La visite du pape François souligne l'importance du Kurdistan irakien en tant que lieu de refuge

Nashwan Hanna lors d'une messe à l'église catholique chaldéenne de Mar Elia, dans le quartier à majorité chrétienne d'Ankawa, à Irbil (Kareem Botane)
Nashwan Hanna lors d'une messe à l'église catholique chaldéenne de Mar Elia, dans le quartier à majorité chrétienne d'Ankawa, à Irbil (Kareem Botane)
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Publié le Dimanche 07 mars 2021

La visite du pape François souligne l'importance du Kurdistan irakien en tant que lieu de refuge

  • Grâce à la sécurité et à la stabilité relatives de cette région autonome du Nord de l’Irak, elle représente désormais un refuge pour les minorités religieuses et les opposants.
  • Les attaques perpétrées par Daesh en 2014 ont amené les chrétiens, les Yazidis, les Shabaks ainsi que d'autres minorités et les réfugiés syriens à trouver refuge dans cette région

IRBIL / VILLE DE MEXICO : Ce matin, Sahar Ayoub tournait doucement les pages de sa Bible. Elle se rappelait le choc que sa famille avait éprouvé lorsque les militants de Daesh s'étaient emparés de la ville de Qaraqosh, dans le nord du gouvernorat de Ninive, voilà près de sept ans. 

Avec son mari Ameer Bahnam et leurs trois enfants, elle a été forcée de fuir la ville au moment où le groupe extrémiste lançait une campagne d'extermination contre les minorités ethniques et religieuses d'Irak en 2014. 

Dans sa salle de séjour à Ankawa, un quartier à majorité chrétienne d'Irbil, Sahar, 50 ans, espère que la visite du pape François dans la principale ville du Kurdistan irakien, dimanche, offrira à sa communauté la reconnaissance qu'elle mérite. 

« Autrefois, les chrétiens d'Irak étaient appréciés et traités avec respect, tout comme le reste des Irakiens », explique-t-elle à Arab News. « Mais tout a changé à partir de 2003, lorsque les nouveaux gouvernements ont divisé le pays entre musulmans et chrétiens, et entre chiites et sunnites ». 

« Nous ne vivons pas en liberté en Irak en tant que chrétiens. Nous sommes jugés pour nos rituels et nos vêtements. Nous sommes privés de la liberté de croyance en Irak ». 

Nashwan Hanna lors d'une messe à l'église catholique chaldéenne de Mar Elia, dans le quartier à majorité chrétienne d'Ankawa, à Irbil. (Kareem Botane) 
Nashwan Hanna lors d'une messe à l'église catholique chaldéenne de Mar Elia, dans le quartier à majorité chrétienne d'Ankawa, à Irbil (Kareem Botane) 

Ameer, 57 ans, raconte que sa famille est venue s'installer dans la région semi-autonome du Kurdistan en vue d'un éventuel départ pour l'Europe. Mais après s'être installés à Ankawa pour mesurer la situation, ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient depuis si longtemps : l'acceptation. 

« Au Kurdistan, je sens que je suis en sécurité et que je suis à égalité avec les autres », explique Ameer. « Nous, les chrétiens, pouvons pratiquer librement notre religion ici ». 

« Les chrétiens en Irak sont privés de leurs droits. Nous sommes en butte à l'oppression et ne pouvons pas pratiquer librement nos rituels. Au Kurdistan, c'est différent. Dans d'autres parties de l'Irak, nous sentons que nous sommes des étrangers et que quelque chose nous manque ». 

Après avoir rencontré le grand ayatollah Ali Al-Sistani - le guide spirituel des chiites irakiens -samedi à Najaf, le pape François devait se rendre au nord, dans la région du Kurdistan. C’est dans cette région que les minorités religieuses irakiennes, les avocats de la liberté d'expression et les dissidents politiques ont pendant longtemps cherché refuge pour fuir les persécutions et la violence qui prévalent dans leurs régions natales. 

Dimanche soir , il était prévu que le Pape François célèbre la messe devant une foule de 10 000 personnes au stade Franso Hariri d'Irbil, limité à une capacité inférieure à sa capacité réelle pour assurer la distanciation sociale. Pour des raisons de sécurité, le Pape ne devait rencontrer la foule lors de sa visite, sauf à cette seule occasion. 

En effet, les Kurdes constituent une part importante des 40 millions d'habitants de l'Irak. Cependant, en raison des faibles données de recensement, il est difficile de déterminer avec précision le nombre de Kurdes dans les provinces d'Irbil, de Sulaimani, de Duhok et d'Halabja, au nord du pays, régions luxuriantes et montagneuses. 

Si les relations entre Irbil et Bagdad ont connu pendant longtemps des moments de tension, qui ont culminé à la fin de 2017 avec la tenue d'un référendum non contraignant sur l'indépendance, le kurde est reconnu comme la deuxième langue officielle de l'Irak au même titre que l'arabe ; ainsi, après 2003, les trois présidents de l'Irak ont tous été des Kurdes. 

En effet, les Kurdes ont isolé leur territoire qui a gagné son indépendance en 1991 sous l’égide et la couverture des forces de l’air de la coalition dirigée par les États-Unis. La coalition etait intervenue à la fin de la guerre du Golfe pour empêcher Saddam Hussein de se venger des Kurdes pour avoir osé se révolter. 

Après avoir déjà subi les cruautés de la campagne d’Anfal menée par Saddam Hussein et la terrible attaque chimique de Halabja en 1988, le peuple kurde ne doutait guère que Saddam avait l'intention de les anéantir si l'Occident n'intervenait pas. 

EN CHIFFRES 

  • La population chrétienne de l'Irak était estimée à 1.5 millions, en 2003 

Même si la corruption et le tribalisme continuent de ternir la vie politique au Kurdistan, il contraste avec un Irak fédéral, miné par la violence et les troubles sectaires chroniques. En effet, le Kurdistan est doté d'un parlement et d'une présidence autonomes, de l'armée des Peshmerga et d'une culture de la tolérance.  

Il n'est sans doute guère surprenant qu'un peuple victime de génocide ait ouvert ses portes aux minorités persécutées des plaines de Ninive lorsque Daesh a pris d'assaut le nord de l'Irak et a occupé Mossoul au cours de l'été 2014. 

Des centaines de milliers de chrétiens, de Yazidis, de Shabaks, de Kakais et d'autres minorités, ainsi que des milliers de réfugiés de la Syrie voisine, ont traversé les postes de contrôle des Peshmerga à la recherche de sécurité. 

Les agences d'aide humanitaire sont rapidement intervenues pour accueillir dans des camps tentaculaires les personnes déplacées, tandis que de nombreux chrétiens se sont dirigés vers Ankawa. Ceux qui en avaient les moyens ont continué vers l'Europe et vers d'autres pays. 

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Ameer Habib Bahnam et sa femme Sahar Ayoub affirment qu'ils pratiquent leur religion en toute sécurité au Kurdistan (Kareem Botane) 

« J'ai déposé une demande de visa pour la France. Je n'ai pas eu de réponse en raison de la pandémie de coronavirus », explique Ameer. « Nous espérons nous rendre en France car mes enfants ont peur de retourner à Qaraqosh. Ils sont traumatisés par ce que nous avons vécu quand Daesh est arrivé ». 

Des expériences traumatisantes du passé, Sahar raconte que « Daesh a brûlé et volé le contenu de notre maison. Après la libération de Qaraqosh, nous sommes partis sur place pour inspecter notre maison. Et depuis, nous refusons d'y retourner. Ce n'est plus un endroit sûr ». 

« Si j’avais la chance de rencontrer le pape, je lui demanderais de trouver une solution pour les chrétiens d'Irak. Nous sommes privés de tous nos droits ici et je voudrais qu'il m'aide à quitter le pays. Je ne veux pas rester ici. Sinon, il peut garantir la sécurité de ma ville et assurer mes droits ». 

Sahar et Ameer ne sont pas les seuls. De nombreuses familles chrétiennes ont renoncé à l'idée de vivre en sécurité en Irak. 

« La vie des chrétiens d'Irak se résume à vivre la guerre, sans avenir », déclare Juliana Nusrat, 28 ans, à Arab News. 

« Je souhaite rencontrer le pape et lui confier nos souffrances. Je veux lui demander de m'aider à quitter l'Irak. J'ai perdu tout espoir en ce pays. Je ne veux pas avoir d'autres enfants en Irak. Ce pays est sans avenir. Je veux que ma fille ait un avenir ailleurs ». 

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Une messe devant l'église catholique chaldéenne Mar Elia à Ankawa, Irbil, pour commémorer les chrétiens d'Irak massacrés par Daesh en 2014 (Robert Edwards) 

En 2014, elle s’est réfugiée à Ankawa avec son mari, Gazwan Zuhair âgé de 39 ans, pour échapper à la conquête de Mossoul par Daesh. « Nous avons laissé derrière nous notre maison et tous nos biens et n'avons pris que nos pièces d'identité », explique Gazwan. « Quand la guerre a pris fin, nous sommes allés inspecter notre maison à Mossoul. Toutes nos affaires avaient disparu ». 

Quand la pandémie de Covid-19 a frappé, Gazwan a perdu son emploi. Même si le couple et leur jeune fille luttent pour survivre, ils trouvent un peu de sécurité au Kurdistan. 

« Nous sommes bien au Kurdistan. Je ne peux pas trouver de travail ici, mais nous vivons en sécurité », déclare-t-il. 

« Le Kurdistan et son peuple respectent les chrétiens et nous vivons en sécurité ici. Cependant, dans le reste du pays, nous sommes opprimés, surtout à Mossoul, où les chrétiens sont menacés et soumis au chantage ». 

« Je suis chrétien et je veux quitter le pays. L'Irak ne m'offre ni droits ni travail. Pourquoi resterais-je ? J'aurai peut-être une vie meilleure dans un autre pays ». 

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Quand la pandémie de COVID-19 a frappé, Gazwan a perdu son emploi, mais sa famille et lui-même trouvent un peu de sécurité au Kurdistan (Kareem Botane) 

Par ailleurs, la migration des chrétiens d'Irak vers l'Occident est un sujet de préoccupation important pour les responsables de toutes les églises, qu'elles soient Syriaques catholiques, Syriaques orthodoxes, Arméniennes orthodoxes ou Chaldéennes. 

En effet, depuis l'invasion menée par les États-Unis en 2003, la population chrétienne d'Irak est passée d'environ 1,5 million de personnes à quelque 350 000 à 450 000 en 2014. Puisque beaucoup d'entre eux choisissent de s'exiler vers d'autres pays, leur nombre a diminué davantage. 

« Notre église n'encourage pas les chrétiens à quitter le pays et à quitter leur église pour émigrer à l'étranger », explique à Arab News le père Nashwan Hanna, 53 ans, prêtre de l'église catholique chaldéenne Mar Elia d'Ankawa. 

« Nous représentons une composante essentielle du Kurdistan et de l'Irak. C'est notre patrie. Nous souhaitons vivre en paix dans notre pays et nous voulons respecter les autres et nous faire respecter ». 

« Cette visite durant laquelle le pape fera le tour de l'Irak nous encourage à rester. Nos racines sont profondément implantées dans cette terre et cette visite nous incitera à y rester ». 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.  


Le ministre irakien des Affaires étrangères en visite officielle aux États-Unis

 Le ministre irakien des affaires étrangères, Fuad Hussein. (File/AFP)
Le ministre irakien des affaires étrangères, Fuad Hussein. (File/AFP)
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  • La visite s'inscrit dans le cadre de l'engagement diplomatique continu entre les deux pays dans un contexte d'évolution de la dynamique régionale
  • "Nous discuterons des moyens de renforcer la sécurité commune et la coopération dans divers domaines", a déclaré le ministre des affaires étrangères.

DUBAI : Le ministre irakien des Affaires étrangères, Fuad Hussein, s'est envolé jeudi pour les Etats-Unis afin de participer à une série de réunions bilatérales visant à renforcer les liens entre Bagdad et Washington.

Dans une déclaration partagée sur la plateforme X et rapportée par l'Agence de presse irakienne, M. Hussein a déclaré que la visite se concentrera sur le renforcement des relations irako-américaines et la coordination des efforts sur les questions régionales et internationales clés.

"Nous discuterons des moyens de renforcer la sécurité commune et la coopération dans divers domaines", a déclaré le ministre des affaires étrangères.

Cette visite s'inscrit dans le cadre d'un engagement diplomatique continu entre les deux pays, dans un contexte d'évolution de la dynamique régionale.


Gaza: 22 morts dans des bombardements israéliens, selon secouristes et hôpitaux

L'hôpital indonésien à Jabalia dit avoir reçu les corps de neuf victimes après un bombardement israélien sur un commissariat de police de cette ville du nord du territoire palestinien. (AFP)
L'hôpital indonésien à Jabalia dit avoir reçu les corps de neuf victimes après un bombardement israélien sur un commissariat de police de cette ville du nord du territoire palestinien. (AFP)
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  • L'armée israélienne a confirmé dans un communiqué avoir effectué une frappe dans la région de Jabalia, précisant qu'elle ciblait "des terroristes opérant dans un centre de commandement et de contrôle du Hamas et du Jihad islamique"
  • Une autre frappe aérienne sur une maison dans le nord de la ville de Gaza, dans le nord du territoire palestinien, a tué une famille de six personnes, un couple et ses quatre enfants, a indiqué la Défense civile à Gaza

GAZA: Au moins 22 personnes, dont six membres d'une même famille, ont été tuées dans de nouveaux bombardements israéliens sur la bande de Gaza jeudi matin, ont annoncé la Défense civile palestinienne et des sources hospitalières.

L'hôpital indonésien à Jabalia dit avoir reçu les corps de neuf victimes après un bombardement israélien sur un commissariat de police de cette ville du nord du territoire palestinien.

L'armée israélienne a confirmé dans un communiqué avoir effectué une frappe dans la région de Jabalia, précisant qu'elle ciblait "des terroristes opérant dans un centre de commandement et de contrôle du Hamas et du Jihad islamique".

Une autre frappe aérienne sur une maison dans le nord de la ville de Gaza, dans le nord du territoire palestinien, a tué une famille de six personnes, un couple et ses quatre enfants, a indiqué la Défense civile à Gaza.

Cette organisation de secouristes a aussi fait état de deux morts dans une frappe sur une tente de personnes déplacées à Khan Younès, dans le sud.

Toujours à Khan Younès, l'hôpital Nasser annonce avoir reçu les dépouilles de deux victimes après une frappe sur une maison familiale. L'hôpital des martyrs d'al-Aqsa dit, lui, avoir reçu trois corps après une frappe sur une tente de personnes déplacées dans le camp de Nuseirat (centre).

Rompant une trêve de près de deux mois dans la guerre déclenchée il y a plus d'un an et demi, Israël a repris le 18 mars son offensive aérienne puis terrestre dans la bande de Gaza, où au moins 1.928 Palestiniens ont été tués depuis selon le ministère de la Santé du Hamas.

Ce bilan porte à 51.305 le nombre de morts dans la bande de Gaza, selon la même source, depuis le début de l'offensive israélienne lancée en représailles à l'attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

L'attaque sans précédent du Hamas a entraîné la mort de 1.218 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données officielles.

Sur les 251 personnes enlevées le 7-Octobre, 58 sont toujours otages à Gaza dont 34 sont mortes, selon l'armée israélienne.

 


1982 – Le massacre de Sabra et Chatila

Les corps des victimes du massacre de Sabra et Shatila sont transportés par le personnel de la Croix-Rouge pour être enterrés à Beyrouth. (Getty Images)
Les corps des victimes du massacre de Sabra et Shatila sont transportés par le personnel de la Croix-Rouge pour être enterrés à Beyrouth. (Getty Images)
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  • Le massacre, qui s'est déroulé au plus fort de la guerre civile libanaise, et les raisons qui l'ont motivé mettent en lumière les dimensions régionales complexes qui ont entouré le conflit
  • Arab News a publié des images saisissantes du massacre, qualifié de crime commis «avec la connivence des envahisseurs israéliens»

LONDRES: Le massacre de Sabra et Chatila, survenu en 1982, reste l’un des épisodes les plus tragiques et emblématiques de l’histoire politique mouvementée du Liban.

Des membres d’une milice chrétienne libanaise de droite ont pénétré dans le quartier de Sabra, au sud de Beyrouth, ainsi que dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, tout proche. Ils y ont massacré des centaines de personnes. Certaines estimations font état de plus de 3 000 victimes, majoritairement des civils palestiniens et des Libanais musulmans.

Au moment où les atrocités ont eu lieu, le quartier, où résidaient de nombreux dirigeants palestiniens, ainsi que le camp, étaient sous le contrôle des forces d'occupation israéliennes à la suite de leur invasion du Liban-Sud trois mois plus tôt.

Selon certaines sources, les meurtres de masse ont été commis au vu et au su des forces israéliennes, de 18 heures environ le 16 septembre à 8 heures du matin le 18 septembre. Certains ont même affirmé que les milices chrétiennes avaient reçu l'ordre des Israéliens de «chasser» les combattants de l'Organisation de libération de la Palestine de Sabra et Chatila, dans le cadre de l'avancée israélienne dans la partie ouest de Beyrouth, majoritairement musulmane. Des rapports ultérieurs ont suggéré que les Israéliens avaient reçu des rapports sur les atrocités, mais qu'ils n'avaient pris aucune mesure pour les prévenir ou les arrêter.

Le massacre, qui s'est déroulé au plus fort de la guerre civile libanaise, et les raisons qui l'ont motivé mettent en lumière les dimensions régionales complexes qui ont entouré le conflit.

Comment nous l'avons écrit

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Arab News a publié des images saisissantes du massacre, qualifié de crime commis «avec la connivence des envahisseurs israéliens», provoquant une onde de choc et des réactions d’horreur à travers le monde.

Au Liban, le sectarisme a presque toujours été un facteur central des conflits qui ont façonné les équilibres politiques et redessiné les cartes du pouvoir. Bien avant la chute de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, dont le territoire libanais faisait alors partie, la région du Mont-Liban avait déjà été le théâtre de violences confessionnelles. Ces tensions ont débuté en 1840 et ont atteint leur paroxysme en 1860, avec des massacres d'une telle ampleur qu'ils ont entraîné une intervention militaire française. L’Empire ottoman avait alors réagi avec fermeté, cherchant à contenir l’avancée française, dans un contexte de pressions diplomatiques exercées par les grandes puissances européennes.

Le bouleversement politique majeur consécutif aux massacres de 1860 fut la création, en 1861, du district autonome du Mont-Liban, gouverné par un fonctionnaire ottoman chrétien dont la nomination devait être validée par les puissances européennes.

Mais après la défaite de l’Empire ottoman à l’issue de la Première Guerre mondiale, la Conférence de paix de Paris en 1920 annexa plusieurs régions au Mont-Liban – notamment Beyrouth – et plaça le nouvel État élargi du Liban sous mandat français.

Dans ce Grand Liban, la population chrétienne, auparavant majoritaire dans la région montagneuse du Mont-Liban, vit son poids démographique réduit par l’intégration de grandes villes et districts à majorité sunnite et chiite. Néanmoins, les chrétiens comptaient sur le soutien du mandat français pour préserver leur domination politique. Une illusion qui s’estompa rapidement, surtout après l’indépendance du Liban en 1943.

À cette date, selon de nombreuses estimations, les musulmans – sunnites, chiites et druzes – formaient déjà une majorité démographique. Parallèlement, l’émergence du nationalisme arabe, alimenté par la Nakba palestinienne de 1948, radicalisa la scène politique régionale. L’afflux de réfugiés palestiniens au Liban, comme en Jordanie, accentua les tensions et contribua à fragiliser davantage l’équilibre confessionnel libanais.

Le processus de radicalisation a été encore accéléré par la défaite arabe lors de la guerre israélo-arabe de juin 1967, qui a donné naissance, ainsi qu'une énorme crédibilité, au mouvement de résistance palestinien (les «fedayins»).

À l'automne 1970, à la suite de batailles entre les fedayins et l'armée jordanienne, les mouvements de résistance palestiniens ont transféré leur quartier général d'Amman à Beyrouth.

Les musulmans libanais, les nationalistes arabes et les dirigeants de gauche se rangent aux côtés des Palestiniens et font cause commune avec eux. De l'autre côté, l'élite politique chrétienne et les masses chrétiennes au Liban craignaient que cette alliance naissante ne constitue une menace mortelle pour leur position dominante dans le pays et, par conséquent, pour son régime, son identité et sa souveraineté.

J'ai vécu cette époque et je m'en souviens très bien. En 1973, l'armée libanaise, dirigée par les chrétiens, a tenté de contenir le pouvoir des fedayins dans les camps de réfugiés, mais le tollé soulevé par la gauche musulmane contre les actions de l'armée a ouvert la voie à une guerre civile imminente. Très vite, les milices chrétiennes ont été ouvertement armées et entraînées par des officiers de l'armée, tandis que les milices gauchistes et arabisantes ont également obtenu des armes et un entraînement par l'intermédiaire des Palestiniens et de certains régimes arabes.

La guerre a éclaté en 1975 et s'est poursuivie, en plusieurs phases, jusqu'en 1990. L'invasion israélienne de juin 1982 avait pour but d'achever l'infrastructure militaire et politique palestinienne et d'établir un régime «ami» à Beyrouth. Israël a tenté d'y parvenir en utilisant sa puissance militaire pour forcer les mouvements de résistance palestiniens à quitter le Liban, puis en confiant la présidence libanaise à Bachir Gemayel, chef des Forces libanaises, la milice chrétienne la plus puissante, en août 1982.

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Des familles pleurent les victimes du massacre dans le quartier de Sabra à Beyrouth et dans le camp de réfugiés adjacent de Chatila, où vivent des milliers de réfugiés palestiniens. (Images Getty) 

Cependant, Gemayel a été assassiné le 14 septembre 1982, avant même d'avoir pu prêter serment. Son assassinat, dans une explosion massive à Beyrouth, a choqué les chrétiens et rendu furieuses leurs milices, qui ont riposté en attaquant Sabra et Chatila deux jours plus tard.

À cette époque, le monde arabe est affaibli et profondément divisé à la suite de la reconnaissance d'Israël par l'Égypte dans les accords de Camp David de 1979, qui a entraîné la suspension de l'adhésion du pays à la Ligue arabe.

Les Israéliens ont donc pu participer au massacre de Sabra et Chatila sans craindre d'importantes représailles de la part des Arabes. En fait, c'est le tollé général suscité par ce massacre qui a conduit à la création d'une commission d'enquête présidée par Sean MacBride, assistant du secrétaire général des Nations unies et président de l'Assemblée générale des Nations unies à l'époque.

Le rapport de la commission, publié en 1983, concluait qu'Israël, en tant que puissance occupante, portait la responsabilité des violences et que le massacre constituait une forme de génocide.

La réaction de choc au massacre a été forte même en Israël, où les autorités ont créé leur propre commission Kahan pour enquêter sur l'incident. Son rapport, également publié en 1983, conclut que, bien que consciente de l'existence d'un massacre, l'armée israélienne n'a pris aucune mesure sérieuse pour y mettre un terme.

La commission a déclaré qu'Israël était indirectement responsable «d'avoir ignoré le danger d'effusion de sang et de vengeance» et que le ministre de la Défense, Ariel Sharon, en portait personnellement la responsabilité, ce qui l'a contraint à démissionner.

Eyad Abu Shakra est le rédacteur en chef d'Asharq Al-Awsat.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com