Au Tigré, des survivants horrifiés dénoncent un massacre commis par des soldats érythréens

Les femmes du village de Dengolat font le deuil des victimes tuées selon elles par les forces érythréennes (Photo, AFP).
Les femmes du village de Dengolat font le deuil des victimes tuées selon elles par les forces érythréennes (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 10 mars 2021

Au Tigré, des survivants horrifiés dénoncent un massacre commis par des soldats érythréens

  • Au total, selon l'Eglise locale, 164 civils ont été tués à Dengolat, pour la plupart le 30 novembre, le lendemain de la fête religieuse
  • Certaines ONG comme Amnesty international craignent que, loin d'être un exemple isolé, Dengolat ne soit représentatif des violences subies par les Tigréens

DENGOLAT: C'était bien avant midi, et dans la maison de Beyenesh Tekleyohannes l'agitation durait depuis déjà plusieurs heures : une trentaine d'invités chantaient, priaient et partageaient lentilles et purée de pois chiche à l'occasion d'une grande fête de la chrétienté orthodoxe.

L'atmosphère était alors si animée que personne n'a remarqué les soldats s'approchant à pied, sur la route sinueuse et bordée de cactus qui entre dans Dengolat, un village du nord de la région éthiopienne du Tigré. Jusqu'à ce qu'il soit trop tard. 

Les hommes armés, qui portaient un uniforme et parlaient un dialecte érythréen, ont forcé les invités à rester à l'intérieur de la maison, avant d'extirper les hommes et les garçons et de les emmener en contrebas de la colline, vers une parcelle de terre écrasée de soleil.

Beyenesh entendit les premiers tirs tandis qu'elle fuyait dans la direction opposée, et, immédiatement, craignit le pire pour son mari, ses deux fils et ses deux neveux.

Son instinct ne l'avait pas trompée.

Lorsqu'elle est sortie de sa cachette trois jours plus tard, Beyenesh a vu les corps des cinq hommes - les mains ligotées par des ceintures et des cordes, un impact de balle dans la tête -, tués lors d'un des pires massacres de civils recensés au Tigré. 

« J'aurais préféré mourir que de vivre pour voir cela », déclare cette femme dont les joues s'inondent de larmes à mesure qu'elle raconte comment la fête sacrée de Sainte Marie s'est transformée en bain de sang. 

Au total, selon l'Eglise locale, 164 civils ont été tués à Dengolat, pour la plupart le 30 novembre, le lendemain de la fête religieuse.

Pendant près de trois mois, en raison des restrictions d'accès au Tigré décidées par le gouvernement éthiopien, les habitants de Dengolat ont perdu espoir de pouvoir raconter leur histoire.

L'AFP a pu s'y rendre la semaine dernière, interviewer les survivants et voir les fosses communes creusées dans ce village - une poignée de maisons de pierre surplombées par d'abruptes falaises typiques du Tigré. 

Certaines ONG comme Amnesty international craignent que, loin d'être un exemple isolé, Dengolat ne soit représentatif des violences subies par les Tigréens.

« Il y a tellement de foyers de violence et de massacres au Tigré. Leur ampleur n'est pas encore connue », estime Fisseha Tekle, chercheur en charge de l'Ethiopie à Amnesty.

« C'est pourquoi nous demandons une enquête des Nations unies. Les détails des atrocités doivent être connus, et (les responsables) rendre des comptes ».

« Nous humilier »

Le 4 novembre, quatre semaines avant la fête de Sainte Marie, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019, lançait une opération militaire au Tigré pour renverser le parti au pouvoir dans la région, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).

Le 28 novembre, veille de la fête religieuse, il annonçait la prise de la capitale régionale Mekele, et la fin des combats, sans pertes civiles. Mais cette annonce était prématurée. 

Des combats ont été rapportés depuis et les révélations sur des atrocités s'accumulent, impliquant souvent des soldats érythréens, en contradiction avec le discours officiel d'Addis Abeba et d'Asmara, qui ont toujours nié une présence militaire érythréenne au Tigré.

La semaine dernière, Amnesty a révélé que des soldats érythréens ont tué « plusieurs centaines de civils » dans la ville d'Aksoum (nord), au même moment qu'à Dengolat. 

Dans les deux localités, les survivants ont raconté n'avoir aucun doute sur la nationalité des assaillants : en plus de leur dialecte, ils ont cité les scarifications faciales typiques des Ben Amir, un groupe ethnique érythréen. 

Tamrat Kidanu a raconté qu'il se dirigeait vers ses champs de maïs lorsque les soldats érythréens sont arrivés.

Touché par une balle à la cuisse droite, incapable de bouger, cet homme de 66 ans est resté au sol et a entendu les soldats tirer sur d'autres hommes. Parmi eux se trouvait son fils de 26 ans, récemment marié.

L'Erythrée et l'Ethiopie se sont opposées entre 1998 et 2000 lors d'une guerre sanglante qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts. Le TPLF tenait à l'époque les rênes du pouvoir fédéral à Addis Abeba, et reste jusqu'à ce jour un ennemi juré du pouvoir érythréen. 

Pour de nombreux Tigréens, dont Tamrat Kidanu, la violence des soldats érythréens est perçue comme une forme de revanche. 

« Ce type de crime vise à nous exterminer, à nous humilier », dit-il, sur son lit d'hôpital à Mekele, fulminant contre ce l'impunité dont jouissent selon lui les Erythréens au Tigré.

Fosses communes

Lors du massacre, des centaines d'habitants se sont réfugiés dans une église centenaire sur les hauteurs de Dengolat. Mais les soldats ont rapidement menacé de la bombarder si les hommes n'en sortaient pas pour se rendre.

Certains ont tenté de fuir jusque dans les montagnes. Ils ont été stoppés par des tirs.

Gebremariam, 30 ans, qui a souhaité cacher son vrai nom par peur de représailles, fut parmi les rares à se rendre.

On l'a alors chargé d'enterrer les corps, après les avoir transportés sur des civières de fortune, le crâne ouvert par les balles.

Debout, devant l'une des fosses communes, le jeune homme rit jaune quand on évoque le discours officiel selon lequel les civils ont été épargnés par le conflit. 

« Ce que vous voyez devant vous prouve que c'est un mensonge », lâche Gebremariam. 

Après le départ des soldats, lui et d'autres ont peint les pierres signalant les fosses communes d'un bleu vif, espérant que « peut-être un satellite pourrait les voir ».

Lorsque l'équipe de l'AFP est arrivée dans le village, des dizaines d'hommes et de femmes se sont précipités dehors, certains brandissant des photos de leurs proches disparus. Des femmes pleuraient, frappant le sol et criant le nom de leur enfant tué, des hommes cachaient leur visage dans leur foulard pour sangloter. 

Kahsu Gebrehiwot, un prêtre local, regrette que les dirigeants de l'Eglise orthodoxe éthiopienne n'aient pas dénoncé les meurtres. 

« Quand les gens meurent et qu'ils ne disent rien, c'est un signe qu'ils ont peur pour leur vie », lâche Kahsu, en référence aux prélats.

« Mais la Bible nous enseigne ceci : si vous voyez quelque chose de mal arriver, vous devez prier, mais vous devez aussi parler ».


Sécurité européenne, Ukraine : réunion des ministres européens de la Défense lundi

Drapeaux de l'Union européenne et l'Ukraine (Photo i Stock)
Drapeaux de l'Union européenne et l'Ukraine (Photo i Stock)
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  • Une douzaine de ministres européens de la Défense tiendront lundi une réunion par visioconférence afin de définir une réponse coordonnée à l'offensive diplomatique américano-russe concernant le dossier ukrainien
  • Cette réunion des ministres de la Défense s'inscrit dans le ballet diplomatique provoqué par l'annonce de pourparlers bilatéraux américano-russes visant à mettre fin au conflit.

PARIS : Une douzaine de ministres européens de la Défense tiendront lundi une réunion par visioconférence afin de définir une réponse coordonnée à l'offensive diplomatique américano-russe concernant le dossier ukrainien et de renforcer la sécurité du Vieux continent, a-t-on appris dimanche auprès du ministère français des Armées.

Cette réunion, qui se tiendra dans l'après-midi à l'initiative de l'Estonie et de la France, rassemblera également les ministres de la Défense de Lituanie, de Lettonie, de Norvège, de Finlande, de Suède, du Danemark, des Pays-Bas, d'Allemagne, d'Italie, de Pologne et du Royaume-Uni, selon cette source.

À cette occasion, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, se rendra à Tallinn aux côtés de son homologue estonien Hanno Pevkur, après avoir participé aux célébrations de la fête nationale estonienne.

La France déploie environ 350 militaires en Estonie dans le cadre d'un bataillon multinational de l'OTAN.

Cette réunion des ministres de la Défense, trois ans jour pour jour après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, s'inscrit dans le ballet diplomatique provoqué par l'annonce de pourparlers bilatéraux américano-russes visant à mettre fin au conflit.

La semaine passée, plusieurs chefs de gouvernement européens avaient été conviés à Paris par le président Emmanuel Macron. D'après un résumé obtenu de sources parlementaires, ils se seraient accordés sur la nécessité d'un « accord de paix durable s'appuyant sur des garanties de sécurité » pour Kiev, et auraient exprimé leur « disponibilité » à « augmenter leurs investissements » dans la défense.

Plusieurs pays membres avaient en revanche exprimé des réticences quant à l'envoi de troupes européennes en Ukraine, dans l'hypothèse d'un accord mettant fin aux hostilités.


Le ministre russe des Affaires étrangères effectue une visite en Turquie lundi

Cette photo prise et diffusée par le ministère russe des Affaires étrangères montre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, donnant une conférence de presse après la réunion avec le secrétaire d'État américain, le conseiller à la sécurité nationale et l'envoyé pour le Moyen-Orient au palais de Diriyah à Riyad, le 18 février 2025. M. (Photo by Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP)
Cette photo prise et diffusée par le ministère russe des Affaires étrangères montre le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, donnant une conférence de presse après la réunion avec le secrétaire d'État américain, le conseiller à la sécurité nationale et l'envoyé pour le Moyen-Orient au palais de Diriyah à Riyad, le 18 février 2025. M. (Photo by Handout / RUSSIAN FOREIGN MINISTRY / AFP)
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  • La Turquie, membre de l'OTAN, souhaite jouer un rôle de premier plan dans la fin des hostilités, comme elle avait tenté de le faire en mars 2022 en accueillant par deux fois des négociations directes entre Moscou et Kiev.
  • Le président turc Recep Tayyip Erdogan a de nouveau affirmé que son pays serait un « hôte idéal » pour des pourparlers sur l'Ukraine associant Moscou, Kiev et Washington.

ISTAMBUL : Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, est attendu en Turquie lundi, jour du troisième anniversaire du déclenchement de l'invasion russe de l'Ukraine, ont annoncé dimanche des sources diplomatiques turques.

M. Lavrov doit s'entretenir à Ankara avec son homologue turc Hakan Fidan, ont indiqué ces mêmes sources, précisant que les deux hommes discuteraient notamment d'une solution au conflit ukrainien.

Dimanche, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a confirmé à l'agence Tass qu'une délégation menée par Sergueï Lavrov devait se rendre prochainement en Turquie pour y discuter d'« un large éventail de sujets ».

La Turquie, membre de l'OTAN, souhaite jouer un rôle de premier plan dans la fin des hostilités, comme elle avait tenté de le faire en mars 2022 en accueillant par deux fois des négociations directes entre Moscou et Kiev.

Mardi, en recevant son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le président turc Recep Tayyip Erdogan a de nouveau affirmé que son pays serait un « hôte idéal » pour des pourparlers sur l'Ukraine associant Moscou, Kiev et Washington.

Toutefois, ces dernières semaines, Moscou et Washington ont entamé un dialogue direct, alors que les relations se réchauffent entre Donald Trump et Vladimir Poutine.

Mardi, Russes et Américains se sont rencontrés en Arabie saoudite pour entamer le rétablissement de leurs relations, une réunion dénoncée par Volodymyr Zelensky qui redoute un accord sur l'Ukraine à leur insu.

M. Lavrov, dont la dernière visite en Turquie remonte à octobre, doit se rendre dans la foulée en Iran, un allié de la Russie.

La Turquie, qui est parvenue à maintenir ses liens avec Moscou et Kiev, fournit des drones de combat aux Ukrainiens mais n'a pas participé aux sanctions occidentales contre la Russie.

Ankara défend parallèlement l'intégrité territoriale de l'Ukraine et réclame la restitution de la Crimée du Sud, occupée par la Russie depuis 2014, au nom de la protection de la minorité tatare turcophone de cette péninsule.


Selon une source ukrainienne , Zelensky ne serait pas prêt à signer un accord sur les minerais avec Washington

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Photo AFP )
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Photo AFP )
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'est « pas prêt » à signer un accord avec les États-Unis qui leur offrirait un accès préférentiel aux minerais du pays, a affirmé samedi à l'AFP une source ukrainienne proche du dossier, alors que les deux pays sont en pleines tensions.

Donald Trump réclame depuis plusieurs semaines l'équivalent de 500 milliards de dollars de terres rares, en guise de dédommagement, selon lui, du soutien américain à Kiev face à l'invasion russe, une condition qu'Ukraine ne peut accepter pour l'instant.

« Le président ukrainien n'est pas prêt à accepter le projet dans sa forme actuelle. Nous essayons toujours de faire des changements de manière constructive », a expliqué cette source ukrainienne qui a requis l'anonymat.

« Ils veulent nous soutirer 500 milliards de dollars », a-t-elle accusé.

« Quel genre de partenariat est-ce là ? (...) Et pourquoi devons-nous donner 500 milliards, il n'y a pas de réponse », a-t-elle encore dit, affirmant que Kiev avait « proposé des amendements. Ils ont été soumis ».

Depuis l'appel entre Donald Trump et Vladimir Poutine le 12 février, Moscou et Washington ont exprimé leur volonté de repartir sur de nouvelles bases, et le président américain a complètement renversé la position de son pays concernant la guerre en Ukraine, en reprenant la rhétorique du Kremlin sur la responsabilité de Kiev.

Le 24 février 2022, l'Ukraine a été envahie par la Russie, le Kremlin affirmant agir pour protéger le pays contre la menace de l'OTAN et empêcher un élargissement de l'organisation.

Donald Trump souhaite négocier un accord avec l'Ukraine afin d'obtenir un accès à 50 % de ses minerais stratégiques, en guise de compensation pour l'aide militaire et économique déjà fournie à Kiev.

Le conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, Mike Waltz, s'est montré très pressant vendredi.

« Le président Zelensky va signer cet accord, et vous le verrez à très court terme, et c'est bon pour l'Ukraine », a-t-il insisté lors d'un rassemblement de conservateurs près de Washington.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rejeté avec vigueur la première proposition américaine d'accord, arguant qu'il ne pouvait « pas vendre » son pays.

Il a toutefois laissé la porte ouverte à des « investissements » américains en échange de telles garanties.

De son côté, Donald Trump affirme que les États-Unis ont dépensé 350 milliards de dollars pour s'engager dans une guerre qui ne pouvait pas être gagnée. Or, selon l'institut économique IfW Kiel, l'aide américaine globale à l'Ukraine, financière, humanitaire et militaire, a atteint 114,2 milliards d'euros (près de 120 milliards de dollars au cours actuel) entre début 2022 et fin 2024, dont 64 milliards d'euros en assistance militaire.

Le 1er février, M. Zelensky a assuré que l'Ukraine n'avait reçu à ce stade que 75 des 177 milliards de dollars d'aide votée par le Congrès américain.