ANKARA: Le principal parti prokurde de Turquie a dénoncé mercredi un «putsch politique» après qu'un procureur eut réclamé son interdiction pour activités «terroristes», accusant le président Recep Tayyip Erdogan de chercher à le réduire au silence avant les prochaines élections.
Un procureur a envoyé mercredi un acte d'accusation à la Cour constitutionnelle demandant l'ouverture d'un procès pour interdire le Parti démocratique des peuples (HDP), la troisième formation politique du pays qui fait l'objet d'une répression implacable depuis 2016.
«Nous appelons toutes les forces démocratiques, toutes les forces d'opposition sociales et politiques et notre peuple à lutter ensemble contre ce putsch politique», ont réagi dans un communiqué les co-présidents du HDP, Pervin Buldan et Mithat Sancar.
Les Etats-Unis ont prévenu qu'une telle dissolution «subvertirait de manière indue la volonté des électeurs turcs, saperait encore davantage la démocratie en Turquie, et priverait des millions de citoyens turcs de leurs représentants élus».
La demande d'interdiction risque en effet de renforcer la préoccupation des pays occidentaux au sujet de l'Etat de droit en Turquie, au moment où Ankara affirme vouloir apaiser ses relations tendues avec Washington et l'Europe.
Dans son acte d'accusation, le procureur estime que celui-ci le HDP «agit comme une extension» du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe qui mène une sanglante guérilla en Turquie et est qualifié de «terroriste» par Ankara et ses alliés occidentaux.
«Les membres du HDP s'efforcent, par leurs déclarations et leurs actes, de détruire l'union indivisible entre l'Etat et la nation», affirme le procureur, cité par l'agence de presse étatique Anadolu.
Il réclame par ailleurs une interdiction d'exercer des fonctions politiques contre 600 membres du HDP, une mesure qui semble destinée à les empêcher de former un nouveau parti.
La Cour constitutionnelle doit encore accepter cet acte d'accusation pour que la date d'un procès soit fixée.
«Nous résisterons»
Cette annonce intervient après plusieurs semaines d'attaques verbales croissantes contre le HDP de la part de M. Erdogan et de son partenaire de coalition informelle, le Parti d'action nationaliste (MHP, extrême droite).
Le chef de l'Etat accuse régulièrement le HDP d'être la «vitrine politique» du PKK.
Mais les critiques ont redoublé d'intensité après une intervention militaire turque avortée visant à secourir 13 otages aux mains du PKK en Irak et qui s'est soldée par la mort de tous les prisonniers mi-février.
Le dirigeant du MHP, Devlet Bahçeli, a déclaré début mars que la fermeture du HDP était devenue «urgente et nécessaire».
Le HDP, qui rejette fermement les accusations d'«activités terroristes», se dit victime de persécution en raison de son opposition à M. Erdogan.
Mercredi, il a accusé le président d'«utiliser la justice comme un bâton pour refaçonner le paysage politique», à deux ans d'élections législatives et présidentielle qui s'annoncent difficiles pour le pouvoir sur fond de difficultés économiques.
«Leur agressivité est la preuve de leur peur panique», a poursuivi le HDP. Mais «quoi qu'ils fassent, nous ne courberons jamais l'échine, nous ne nous rendrons pas (...) Nous allons poursuivre notre résistance démocratique avec détermination», a-t-il ajouté.
Députés destitués
Dans la foulée d'une tentative de putsch le visant en 2016, M. Erdogan a lancé une répression tous azimuts qui a frappé le HDP de plein fouet.
Faisant fi des critiques occidentales, le pouvoir turc a multiplié les arrestations et les destitutions d'élus du HDP, arrêtant par exemple en 2016 son chef de file Selahattin Demirtas, toujours écroué en dépit des appels de la Cour européenne des droits de l'Homme à le libérer.
La demande de fermeture du HDP intervient par ailleurs quelques heures après que le Parlement turc eut déchu de son mandat un député de cette formation, Faruk Gergerlioglu, après la confirmation en dernière instance d'une condamnation à deux ans et demi de prison pour «propagande terroriste».
Dénonçant une «violation de la Constitution», M. Gergerlioglu a affirmé qu'il ne quitterait pas l'hémicycle à moins d'y être contraint par la force.
«C'est une attaque choquante contre les normes démocratiques et l'Etat de droit ainsi qu'une violation de la Constitution turque et des obligations découlant du droit international», a dénoncé sur Twitter la représentante en Turquie de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Emma Sinclair-Webb.
En comptant M. Gergerlioglu, 14 députés du HDP ont été déchus de leur mandat depuis 2016.