DUBAÏ: L’installation de 2011 du duo d’artistes libanais basé à Paris, est inspirée de la Lebanese Rocket Society des années 1960.
Joana Hadjithomas: Tout a commencé avec ma sœur. Elle faisait des recherches sur l'histoire du Liban et elle est tombée sur cette histoire de fusées lancées depuis le Liban (dans les années 1960). Cela nous est resté en tête. Quelques années plus tard, nous avons vu le timbre de la fusée Cedar IV, émis en 1964, et nous avons trouvé que c'était vraiment intéressant.
Khalil Joreige: Nous nous sommes demandé pourquoi un projet aussi intéressant avait disparu de notre histoire et de notre mémoire.
Joana: La Lebanese Rocket Society a vu le jour en 1960 à l'université de Haigazian. Un professeur – Manoug Manougian – avait une passion pour tout ce qui avait trait aux fusées. Ses étudiants ont commencé à fabriquer des fusées et des propulseurs à l'université. L'armée libanaise s’est jointe au projet, mais pour Manoug et ses étudiants, ça a toujours été un projet éducatif – jamais militaire.
Khalil: Ce n’était pas non plus nationaliste. La plupart des personnes impliquées n’étaient pas libanaises – elles venaient de toute la région. Elles construisaient la paix à travers l’éducation.
Joana: Les acteurs du programme pensaient qu'ils contribuaient à la course à l'espace – ils partageaient cette fascination de l’époque pour l'espace. Il s’agit d’espoir et de rêves. Nous avons donc estimé que nous devions raconter cette histoire et retrouver ceux qui en avaient fait partie. Cela n’a pas été facile car ils étaient dispersés dans le monde entier.
Khalil: Nous avons dû réfléchir à différentes stratégies afin de conjuguer le passé au présent.
Joana: Nous avons donc reconstruit une fusée avec le soutien de la Biennale de Sharjah et nous l'avons offerte à l'université de Haigazian. La reconstitution est une façon de donner de la matière – la réalité – à nos souvenirs perdus. C’est pourquoi il était important de reconstituer la fusée à l’identique. Nous avons choisi Cedar IV parce que c’était l’une des plus réussies, mais nous n’y avons pas affiché le drapeau libanais.
Khalil: Si vous y posez un drapeau, cela devient nationaliste et militariste. En le laissant blanc, cela reste un lieu de projection, une présence fantomatique.
Joana: Aujourd'hui, la fusée ressemble à un missile militaire, mais ça n’en est pas un.
Khalil: La sonde des Émirats arabes unis (qui a atteint Mars le 9 février) s'appelle «Hope». Lorsque vous visez une autre dimension, quelque chose que vous ignorez, il s’agit toujours d'espoir.
Joana: La principale richesse du Liban est son peuple, mais nous sommes les otages de gens corrompus qui ne pensent qu'à eux-mêmes. Nous étions vraiment heureux pour les Émirats arabes unis quand «Hope» a atteint Mars, et je pense que les Libanais y ont été sensibles parce que cela touche à leur droit de rêver aussi – et d’avoir la possibilité de se reconstruire et de se libérer de ces gens corrompus.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com