IRBIL / VILLE DE MEXICO : Ce matin, Sahar Ayoub tournait doucement les pages de sa Bible. Elle se rappelait le choc que sa famille avait éprouvé lorsque les militants de Daesh s'étaient emparés de la ville de Qaraqosh, dans le nord du gouvernorat de Ninive, voilà près de sept ans.
Avec son mari Ameer Bahnam et leurs trois enfants, elle a été forcée de fuir la ville au moment où le groupe extrémiste lançait une campagne d'extermination contre les minorités ethniques et religieuses d'Irak en 2014.
Dans sa salle de séjour à Ankawa, un quartier à majorité chrétienne d'Irbil, Sahar, 50 ans, espère que la visite du pape François dans la principale ville du Kurdistan irakien, dimanche, offrira à sa communauté la reconnaissance qu'elle mérite.
« Autrefois, les chrétiens d'Irak étaient appréciés et traités avec respect, tout comme le reste des Irakiens », explique-t-elle à Arab News. « Mais tout a changé à partir de 2003, lorsque les nouveaux gouvernements ont divisé le pays entre musulmans et chrétiens, et entre chiites et sunnites ».
« Nous ne vivons pas en liberté en Irak en tant que chrétiens. Nous sommes jugés pour nos rituels et nos vêtements. Nous sommes privés de la liberté de croyance en Irak ».
Ameer, 57 ans, raconte que sa famille est venue s'installer dans la région semi-autonome du Kurdistan en vue d'un éventuel départ pour l'Europe. Mais après s'être installés à Ankawa pour mesurer la situation, ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient depuis si longtemps : l'acceptation.
« Au Kurdistan, je sens que je suis en sécurité et que je suis à égalité avec les autres », explique Ameer. « Nous, les chrétiens, pouvons pratiquer librement notre religion ici ».
« Les chrétiens en Irak sont privés de leurs droits. Nous sommes en butte à l'oppression et ne pouvons pas pratiquer librement nos rituels. Au Kurdistan, c'est différent. Dans d'autres parties de l'Irak, nous sentons que nous sommes des étrangers et que quelque chose nous manque ».
Après avoir rencontré le grand ayatollah Ali Al-Sistani - le guide spirituel des chiites irakiens -samedi à Najaf, le pape François devait se rendre au nord, dans la région du Kurdistan. C’est dans cette région que les minorités religieuses irakiennes, les avocats de la liberté d'expression et les dissidents politiques ont pendant longtemps cherché refuge pour fuir les persécutions et la violence qui prévalent dans leurs régions natales.
Dimanche soir , il était prévu que le Pape François célèbre la messe devant une foule de 10 000 personnes au stade Franso Hariri d'Irbil, limité à une capacité inférieure à sa capacité réelle pour assurer la distanciation sociale. Pour des raisons de sécurité, le Pape ne devait rencontrer la foule lors de sa visite, sauf à cette seule occasion.
En effet, les Kurdes constituent une part importante des 40 millions d'habitants de l'Irak. Cependant, en raison des faibles données de recensement, il est difficile de déterminer avec précision le nombre de Kurdes dans les provinces d'Irbil, de Sulaimani, de Duhok et d'Halabja, au nord du pays, régions luxuriantes et montagneuses.
Si les relations entre Irbil et Bagdad ont connu pendant longtemps des moments de tension, qui ont culminé à la fin de 2017 avec la tenue d'un référendum non contraignant sur l'indépendance, le kurde est reconnu comme la deuxième langue officielle de l'Irak au même titre que l'arabe ; ainsi, après 2003, les trois présidents de l'Irak ont tous été des Kurdes.
En effet, les Kurdes ont isolé leur territoire qui a gagné son indépendance en 1991 sous l’égide et la couverture des forces de l’air de la coalition dirigée par les États-Unis. La coalition etait intervenue à la fin de la guerre du Golfe pour empêcher Saddam Hussein de se venger des Kurdes pour avoir osé se révolter.
Après avoir déjà subi les cruautés de la campagne d’Anfal menée par Saddam Hussein et la terrible attaque chimique de Halabja en 1988, le peuple kurde ne doutait guère que Saddam avait l'intention de les anéantir si l'Occident n'intervenait pas.
EN CHIFFRES
- La population chrétienne de l'Irak était estimée à 1.5 millions, en 2003
Même si la corruption et le tribalisme continuent de ternir la vie politique au Kurdistan, il contraste avec un Irak fédéral, miné par la violence et les troubles sectaires chroniques. En effet, le Kurdistan est doté d'un parlement et d'une présidence autonomes, de l'armée des Peshmerga et d'une culture de la tolérance.
Il n'est sans doute guère surprenant qu'un peuple victime de génocide ait ouvert ses portes aux minorités persécutées des plaines de Ninive lorsque Daesh a pris d'assaut le nord de l'Irak et a occupé Mossoul au cours de l'été 2014.
Des centaines de milliers de chrétiens, de Yazidis, de Shabaks, de Kakais et d'autres minorités, ainsi que des milliers de réfugiés de la Syrie voisine, ont traversé les postes de contrôle des Peshmerga à la recherche de sécurité.
Les agences d'aide humanitaire sont rapidement intervenues pour accueillir dans des camps tentaculaires les personnes déplacées, tandis que de nombreux chrétiens se sont dirigés vers Ankawa. Ceux qui en avaient les moyens ont continué vers l'Europe et vers d'autres pays.
« J'ai déposé une demande de visa pour la France. Je n'ai pas eu de réponse en raison de la pandémie de coronavirus », explique Ameer. « Nous espérons nous rendre en France car mes enfants ont peur de retourner à Qaraqosh. Ils sont traumatisés par ce que nous avons vécu quand Daesh est arrivé ».
Des expériences traumatisantes du passé, Sahar raconte que « Daesh a brûlé et volé le contenu de notre maison. Après la libération de Qaraqosh, nous sommes partis sur place pour inspecter notre maison. Et depuis, nous refusons d'y retourner. Ce n'est plus un endroit sûr ».
« Si j’avais la chance de rencontrer le pape, je lui demanderais de trouver une solution pour les chrétiens d'Irak. Nous sommes privés de tous nos droits ici et je voudrais qu'il m'aide à quitter le pays. Je ne veux pas rester ici. Sinon, il peut garantir la sécurité de ma ville et assurer mes droits ».
Sahar et Ameer ne sont pas les seuls. De nombreuses familles chrétiennes ont renoncé à l'idée de vivre en sécurité en Irak.
« La vie des chrétiens d'Irak se résume à vivre la guerre, sans avenir », déclare Juliana Nusrat, 28 ans, à Arab News.
« Je souhaite rencontrer le pape et lui confier nos souffrances. Je veux lui demander de m'aider à quitter l'Irak. J'ai perdu tout espoir en ce pays. Je ne veux pas avoir d'autres enfants en Irak. Ce pays est sans avenir. Je veux que ma fille ait un avenir ailleurs ».
En 2014, elle s’est réfugiée à Ankawa avec son mari, Gazwan Zuhair âgé de 39 ans, pour échapper à la conquête de Mossoul par Daesh. « Nous avons laissé derrière nous notre maison et tous nos biens et n'avons pris que nos pièces d'identité », explique Gazwan. « Quand la guerre a pris fin, nous sommes allés inspecter notre maison à Mossoul. Toutes nos affaires avaient disparu ».
Quand la pandémie de Covid-19 a frappé, Gazwan a perdu son emploi. Même si le couple et leur jeune fille luttent pour survivre, ils trouvent un peu de sécurité au Kurdistan.
« Nous sommes bien au Kurdistan. Je ne peux pas trouver de travail ici, mais nous vivons en sécurité », déclare-t-il.
« Le Kurdistan et son peuple respectent les chrétiens et nous vivons en sécurité ici. Cependant, dans le reste du pays, nous sommes opprimés, surtout à Mossoul, où les chrétiens sont menacés et soumis au chantage ».
« Je suis chrétien et je veux quitter le pays. L'Irak ne m'offre ni droits ni travail. Pourquoi resterais-je ? J'aurai peut-être une vie meilleure dans un autre pays ».
Par ailleurs, la migration des chrétiens d'Irak vers l'Occident est un sujet de préoccupation important pour les responsables de toutes les églises, qu'elles soient Syriaques catholiques, Syriaques orthodoxes, Arméniennes orthodoxes ou Chaldéennes.
En effet, depuis l'invasion menée par les États-Unis en 2003, la population chrétienne d'Irak est passée d'environ 1,5 million de personnes à quelque 350 000 à 450 000 en 2014. Puisque beaucoup d'entre eux choisissent de s'exiler vers d'autres pays, leur nombre a diminué davantage.
« Notre église n'encourage pas les chrétiens à quitter le pays et à quitter leur église pour émigrer à l'étranger », explique à Arab News le père Nashwan Hanna, 53 ans, prêtre de l'église catholique chaldéenne Mar Elia d'Ankawa.
« Nous représentons une composante essentielle du Kurdistan et de l'Irak. C'est notre patrie. Nous souhaitons vivre en paix dans notre pays et nous voulons respecter les autres et nous faire respecter ».
« Cette visite durant laquelle le pape fera le tour de l'Irak nous encourage à rester. Nos racines sont profondément implantées dans cette terre et cette visite nous incitera à y rester ».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.