable en plein reconfinement dans seize départements dont l'Ile-de-France.
Selon Devetter, ils représentent « de 3 à 5 millions de salariés » parmi lesquels les travailleurs du bâtiment et les chauffeurs-livreurs, « des métiers très masculins », ceux du commerce et l'ensemble des métiers liés au nettoyage et à l'aide à domicile, « qui sont féminisés ». « Tous ces métiers sont à des niveaux de rémunération faibles, le plus souvent en-dessous de 1,2 SMIC mensuel. Les métiers féminisés ont en outre des temps de travail réduits. »
« Rien ne se fait sans eux »
L'épidémie de Covid-19 a révélé que « rien ne se fait sans eux » et « jeté un éclairage très fort sur la faiblesse de leur rémunération. Non seulement, ils sont exposés mais ils sont à moins de 1 000 euros mensuels : c'était flagrant pour les aides à domicile ».
"La crise a montré aussi la dilution des employeurs, des donneurs d'ordre. Avec l'externalisation, il y a de plus en plus d'intermédiaires entre la personne qui travaille et tout le reste. Avec la Covid, cela se voit quand on cherche qui doit procurer par exemple les équipements de protection. »
Pour cette enseignante-chercheuse à Paris-1, la prime annoncée lundi et laissée à l'appréciation des employeurs pose problème. « Des gens pourraient ne pas en avoir du tout. Ceux qui sont multi-employeurs, à qui vont-ils la demander ? L'employeur renverra vers le donneur d'ordre ».
Pour Julie Valentin, « c'est une prime pensée pour des travailleurs à plein temps avec un employeur unique, pensée pour un travail typique qui n'est pas celui des salariés auxquels elle s'adresse ».
Parmi les pistes de revalorisation de ces professions, « il faut repenser le décompte du temps de travail », insiste-t-elle. « Il n'y a pas de prise en compte du passage d'une mission à une autre, du temps de récupération, du temps de concertation pour les aides à domicile. »
« Le temps d'intervention des aides à domicile chez les personnes est qualifié de temps productif. Comme la tarification est majoritairement horaire, ce sont ces temps productifs qui sont payés, les autres temps non, ou très peu », explique François-Xavier Devetter, de l'université de Lille. « Une demi-journée commencée doit être une demi-journée payée. Cela existe dans certaines conventions collectives un peu plus protectrices (arts et spectacles, audiovisuel). »
Pour Devetter, « on fait venir quelqu'un pour faire un travail et c'est ce travail global qui doit être payé. C'est une manière de remettre l'employeur face à ses responsabilités » « Il faut aller vers une reconfiguration plus large de ces professions pour les déspécialiser. »