MAMOUDZOU: A Mayotte, département français de l'océan Indien où près de 95% de la population est de confession musulmane, l'arrivée du coronavirus depuis un an a bousculé les pratiques funéraires et surtout les familles qui vivent douloureusement l'obligation d'utiliser des cercueils au lieu d'enterrer les morts uniquement dans un linceul.
« C'est très pesant, déjà financièrement et, au niveau émotionnel comme on est musulman, de voir son proche enterré dans un cercueil », raconte Mélodie Manrouf, gérante de la société Transport de corps mahorais et elle-même musulmane pratiquante.
Et cela implique une lourde logistique pour les trois sociétés de pompes funèbres de l'île qui n'a pas de production propre de cercueils.
Le Grand Cadi de Mayotte, le représentant religieux de l'île, a rappelé dans un communiqué du 17 février les « droits du défunt ». Le corps du défunt doit être lavé selon des consignes précises, drapé dans un linceul, appelé aussi « kafani ». Et il est de coutume qu'un nombre important de proches se relaient pour la prière mortuaire, avant d'emmener le défunt jusqu'au cimetière où il est enterré, avec l'obligation d'un contact direct avec la terre.
Incompréhension
Mais la Covid-19 change tout. Pour limiter la propagation de l'épidémie, la conduite à tenir pour la prise en charge du corps d'un défunt atteint du virus - même s'il n'est pas la cause première du décès - fait l'objet d'une réglementation stricte, confirmée par décret ministériel du 21 janvier 2021.
En cas de suspicion de Covid, la toilette rituelle par les proches est interdite. Seuls les professionnels de santé ou thanatopracteurs peuvent prodiguer une toilette mortuaire et le corps doit être transporté dans un cercueil fermé dès sa sortie du lieu de décès.
« Nous avons quotidiennement affaire à des familles qui ne comprennent pas, cela crée des conflits. Nous devons leur rappeler que ce n'est pas notre volonté d'imposer cela à une famille endeuillée, mais que c'est le protocole de la crise sanitaire qui nous l'impose », raconte Mélodie Manrouf.
Madi, un villageois de Passamaïnty dans la commune de Mamoudzou, en a fait l'amère expérience puisque trois de ses proches décédés de la Covid-19 ont été mis en terre sans les rites funéraires traditionnels. « Vous perdez quelqu'un, et vous n'avez pas le droit de le laver, de le nettoyer, d'ouvrir le cercueil. C'est très difficile », explique-t-il.
« Nous avons l'habitude d'enterrer nos morts en direction de la Qibla, de la Mecque. Dans le cercueil, nous ne pouvons pas savoir comment la personne repose », souligne pour sa part Ismaël, garagiste de Passamaïnty.
Hausse du tarif des funérailles
Face à cette nouvelle réglementation, les sociétés de pompes funèbres ont elles aussi dû s'adapter, alors que la demande de cercueils est d'ordinaire marginale.
« Sur 2019, j'ai dû consommer 25 cercueils sur l'année. En 2020, je double ma commande. Et sur les deux premiers mois de 2021, j'ai déjà écoulé 60 cercueils », expose Jean Lhuillier, le directeur des Pompes funèbres de Mayotte.
Cette situation exceptionnelle se répercute sur les tarifs proposés aux familles, alors que certaines ont peu de ressources. De quelques centaines d'euros pour le transport du défunt recouvert d'un linceul, le prix grimpe à plus de 1 000 euros en fonction du prestataire.
Une facture élevée, qui s'explique par le coût du transport --par avion ou par bateau-- et une taxe douanière spécifique des départements d'Outre-mer, « l'octroi de mer ».
Mais si les trois entreprises de pompes funèbres ont dû accélérer leur rythme de commandes, « il n'y a pas de pénurie à proprement parler », assure Jean Lhuillier, démentant des propos tenus lors d'une interview à la chaîne BFMTV par Estelle Youssouffa, présidente du Collectif des Citoyens de Mayotte, qui avait affirmé que le 101ème département français était « à court de cercueils ».
A Mayotte, le taux d'incidence de la maladie, qui avait grimpé à près de 900 cas pour 100 000 habitants est retombé à 263,7 cette semaine.