ALGER: L’avant-projet de loi récemment proposé par le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, provoque un véritable tollé: il prévoit de déchoir de sa nationalité tout Algérien qui, en dehors du territoire national, commet des actes causant volontairement de graves préjudices aux intérêts de l’État ou portant atteinte à l’unité nationale.
Que ce soit au café, sur le marché ou au travail, les Algériens ne parlent que de cela ces derniers jours. Il faut dire que cette initiative a suscité une énorme indignation, d’autant plus que les mesures récemment décidées contreviennent au droit international, soulignent des universitaires et les experts.
Mesure dissuasive à l’encontre d’une diaspora incontrôlable?
Le timing de cet avant-projet de loi fait également réagir la population, d’autant qu’il survient au moment où le mouvement de protestation populaire du Hirak, soutenu par une large part de la diaspora, retrouve sa vigueur. «Le projet de loi sur la déchéance de la nationalité visant des Algériens installés à l'étranger illustre en vérité la déchéance politique des concepteurs de ce projet», déplore Abed Charef sur son compte Twitter.
D’autres pensent que cette mesure est une tentative claire destinée à entraver la mobilisation d’une diaspora impliquée et militante. «Ne pouvant plus contrôler la diaspora comme il pouvait le faire dans les années 1970, le pouvoir algérien envisage de déchoir de leur nationalité celles et ceux qu'il qualifie d'ennemis de la nation. La fuite en avant continue...», écrit Akram Belkaïd, journaliste au Monde diplomatique, sur le célèbre réseau social à l'oiseau bleu.
Il faut noter que la plupart des juristes et des avocats algériens n’ont pas eu accès au contenu de ce projet de loi dans sa première mouture. «Nous n'avons pas encore pu voir cet avant-projet», assure ainsi à Arab News en français l'avocat algérien Zakaria Benlahrech, membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).
Me Benlahrech estime que toute législation locale est censée servir les intérêts des citoyens: «Je ne vois donc pas la nécessité de modifier ni de compléter la loi sur la nationalité dans les circonstances actuelles. Les citoyens ont besoin de mécanismes pour protéger davantage leurs droits et leurs libertés constitutionnels, non pas le contraire!», s’étonne-t-il.
L’avocat affirme que les droits et les libertés des individus enregistrent visiblement un certain recul. D’où l’importance, et même la nécessité, de les consolider à travers les futurs textes de lois. Et, pour joindre la parole à l’acte, il est d’ailleurs question de trouver les mécanismes qui permettent leurs applications sur le terrain.
En outre, le défenseur des droits de l’homme fait savoir que cette procédure de déchéance de la nationalité vise à réprimer des voix dissidentes, notamment celles des Algériens qui résident à l'étranger et qui ont apporté un grand soutien au mouvement populaire, faisant pression sur le système politique algérien pour obtenir la libération des détenus d'opinion.
«Le droit à une nationalité est un droit de l'homme fondamental»
Me Benlahrech constate également que le projet de loi ne concerne que les hommes algériens qui détiennent la nationalité algérienne d'origine ou acquise et qui résident hors du territoire national. Cela signifie que les Algériennes résidant hors du territoire national et détenant la nationalité algérienne à quelque titre que ce soit ne sont pas incluses dans ce projet de loi « lors de sa présentation en langue arabe le projet de loi s’adresse à l’homme algérien et non pas à la femme algérienne, et la égislation ainsi que la formulation des textes doit être nette et précise » ,a-t-il expliqué .
«De plus, la terminologie utilisée dans ce projet de loi reste très ambiguë», observe le spécialiste du droit. «Qu’est-ce que l'on entend par “les intérêts de l'État” et “l'unité nationale”? Quels sont les pays hostiles à l'État algérien auxquels il est fait référence?», s’interroge-t-il.
Pour l’avocat, le droit à une nationalité est un droit de l'homme fondamental. «Les pays qui, comme l'Algérie, ont ratifié la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l'homme devraient éviter les mesures législatives et administratives qui conduisent à l'apatridie», affirme-t-il.
D’ailleurs, il affirme que toute ingérence dans la jouissance de la nationalité affecte considérablement la jouissance des droits. Par conséquent, la perte ou la déchéance de la nationalité doit répondre à certaines conditions afin d’être conforme au droit international, en particulier au principe de l'interdiction de la privation arbitraire de la nationalité.
«Une dérive totalitaire»
L’ancien ministre et ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi a également réagi sur cette question: «Cette proposition inutile et singulière procède de la dérive totalitaire systémique, activée chaque fois que le peuple exige davantage de libertés et de droits et dans un contexte marqué par une restriction du champ des libertés individuelles et collectives», écrit-il sur les réseaux sociaux.
Pour M. Rahabi, tout enfant né de père algérien ou de mère algérienne est algérien de plein droit et il ne peut, à ce titre, être déchu de sa nationalité. «Ce droit naturel ne peut être remis en cause pour des raisons politiques, sécuritaires ou pour d’autres motifs invoqués par le projet du gouvernement.»
Cependant, l’homme politique estime que, à défaut de réponses concrètes aux revendications pacifiques et légitimes de son peuple, le pays se radicalise dans tous ses segments sociaux et institutionnels, qu’il s’éloigne peu à peu de la voie de la raison et de la modération, nourrissant ainsi ses propres fragilités. «Là réside, à mon sens, la plus grande menace contre la stabilité et la cohésion de la nation algérienne», conclut-il. Un avertissement qu’il faut prendre en considération, selon un grand nombre d’internautes.