BEYROUTH : Avant même de rencontrer les responsables libanais, le numéro trois de la diplomatie américaine David Hale s'est rendu dans un quartier dévasté de Beyrouth où de jeunes bénévoles portent assistance aux victimes de l'explosion meurtrière, en l'absence d'aide de l'État.
Dans le camp de bénévoles "Base camp", dans le quartier ravagé de Gemmayzé, tout est fait "pour faire avancer les choses", a déclaré le sous-secrétaire d'État américain pour les Affaires politiques à l'issue de sa tournée jeudi.
Selon lui, l'engagement de ces volontaires contraste fortement avec la "gouvernance dysfonctionnelle et les promesses vides" des dirigeants politiques libanais et pourrait "permettre de reconstruire Beyrouth, mais aussi d'entreprendre les réformes nécessaires" pour un changement au Liban.
Depuis l'explosion le 4 août d'une énorme quantité de nitrate d'ammonium au port de Beyrouth, de nombreux étudiants et jeunes professionnels ont abandonné leurs cours et emplois pour sauver des vies, aider et reconstruire les maisons détruites.
"Je ne vois pas pourquoi (M. Hale) se rendrait ensuite chez les politiques", estime Wassim Bou Malham, 33 ans, qui dirige une équipe collectant des données au "Base camp".
"L'aide se passe ici, la collecte de données ici, le nettoyage ici, la reconstruction ici", dit-il à l'AFP.
La visite de M. Hale à Gemmayzé fait suite à celle du président français Emmanuel Macron une semaine plus tôt, qui a été accueilli en sauveur par les habitants.
Portant des masques de protection et des gilets jaunes, les bénévoles ont des airs d'experts internationaux lorsqu'ils expliquent la manière dont ils nettoient les rues et gèrent l'aide.
Ils décrivent des modélisations 3D, la collecte de données et les opérations de secours organisées depuis l'explosion qui a fait au moins 171 morts, plus de 6.500 blessés, et 300.000 sans abris.
"Aucun responsable"
M. Bou Malham a appris à gérer des bases de données en travaillant pour de grandes boîtes de nuit à Beyrouth. Des compétences utiles désormais pour venir en aide aux personnes affectées par l'explosion.
La banque de données numérique qu'il a développée avec son équipe de bénévoles est essentielle dans la gestion des livraisons d'aides à des milliers de survivants.
"Nous n'avons vu aucun responsable du gouvernement ou représentant venir ici et nous demander si nous avions besoin de quoi que ce soit", accuse-t-il.
L'État brille par son absence, et pas seulement dans ce camp.
Quelques heures après l'explosion, le nombre de jeunes bénévoles dépassait largement celui des membres de la Défense civile.
Dès le lendemain de la tragédie, ils ont établi un camp offrant nourriture, médicaments, abris temporaires et services de réparation à des milliers de Libanais, en coordination avec des ONG. Et leurs opérations continuent de se développer.
Le "Base camp" a reçu plus de 200 appels en seulement deux heures après la création d'un numéro d'urgence. Les bénévoles ont évalué les dégâts dans 1.200 maisons et installé au moins 600 portes en bois.
"Le travail accompli parlera de lui-même", affirme Bouchra, volontaire de 37 ans, accusant l'État d'inaction.
"Pas d'État"
L'explosion a alimenté la rage de la rue contre les dirigeants libanais accusés d'être responsables du drame en raison de leur incurie et de la corruption.
Les donateurs occidentaux se sont également montrés critiques des dirigeants libanais, qui n'ont jamais entrepris les réformes réclamées par la communauté internationale.
A l'issue d'une conférence internationale de soutien au Liban, les participants ont exigé que l'aide d'urgence soit "directement" distribuée à la population.
John Barsa, l'administrateur de l'agence d'aide internationale des États-Unis USaid, a déclaré que l'aide américaine "n'irait absolument pas au gouvernement".
Jeudi, il a ajouté que l'USaid "augmenterait son soutien financier aux groupes de la société civile au Liban de 30% à 6.627 millions de dollars".
Dans le camp de Gemmayzé, cette aide serait la bienvenue.
Ziad al-Zein arrive avant les bénévoles qui commencent leurs journées à 9 heures, pour s'assurer de la propreté et de la sécurité du camp.
"Nous ne sommes pas des experts en gestion de crise ou de catastrophe. Nous apprenons au fur et à mesure", explique ce bénévole de 33 ans. "Il n'y a pas d'État. Et nous n'abandonnerons pas nos concitoyens dans ces conditions."