La visite du pape François à Nadjaf constitue un moment charnière. Les chrétiens, non seulement en Irak, mais partout dans le monde arabe, se réjouissent. Depuis le prétendu printemps arabe et les turbulences qui l'ont accompagné, les chrétiens ont été parmi les plus touchés.
Le christianisme, issu de Palestine, a subi guerres et conflits dans le monde arabe. Le premier revers que les chrétiens ont essuyé en Irak remonte à la période qui a suivi l’invasion américaine de 2003. Malgré le règne brutal de Saddam Hussein, les chrétiens, en tant que minorité, ne représentaient aucune menace pour lui. Dans une certaine mesure, ils étaient protégés. Pourtant, la chute du régime et le chaos qui a suivi ont conduit à la montée de groupes extrémistes. Ces derniers constituaient une menace existentielle pour les chrétiens d'Irak.
L'Occident a ouvert les portes de l'immigration aux chrétiens irakiens. Cela les a certes aidés en tant qu'individus, mais pas en tant que communauté en Irak. La population chrétienne a commencé à diminuer. L’histoire s'est répétée avec la montée en puissance de Daech après le retrait des troupes américaines et le début du conflit syrien. Le groupe fondamentaliste a commencé à persécuter ceux qu'il qualifiait d’«infidèles». On estime aujourd'hui que la population d'avant 2003, forte de 1,5 million d'habitants, a chuté à seulement 300 000 personnes.
Cependant, la visite du pape François ouvre un nouveau chapitre non seulement pour les chrétiens d'Irak, mais pour tous les chrétiens d'Orient. Il représente un message disant que le monde ne les a pas oubliés. C'est une démonstration de soutien, mais aussi un appel à la résilience. Le message est clair: l’Irak est votre patrie, accrochez-vous-y.
Pendant que les rues de Nadjaf sont nettoyées et que les drapeaux de l'Irak et de la Cité du Vatican sont érigés, et alors que des comités sont mis en place pour organiser la visite et s'assurer que tout est conforme, d’aucuns en prennent ombrage. Ils éprouvent du ressentiment pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le fait que le pape se rende à Nadjaf traduit une reconnaissance internationale de ce point de référence pour tous les chiites. Cela fait pencher la balance en faveur de Nadjaf par opposition à Qom. Certaines parties pour lesquelles l’Irak est un terrain de jeu ne souhaitent pas qu’il retienne l’attention de la communauté internationale. L'Irak a été le premier pays arabe à recevoir un appel du nouveau président américain, Joe Biden. Et certains ne veulent tout simplement pas voir le message de cohésion sociale du grand ayatollah Ali al-Sistani se propager. Les opposants à la visite du pape sont même allés jusqu’à répandre des rumeurs selon lesquelles Al-Sistani était atteint de la Covid-19. Cependant, ces actes mesquins et sournois ne semblent avoir dissuadé ni le visiteur, ni l'hôte.
La rencontre imminente du pape avec Al-Sistani montre son soutien à la philosophie et à la politique de ce dernier.
Dr Dania Koleilat Khatib
La rencontre imminente du pape avec Al-Sistani montre son soutien à la philosophie et à la politique de ce dernier. Al-Sistani représente la coexistence, l'acceptation et le respect de « l’autre». Une longueur d'avance sur la tolérance. La visite s’inscrit dans la ligne de pensée d’Al-Sistani, qui œuvre pour la cohésion sociale et lutte contre le sectarisme, malgré l’immense pression qu’il subit. Par exemple, au cours d'un conflit sanglant entre sunnites et chiites, un groupe de chiites est venu vers lui et a qualifié les sunnites de frères; il les a repris en disant: «Ne dites pas que les sunnites sont nos frères, ils sont nous.» Cette ligne de pensée est illustrée dans une affiche qui représente le pape François et Al-Sistani avec des colombes au-dessus de leurs têtes. Le slogan dit: «Nous faisons partie de vous et vous faites partie de nous.» Cela conforte l’importance de l'élément humain dans l'islam, où la dignité humaine l'emporte sur les divisions, dont les racines sont généralement politiques.
L'institut Al-Khoei, situé à Londres, fait savoir que cette visite est le fruit de nombreuses années de dialogue interreligieux. Un érudit de la Hawza de Nadjaf souligne qu’elle est primordiale pour l'Irak, qui est la terre d'Abraham, père de tous les prophètes.
La visite est également d'une grande importance pour les chrétiens d'Orient. C'est un message qui leur est adressé et qui confirme qu'ils sont une partie intrinsèque du tissu social du monde arabe, que le christianisme est venu d'Orient, et que l'Orient sera toujours son territoire . Cette visite montre en outre qu'il y a une place pour la diversité, que diversité n’est pas synonyme de division, et que cette coexistence et ce respect finiront par prévaloir. Hayder al-Khoei, directeur des relations extérieures de l'Institut Al-Khoei, déclare: «En 2014, lorsque [Daech] a pris le contrôle de Mossoul, il y avait 17 étudiants chrétiens à l'université de Mossoul; aujourd'hui, il y en a 863. [Daech] était déterminé à détruire le pluralisme de l’Irak, mais les Irakiens sont encore plus déterminés à le préserver.»
Dimanche, le pape François se rendra sur les vestiges de l'église Al-Tahera de Mossoul, décimée par Daech. Cet acte symbolique montre que l'amour et la clémence sont plus forts que la haine et la violence. Finalement, le spectre de Daech s'est éloigné de Mossoul, et l'amour prévaudra.
Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes spécialisée dans le lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur Track II (la diplomatie parallèle). Elle est également chercheuse affiliée à l'Institut Issam Farès pour les politiques publiques et les affaires internationales de l'université américaine de Beyrouth.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com