Une crise de gouvernance prolongée laisse le Liban à la dérive et isolé

Des manifestants antigouvernementaux scandent des slogans lors d'une manifestation dans le centre de la ville portuaire de Tripoli, dans le nord du Liban, le 31 janvier 2021 (Photo, AFP)
Des manifestants antigouvernementaux scandent des slogans lors d'une manifestation dans le centre de la ville portuaire de Tripoli, dans le nord du Liban, le 31 janvier 2021 (Photo, AFP)
La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté, mais le pire reste à venir (Photo: Marwan Tahtah)
La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté, mais le pire reste à venir (Photo: Marwan Tahtah)
La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté, mais le pire reste à venir (Photo: Marwan Tahtah)
La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté, mais le pire reste à venir (Photo: Marwan Tahtah)
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Publié le Samedi 13 mars 2021

Une crise de gouvernance prolongée laisse le Liban à la dérive et isolé

  • Depuis le début du mois de mars, les Libanais sont dans la rue et se livrent à une nouvelle série de manifestations, alors que la livre atteint un niveau record au marché noir
  • Des rixes ont éclaté dans les supermarchés autour des produits de première nécessité, alors que les familles luttent pour survivre

DUBAÏ: Depuis le début du mois de mars, les Libanais sont dans la rue et se livrent à une nouvelle série de manifestations, alors que la livre atteint un niveau record au marché noir. Au cours de la semaine dernière, des manifestants ont fermé la place principale des Martyrs, dans le centre de Beyrouth, tandis que d’autres ont bloqué l’autoroute qui relie la capitale du Nord et au Sud. 

Un nouveau niveau de violence et de détresse s'est installé dans le pays. Des rixes ont éclaté dans les supermarchés autour des produits de première nécessité, alors que les familles luttent pour survivre. Plus de la moitié de la population vit actuellement sous le seuil de pauvreté. 

Jeudi dernier, le ministre français des Affaires étrangères s’est associé aux critiques qui dénoncent l’inertie des politiciens libanais. «Ils se sont tous engagés à agir pour créer un gouvernement inclusif et à mettre en œuvre des réformes indispensables», déclare Jean-Yves Le Drian à Paris. «C’était il y a sept mois, et rien ne bouge.» 

Le Liban a vécu près de deux mois de confinement strict. Cette période, qui a vivement affecté son économie et a conduit sa population au bord du gouffre, a coïncidé avec une montée des troubles civils et un assassinat politique brutal, qui a fait craindre une nouvelle instabilité. 

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Un jeune garçon réagit tandis que des manifestants antigouvernementaux libanais, qui affrontent les forces de sécurité, font le tour des maisons de députés et de responsables gouvernementaux, dans la ville portuaire de Tripoli, au nord du pays, au mois de janvier 2021 (AFP/File Photo) 

Depuis le 14 janvier dernier, on a interdit aux citoyens qui ne sont pas considérés comme des «travailleurs essentiels» de quitter leur domicile par un confinement strict (vingt-quatre heures sur vingt-quatre) imposé après qu'une flambée des cas de coronavirus a submergé le système de santé du pays. 

Les mesures sanitaires contre le coronavirus ont amplifié la misère d'une population déjà ébranlée par l'effondrement de la monnaie, de nombreux ménages étant contraints de recourir à l’aumône ou à un marché noir en plein essor. 

L’impact combiné de la reprise des manifestations, de la violence politique et de la souffrance économique ébranle les Libanais, encore sous le choc du traumatisme de l’explosion du port de Beyrouth en août dernier. 

Pour les familles qui sont confrontées à la misère et qui ont peu de chances d'être aidées par un gouvernement fonctionnant à peine, ce dernier confinement représente un véritable coup de massue. 

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Des manifestants antigouvernementaux libanais qui font le tour des maisons de députés et de responsables gouvernementaux brûlent des ordures dans la ville portuaire de Tripoli, au nord, afin de protester contre la situation économique et le rôle des dirigeants dans la conduite du pays vers la crise, le 28 janvier 2021 (AFP/File Photo) 

«Rien de tout cela n’est surprenant», déclare à Arab News Nasser Saïdi, ancien ministre libanais de l’Économie et du Commerce. 

«Les salaires diminuent. Le PIB est en baisse d'au moins 25%. Nous avons une inflation supérieure à 130%, la pauvreté générale atteint 50% de la population, la pauvreté alimentaire représente plus de 25% de la population, le chômage augmente rapidement, et des milliers d'entreprises sont en train de fermer», déplore-t-il. 

«Tout cela coïncide avec le confinement. Cette décision de verrouiller le Liban, telle qu’elle a été prise, était stupide, parce qu’elle a empêché les gens d’acheter des produits de première nécessité. Et cela mène à la fermeture des usines et à l’arrêt de la fabrication», poursuit l’homme politique. 

«Si vous tombez malade, vous n’avez même pas la possibilité de vous déplacer jusqu’à l’hôpital ou de bénéficier de ses services. Les hôpitaux sont pleins à cause de la Covid-19. Il y a eu une série de décisions et de politiques très mauvaises et le Liban en paie le prix. Cela va continuer. À mon avis, nous ne voyons que la partie émergée de l’iceberg», explique-t-il. 

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Des soldats de l'armée libanaise se déploient autour de la place Al-Nour dans la ville nord de Tripoli, après des affrontements entre les forces de sécurité et des manifestants antigouvernementaux (AFP/Fichier Photo) 

La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté; mais le pire est à venir. Alors que le taux officiel du dollar américain (1 dollar = 0,84 euro) au Liban est de 1 520 livres libanaises (LBP), le prix du marché noir atteint désormais un niveau record de 10 000 LBP contre 7 000 LBP il y a à peine quelques mois. 

Le 8 mars dernier, le président, Michel Aoun, a demandé aux forces de sécurité d'éviter que les routes ne soient bloquées par les manifestants après que les manifestants ont proclamé un «jour de rage». Des troupes ont été amenées à ouvrir brièvement les routes principales bloquées par les manifestants, qui les ont ensuite refermées, engageant un bras de fer sans issue avec les forces gouvernementales. 

En l’absence d'un nouveau cabinet ou de la mise en œuvre de réformes, certains manifestants ont appelé à une relance du mouvement de rue de la fin de l’année 2019, qui exigeait le retrait de l’ensemble de la classe politique. 

Les détracteurs du gouvernement et des diverses factions armées qui contrôlent la vie politique au Liban sont passibles de représailles pour avoir pris la parole. Le 5 février, l'intellectuel Lokman Slim, très critique envers le Hezbollah, a été retrouvé mort dans une voiture dans la région sud de Zahrani. Son corps présentait de multiples traces de blessures par balle. 

QUELQUES CHIFFRES

Crise au Liban 

  • 405 000: nombre d’infections à la Covid-19 enregistrées. 
  • 19,2%: baisse du PIB en 2020. 
  • 1/5: proportion de la population en situation d'extrême pauvreté. 

En dépit des enquêtes en cours, la milice chiite soutenue par l'Iran est considérée comme le principal suspect. De nombreux observateurs estiment que ce meurtre marque un tournant sombre dans un pays dont le sort ne tient déjà qu'à un fil. 

«Malgré tous les assassinats que nous avons eus au Liban au début des années 2000 et l'invasion israélienne de 2006, nous ne nous sommes jamais sentis en danger comme aujourd’hui», déclare à Arab News Mariana Wehbe, qui dirige un cabinet de relations publiques à Beyrouth. «Quand avons-nous dû cacher nos bijoux et nos objets de valeur auparavant? Tout le monde a peur de ce qui va arriver ensuite.» 

Certains observateurs craignent que le naufrage économique du Liban ne rende le peuple encore plus dépendant des factions politiques, qui leur fournirait aide et sécurité – un retour à la période de la guerre civile, entre 1975 et 1990, quand les milices régnaient en maîtres. 

Bien que pessimiste, Ramzi el-Hafez, un analyste politique qui vit à Beyrouth, estime que le Liban est encore loin de connaître une réplique de la guerre qui avait anéanti le pays en 1975. 

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Tripoli était déjà l’une des régions les plus pauvres du Liban avant que la pandémie de coronavirus ne génère une crise économique chronique. Beaucoup de ses résidents se sont retrouvés sans revenus depuis que le Liban a imposé un confinement plus tôt ce mois-ci, dans le but d'endiguer une flambée des cas de Covid-19 et d'éviter que ses hôpitaux ne soient submergés (AFP/Fichier Photo) 

«Nous avions deux groupes armés qui se battaient. Maintenant, nous n'avons plus que le Hezbollah, et aucun groupe armé n'essaie de le combattre», explique El-Hafez à Arab News. 

«Il n'y a aucun signal de guerre civile. La nouvelle phase est celle dans laquelle nous nous trouvons déjà: le Hezbollah contrôle le pays en toute impunité, et personne ne s'y oppose. En outre, le Liban a pu bénéficier par le passé de l'aide d'amis dans le Golfe et en Occident. Désormais, personne ne l’aide», constate-t-il. 

«Nous essayons de résoudre nos problèmes, mais nous ne sommes pas en mesure de le faire et nos amis nous disent de nous débarrasser du Hezbollah avant d’accepter de nous aider. Au Liban, nous sommes pris au piège. C'est cela, la nouvelle phase», indique-t-il encore. 

Le meurtre de Lokman Slim ne représente pas une étape significative, estime M. El-Hafez, car les meurtres de ce genre n’ont pas cessé depuis l’assassinat de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, en 2005. 

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Les forces de sécurité affrontent des manifestants antigouvernementaux le long d'une route principale près de la place Al-Nour, dans le centre de la ville portuaire du nord du Liban de Tripoli (AFP/Fichier Photo) 

«Parfois, les assassinats sont espacés, mais, à chaque nouveau crime, les gens pensent que nous sommes entrés dans une nouvelle phase», affirme-t-il. 

Tout le monde n'est pas convaincu que le meurtre de Slim soit anodin. À Tripoli, une source, qui s'est entretenue avec Arab News sous couvert d'anonymat, pense que le Hezbollah s'est retrouvé acculé. 

«Il semble que le Hezbollah n’ait pas eu le choix», déclare cette source. «Quelque chose se passe en coulisses, mais nous ne savons pas encore ce que c'est. Il est périlleux pour le pays qu'une nouvelle période d'assassinats puisse avoir lieu, en plus de ce que nous traversons déjà.» 

Lorsqu'un rival politique est assassiné au Liban, l'affaire est rarement résolue. Les factions et les milices dominent depuis longtemps le paysage politique. Elles se caractérisent par le clientélisme, le favoritisme social et le sectarisme. 

«Avant tout accord, les partis resserrent leurs rangs», déclare la source. «Les partis politiques libanais considèrent la politique comme une entreprise et non comme un service rendu au peuple.» En conséquence, un gouvernement inefficace ne peut lancer un plan de sauvetage financier ou mettre en œuvre des réformes économiques, pourtant désespérément nécessaires pour sortir le pays du marasme. 

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La détérioration de la situation économique et financière a plongé des dizaines de milliers de Libanais dans la pauvreté, mais le pire est à venir (Photo: Marwan Tahtah) 

Le sort du Hezbollah dépend, dans une large mesure, de celui de ses patrons à Téhéran, selon les analystes. Sous la pression des sanctions de l'administration Trump, l'Iran et ses divers mandataires dans la région se sont retrouvés coincés et isolés. 

L’administration américaine devrait renégocier le Plan d’action global conjoint (JCPOA), l’accord nucléaire iranien, que le président Joe Biden a aidé à mettre en place au moment où il était le vice-président de Barack Obama. 

Bien que l'équipe de Biden ait fait savoir qu'elle ne donnerait pas à l'Iran le même blanc-seing que celui dont il avait bénéficié au cours des années Obama pour poursuivre ses activités «malveillantes» dans la région, ce changement est de bon augure pour l'avenir des mandataires iraniens tels que le Hezbollah après les «fortes pression de Trump». 

M. El-Hafez doute qu'une attitude plus conciliante des États-Unis envers l'Iran ait un effet immédiat sur le Liban. 

«Je ne pense pas que nous puissions attendre quoi que ce soit de l'administration Biden à court terme», explique-t-il. «Bien que les Américains soient intéressés par un nouvel accord avec l'Iran, les négociations prendront beaucoup de temps. La dernière fois, l'accord a mis plusieurs années à se concrétiser.» 

«En ce qui concerne le Liban, je ne pense pas que le pays puisse s’attendre à une aide avant un bon moment», conclut-il. 

Twitter: @rebeccaaproctor 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com


1977 : Quand Sadate s'est rendu en Israël

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  • Premier dirigeant arabe à se rendre dans le pays, le président égyptien a fait une tentative de paix qui a indigné la région
  • Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien

LE CAIRE: Le 8 novembre 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate a annoncé devant le parlement égyptien - en présence de Yasser Arafat, chef de l'Organisation de libération de la Palestine - qu'il était prêt à se rendre à Jérusalem pour entamer des négociations en vue d'un processus de paix avec Israël.

Cette annonce a choqué toutes les personnes présentes et, au fur et à mesure que la nouvelle se répandait, elle a surpris le monde entier, y compris Israël même : si l'Égypte reconnaissait diplomatiquement Israël, elle serait le premier État arabe à le faire.

Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien.

"Aujourd'hui, je suis venu à vous avec des mesures fermes, pour construire une nouvelle vie et établir la paix", a-t-il déclaré aux membres de l'assemblée.

"Nous tous sur cette terre, musulmans, chrétiens et juifs, adorons Dieu et personne d'autre que Lui. Les enseignements et les commandements de Dieu sont l'amour, la sincérité, la pureté et la paix".

Arab News a publié en première page la visite d'Anouar el-Sadate en Israël, relatant les événements qui ont conduit à l'accord de paix historique.

Il a déclaré qu'il n'avait consulté personne avant de prendre sa décision, ni ses collègues, ni les autres chefs d'État arabes.

Il parle des familles des "victimes de la guerre d'octobre 1973 ... toujours en proie au veuvage et au deuil de leurs fils et à la mort de leurs pères et de leurs frères".

Il a également affirmé qu'il était de son devoir "de ne rien négliger pour épargner à mon peuple arabe égyptien les horreurs déchirantes d'une autre guerre destructrice, dont seul Dieu peut connaître l'ampleur".

Sadate a ajouté que les autorités israéliennes devaient faire face à certains faits "avec courage et clairvoyance". Elles doivent se retirer des territoires arabes qu'elles occupent depuis 1967, y compris Jérusalem. En outre, tout accord de paix doit garantir "les droits fondamentaux du peuple palestinien et son droit à l'autodétermination, y compris le droit de créer son propre État".
Sadate a été le premier dirigeant arabe à se rendre en Israël et s'adresse au Parlement israélien le lendemain. "Devant nous aujourd'hui se trouve la chance de la paix... une chance qui, si elle est perdue ou gâchée, entraînera la malédiction de l'humanité et la malédiction de l'histoire pour celui qui aura comploté contre elle", a-t-il indiqué. 

Le pari audacieux de Sadate a suscité la colère dans le pays et à l'étranger. Ismail Fahmy, ministre égyptien des Affaires étrangères, a démissionné de son poste deux jours avant la visite. Dans ses mémoires, il décrit l'initiative de Sadate comme "un geste irrationnel dans un jeu de paix long et compliqué". Ensuite, Sadate nomme Mahmoud Riad comme nouveau ministre des Affaires étrangères, qui a également démissionné.

En effet, les critiques ne manquaient pas en Égypte, notamment celles de l'éminent homme politique Fouad Serageddin et de l'écrivain Youssef Idris, qui qualifiaient le geste de Sadate de "soumission et d'humiliation de la volonté victorieuse de l'Égypte face à un ennemi vaincu", en référence à la victoire d'octobre 1973 des forces égyptiennes et syriennes sur Israël dans le Sinaï et sur les hauteurs du Golan.

De nombreux pays arabes de la région ont suspendu leurs relations avec l'Égypte et gelé les projets communs et les investissements dans le pays, qui a également été exclu de la Ligue arabe.

Cette colère s'est reflétée dans les rues de la région, avec des manifestations dans plusieurs villes arabes, dont Beyrouth, Damas, Bagdad, Aden, Tripoli et Alger.

La visite de Sadate à Jérusalem était la première étape d'un processus de négociations de deux ans entre l'Égypte et Israël, sous l'égide des États-Unis, qui s'est achevé par la signature d'un traité de paix entre Sadate et le premier ministre israélien Menachem Begin à Washington le 26 mars 1979, en présence du président Jimmy Carter, à la suite des accords de Camp David de septembre 1978.

Sadate avait alors signé son propre arrêt de mort. Parmi les personnes et les organisations qui ont appelé à sa mort figurent Omar Abdel Rahman, chef d'un groupe islamiste extrémiste actif en Égypte à l'époque, les Frères musulmans et l'ayatollah Khomeini, chef de la révolution iranienne.

Le 6 octobre 1981, alors qu'il assiste à la parade militaire annuelle au Caire pour célébrer la victoire égyptienne de 1973 dans le Sinaï, Sadate et dix autres personnes sont abattus par des membres du Tanzim Al-Jihad, un groupe islamiste égyptien.

Hani Nasira est un universitaire et expert politique égyptien, ainsi que le directeur de l'Institut arabe d'études. Il est l'auteur de plus de 23 ouvrages.
 


1976, les origines de la Journée de la Terre

Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
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  • La Journée de la terre reflète une injustice historique non résolue
  •  Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par les forces israéliennes

AMMAN: La Journée de la terre, célébrée chaque année le 30 mars, commémore un moment crucial de l'histoire palestinienne: en 1976, six citoyens palestiniens d'Israël non armés ont été tués par les forces israéliennes lors de manifestations contre l'expropriation par le gouvernement de terres appartenant à des Arabes en Galilée.

Cet événement n'a pas seulement marqué la première mobilisation de masse des Palestiniens en Israël depuis 1948, il a également mis en évidence leur lutte permanente pour les droits fonciers et l'identité.

Les premières manifestations de la Journée de la terre, le 30 mars 1976, ont été déclenchées par le projet du gouvernement israélien de confisquer environ 20 000 dunams (2 000 hectares) de terres dans la région de Galilée, au nord d'Israël. Les terres visées par l'expropriation, dans des villages tels que Sakhnin, Arraba et Deir Hanna, appartenaient principalement à des citoyens palestiniens d'Israël.

Cette confiscation de terres à grande échelle s'inscrivait dans le cadre d'une politique israélienne plus large, la «judaïsation de la Galilée», qui visait à accroître la population juive dans la région et à réduire la proportion de terres appartenant à des Arabes.

La Journée de la terre reflète également une injustice historique non résolue. Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par la force. L'armée israélienne a promis aux habitants, qui sont devenus citoyens israéliens et ont continué à vivre en Israël, qu'ils pourraient retourner chez eux après une brève évacuation jugée nécessaire pour des raisons de sécurité. Cependant, ils n'ont jamais été autorisés à rentrer chez eux; au contraire, les villages ont été détruits et les terres expropriées par l'État israélien.

Les villageois d'Iqrit et de Biram, ainsi que leurs descendants, continuent de faire campagne pour leur droit au retour, et les deux villages perdus restent des symboles durables de la lutte palestinienne plus large pour le droit à la terre.

Arab News a commémoré le 75e anniversaire de la Nakba en titrant en première page «La lutte continue».

L'importance de la Journée de la terre va au-delà des événements de 1976. La commémoration annuelle permet de rappeler le lien profondément ancré entre le peuple palestinien et ses terres ancestrales, un lien qui a été continuellement menacé par les politiques israéliennes conçues pour modifier les paysages historiques, démographiques et géographiques de la Palestine.

Au cours des années qui ont suivi cette première Journée de la terre, le gouvernement israélien a continué à mettre en œuvre des politiques qui aboutissent à l'appropriation de terres palestiniennes. Ces actions comprennent l'expansion des colonies en Cisjordanie, la construction de la barrière de séparation et la désignation de terres domaniales dans des zones traditionnellement utilisées par les communautés palestiniennes.  

La réponse à ces politiques a été multiforme, englobant des défis juridiques, un activisme de base et un plaidoyer international.

Les citoyens palestiniens d'Israël, ainsi que ceux des territoires occupés et de la diaspora, ont utilisé la Journée de la terre comme plate-forme pour mettre en lumière les problèmes de dépossession des terres et appeler à la justice et à l'égalité. Cette journée est devenue un événement fédérateur, favorisant la solidarité entre Palestiniens au-delà des clivages géographiques et politiques.

Cependant, les défis à relever restent considérables. Le système juridique et politique israélien favorise souvent les intérêts de l'État et des colons, ce qui rend difficile pour les Palestiniens de récupérer les terres confisquées ou d'empêcher de nouvelles expropriations.

Les lois israéliennes ont facilité l'expansion des colonies, fourni des protections juridiques aux colons et permis l'appropriation de terres, souvent au détriment des droits des Palestiniens. La loi de 1970 sur les questions juridiques et administratives, par exemple, promulguée après l'annexion de Jérusalem-Est en 1967, permet aux juifs de récupérer les propriétés qui leur appartenaient dans cette zone avant 1948, même si des Palestiniens y ont vécu pendant des décennies depuis lors. Toutefois, les Palestiniens n'ont pas le même droit de réclamer les propriétés qu'ils possédaient à Jérusalem-Ouest, ou ailleurs en Israël, avant la guerre de 1948.

Les expulsions de Sheikh Jarrah en 2021, qui ont été à l'origine de la guerre de 11 jours entre Palestiniens et Israéliens cette année-là, ont montré que les communautés palestiniennes sont toujours menacées d'expulsion à Jérusalem-Est en vertu des lois israéliennes. La Cour suprême israélienne a tranché en faveur des colons en décidant que les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah ne pouvaient rester sur place que si elles payaient un loyer aux colons, reconnaissant de fait les revendications de ces derniers en matière de propriété de biens immobiliers antérieurs à 1948.

En outre, les réactions internationales à ces développements se sont souvent limitées à des déclarations d'inquiétude, avec peu d'actions tangibles pour tenter de rendre les autorités israéliennes responsables de leurs politiques, y compris celles liées aux questions d'expropriation de terres, de colonies illégales et de déplacements de population.

Ces dernières années, la Journée de la terre a pris une signification supplémentaire, notamment dans le contexte des manifestations de la Grande Marche du retour qui ont débuté en 2018 dans la bande de Gaza. Ces manifestations, qui réclamaient le droit au retour des réfugiés palestiniens et la fin du blocus de Gaza, se sont heurtées à une violence importante de la part des forces israéliennes, faisant de nombreuses victimes.

En outre, les actions des citoyens palestiniens d'Israël en Galilée n'ont pas permis à la société israélienne de prendre véritablement conscience des injustices historiques et actuelles perpétrées à l'encontre de ces Palestiniens. Il s'agit notamment de l'incapacité à reconnaître la discrimination systémique et la dépossession qui ont caractérisé les politiques de l'État, ou à œuvrer en faveur d'une égalité et d'une réconciliation véritables.

Les événements de 1976, qui ont marqué la première mobilisation palestinienne de masse depuis 1948, ont mis en évidence le pouvoir de la solidarité au-delà des clivages politiques, religieux et idéologiques. Cette unité est restée la pierre angulaire de la lutte, renforçant l'idée que ce n'est que par des efforts collectifs que les politiques discriminatoires peuvent être efficacement contestées et les droits affirmés.

Les enseignements de la Journée de la terre soulignent également l'importance d'une résistance stratégique et persistante, tant au niveau local qu'international. L'attention mondiale suscitée par les manifestations de 1976 a montré l'importance d'un activisme pacifique et organisé pour amplifier la cause palestinienne. Elles ont également mis en évidence la nécessité d'une mobilisation politique pour lutter contre la discrimination systémique et garantir l'égalité des droits.

Pour les Palestiniens d'Israël et d'ailleurs, la Journée de la terre est une occasion qui résume à la fois la douleur de la perte et l'espoir d'un avenir où règnent la paix et la justice.

Daoud Kuttab est chroniqueur pour Arab News, spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient, et plus particulièrement dans les affaires palestiniennes.

Il est l'auteur du livre «State of Palestine NOW: Practical and logical arguments for the best way to bring peace to the Middle East».


1979 : La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan

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  • Les événements sismiques de 1979 ont remodelé le Moyen-Orient, alimentant l'extrémisme, les hostilités régionales et les conflits mondiaux qui continuent de se répercuter aujourd'hui

RIYAD – Dans une région où les bouleversements géopolitiques sont presque monnaie courante, la triple onde de choc de 1979 a fait de cette année un tournant exceptionnel, hors du commun.

La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan ont été reliés par un seul et même fil conducteur : La naissance d'une forme d'extrémisme islamique qui allait avoir des conséquences catastrophiques pour des millions de personnes, et dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui dans le monde entier.

Les premiers grondements ont commencé l'année précédente, dans un contexte d'inquiétude généralisée en Iran face au régime de plus en plus oppressif du shah Mohammed Reza Pahlavi, dont les réformes de la "révolution blanche" étaient perçues par beaucoup comme poussant l'occidentalisation du pays trop loin et trop vite.

En janvier 1978, une manifestation religieuse dans la ville de Qom, centre d'études chiites situé à 130 kilomètres au sud-ouest de la capitale, Téhéran, a été violemment réprimée par les forces de sécurité qui ont ouvert le feu, tuant jusqu'à 300 manifestants, principalement des étudiants du séminaire.

Les manifestations se sont étendues aux villes du pays et ont culminé à la fin de l'année par des grèves et des protestations généralisées pour exiger le départ du shah et le retour du grand ayatollah Khomeini de son exil en France.

Comment nous l'avons écrit

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Le journal a couvert la "première crise majeure" du gouvernement iranien lorsque les troupes pro-Chah ont affronté les manifestants à Ahwaz, ravivant les tensions dans le contexte d'un tremblement de terre simultané.

Le 16 janvier 1979, le chah et sa famille quittent l'Iran pour ne plus jamais y revenir. Le 1er février, Khomeini est arrivé à l'aéroport de Mehrabad à Téhéran, débarquant d'un vol Air France en provenance de Paris après 15 ans d'exil, accueilli dans le tumulte par des millions d'Iraniens.

En l'espace de dix jours, les derniers vestiges de l'ancien régime se sont effondrés et Shapour Bakhtiar, le premier ministre nommé par le chah à peine un mois plus tôt, a pris le chemin de l'exil.

Le 1er avril 1979, les résultats d'un référendum national sont révélés et, avec le soutien de plus de 98 % des électeurs, Khomeini déclare la création de la République islamique d'Iran, dont il sera le chef suprême.

La révolution iranienne a été fondée sur une base constitutionnelle sectaire qui mettait l'accent sur l'exportation de son idéologie révolutionnaire, ce qui a alimenté les tensions sectaires dans toute la région.

La révolution a introduit la théorie de la tutelle du juriste (Wilayat Al-Faqih), un principe sectaire qui place le juriste islamique, ou expert en droit islamique, au-dessus de l'État et de son peuple, lui accordant l'autorité ultime en matière de relations étrangères et de sécurité nationale.

Le juriste gardien se perçoit comme le chef de tous les musulmans du monde, son autorité ne se limitant pas aux Iraniens ni même aux chiites. C'est cette prétention au leadership universel qui a le plus alarmé les autres pays de la région, car cette théorie fait fi de la souveraineté des États, favorise les groupes sectaires et accorde au régime révolutionnaire le "droit" d'intervenir dans les affaires des autres nations.

L'attachement de la nouvelle République islamique au principe de l'exportation de sa révolution a encore exacerbé les hostilités régionales, la guerre Iran-Irak qui a éclaté en 1980 en étant le point de départ.

Le programme révolutionnaire de l'Iran avait cherché à affaiblir l'Irak, un pays arabe essentiel, en incitant et en soutenant les groupes et les milices chiites par l'entraînement, l'aide financière et les armes. En fin de compte, ce sont ces groupes qui ont formé la base des milices que l'Iran a largement exploitées après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, lorsque le régime Baas de Saddam Hussein a chuté.

Il n'a pas fallu longtemps pour que les craintes des voisins de l'Iran de voir la révolution se propager dans toute la région se concrétisent.

Le 20 novembre 1979, après la prière de l'aube dans la Grande Mosquée de La Mecque, plus de 200 hommes armés, dirigés par Juhayman al-Otaibi, un extrémiste religieux, se sont emparés du site sacré et ont annoncé que le Mahdi tant attendu, l'annonciateur du jour du jugement, prophétisé pour apporter la justice après une période d'oppression, était apparu. Ce prétendu Mahdi était le beau-frère d'Al-Otaibi, Mohammed Al-Qahtani.

Al-Otaibi demande à ses partisans de fermer les portes de la mosquée et de placer des tireurs d'élite au sommet de ses minarets, qui dominent La Mecque. Pendant ce temps, l'homme identifié comme le Mahdi, qui se croyait sous protection divine, a été rapidement abattu par les forces spéciales saoudiennes lorsqu'il est apparu lors des affrontements sans protection.

Le siège de La Mecque s'est poursuivi pendant 14 jours et s'est achevé par la capture et l'exécution d'Al-Otaibi et de dizaines de ses compagnons d'insurrection survivants.

Bien qu'il n'y ait aucune preuve de l'implication directe de l'Iran dans la prise de la Grande Mosquée, le climat révolutionnaire en Iran a été une source d'inspiration idéologique pour de nombreux mouvements extrémistes et organisations armées au cours de cette période.

La réponse énergique du gouvernement saoudien au siège a envoyé un message clair et sans équivoque aux factions extrémistes : la rébellion et les idéologies violentes ne seraient pas tolérées. Cette stratégie de dissuasion s'est avérée déterminante pour préserver le royaume de nouvelles violences et de nouvelles effusions de sang.

Comment nous l'avons écrit

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Arab News a rapporté la fin du siège, citant 75 "renégats" tués, 135 capturés et 60 soldats saoudiens morts "au service de Dieu".

Mais l'année 1979 cachait un autre choc. Le 25 décembre, un peu plus d'un mois après la fin du siège de La Mecque, les troupes soviétiques envahissent l'Afghanistan.

L'invasion a eu lieu au cours d'une période d'intense instabilité politique dans le pays. En 1978, le président Mohammed Daoud Khan et sa famille ont été renversés et tués par Nur Mohammed Taraki, un communiste.

Le règne de Taraki a été de courte durée : son ancien camarade de parti, Hafizullah Amin, s'est emparé du pouvoir et l'a tué. Les tentatives d'Amin d'aligner l'Afghanistan plus étroitement sur les États-Unis ont incité les Soviétiques à orchestrer son assassinat et à le remplacer par Babrak Karmal, un communiste plus fiable, s'assurant ainsi une direction plus docile.

L'intervention soviétique a été motivée par plusieurs raisons. Sur le plan économique, la richesse en ressources naturelles de l'Afghanistan en faisait une cible de choix. Sur le plan politique, l'invasion visait à soutenir le régime communiste chancelant et à s'assurer qu'aucun gouvernement hostile n'émerge en Afghanistan, un voisin clé dans la sphère géopolitique immédiate de l'Union soviétique.

Cet objectif était particulièrement important dans le contexte plus large de la guerre froide, où les États-Unis s'efforçaient activement de contrer l'influence soviétique en encerclant l'Union soviétique et en freinant ses ambitions expansionnistes.

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Arab News rapporte que le ministre afghan Muhammad Abdo Yamani a exhorté l'Autriche à exiger le départ des forces soviétiques d'Afghanistan et a suggéré un embargo pour faire pression sur leur retrait.

En Afghanistan, l'armée soviétique s'est heurtée à une forte résistance de la part des moudjahidines islamistes, qui bénéficiaient d'un soutien important de la part des puissances internationales, en particulier des États-Unis et de leurs alliés régionaux, et l'intervention s'est finalement avérée vaine.

Pendant dix ans, l'Union soviétique a subi d'importantes pertes humaines et matérielles en Afghanistan, mais n'a pas réussi à reprendre le contrôle et la stabilité politique du pays grâce au système politique qu'elle avait adopté. Ce système manquait de légitimité populaire et ne contrôlait qu'un territoire limité, le reste du pays restant sous le contrôle des forces d'opposition.

Tous ces facteurs ont finalement contraint l'armée soviétique à se retirer d'Afghanistan après près d'une décennie. La guerre civile qui s'ensuivit aboutit à l'arrivée au pouvoir des Talibans en 1996.

L'invasion soviétique de l'Afghanistan a eu des conséquences considérables. Sur le plan géopolitique, elle a révélé les limites de l'armée soviétique, et l'échec en Afghanistan a coïncidé avec le déclin politique et économique interne de l'Union soviétique, son incapacité à rivaliser avec les États-Unis dans la course aux armements et l'éclatement de soulèvements populaires dans les pays qui avaient adopté le modèle socialiste.

En tant que telle, l'invasion est largement considérée comme un facteur majeur ayant contribué à l'effondrement final de l'Union soviétique.

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Les résistants afghans ont repoussé l'invasion soviétique au prix d'un immense sacrifice humain et d'une aide importante de l'Occident, en particulier des États-Unis. On estime à 1,5 million le nombre d'Afghans qui ont trouvé la mort dans ce conflit. (AFP)

La guerre est également devenue un terreau fertile pour les mouvements extrémistes djihadistes. Les Arabes et les musulmans qui ont rejoint la résistance afghane ont trouvé dans le conflit une plateforme unificatrice, attirant des dirigeants et des combattants de plusieurs pays du monde islamique.

À leur retour dans leur pays, ces individus ont apporté avec eux une expertise militaire et des idéologies radicales. Cet environnement a facilité la création d'organisations terroristes, ces vétérans cherchant à reproduire la lutte armée pour renverser les régimes dans leur propre pays.

Le produit le plus marquant de ce phénomène est Oussama ben Laden, né en Arabie saoudite, qui a combattu aux côtés des moudjahidines contre les Soviétiques en Afghanistan. Il a fondé le groupe terroriste Al-Qaida, qui s'est imposé comme une force de premier plan parmi les organisations religieuses extrémistes.

Ben Laden et Al-Qaida ont joué un rôle crucial dans la vague mondiale de terrorisme qui a culminé avec les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis et toutes les répercussions qui en ont découlé. L'invasion de l'Afghanistan par une coalition dirigée par les États-Unis en 2001 et la montée en puissance de groupes terroristes soutenus par l'Iran en Irak après le renversement de Saddam Hussein en 2003, qui ont finalement conduit à la montée en puissance de Daesh, en sont des exemples.

Mohammed Al-Sulami dirige l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com