PARIS : John O’Rourke, ambassadeur et chef de délégation de l’Union européenne (UE) en Algérie, répond aux questions d’Arab News en français sur les relations bilatérales entre l’Europe et l’Algérie.
Quelles sont les avancées des négociations entre l’Algérie et l’Union européenne concernant le volet commercial et qu’en est-il de la résolution du différend entre les deux parties?
Contrairement à ce qui a été révélé par la presse algérienne, je tiens à préciser d’emblée que l’Algérie n’a pas fait de demande pour la renégociation de l’accord d’association. S’il y a bien un différend sur le volet commercial de l’accord, les deux parties recherchent une solution.
La période de démantèlement tarifaire progressif pour les produits industriels est arrivée à son terme en septembre 2020, et les tarifs douaniers pour les produits couverts par l’accord devraient disparaître à compter de cette date. L’Algérie indique qu’elle est obligée de freiner ses importations afin de préserver les équilibres macroéconomiques, notamment en ce qui concerne son bilan commercial, et de sauvegarder ses réserves de devises étrangères.
Pour sa part, l’UE est prête à examiner avec l’Algérie comment ses préoccupations peuvent être adressées, mais elle regrette le manque de dialogue et de prévisibilité dans la prise de décision qui la touche. Par ailleurs, elle fait valoir que, si le déficit commercial de l’Algérie se creuse, ce n’est pas avec son partenaire européen qui, étant le principal client pour les hydrocarbures algériens, a des échanges commerciaux essentiellement équilibrés avec l’Algérie. Ce qui n’est pas le cas pour certains de ses autres partenaires commerciaux.
L’UE est prête à examiner avec l’Algérie comment ses préoccupations peuvent être adressées, mais elle regrette le manque de dialogue et de prévisibilité dans la prise de décision qui la touche.
En 2015-2016, les deux parties ont procédé à une évaluation conjointe de l’accord sur le plan économique et commercial. Côté algérien, il a été convenu d’initier d’importantes réformes macroéconomiques et financières, en vue d’une diversification et d’une compétitivité de l’économie algérienne, et, côté européen, d’étudier des pistes de soutien à ces mesures dont certaines n’ont pas été concrétisées. Dès septembre 2017, l’Algérie a choisi d’autres moyens de faire face à une crise bien plus structurelle que conjoncturelle.
Le fond du problème est que nos deux économies ne se sont pas développées de la même façon. Les difficultés que nous rencontrons à nous entendre sur les questions commerciales ne sont que la résultante de cette différence. L’Europe s’est dotée d’une économie sociale de marché, ouverte à l’initiative privée et à la mondialisation. Avec des balises et des garde-fous, certes, pour éviter les dérapages du capitalisme, mais, fondamentalement, une économie libérale. Par contraste, l’Algérie a un modèle économique basé sur l’exploitation des hydrocarbures, qui donne un rôle beaucoup plus important à l’État, moins ouvert sur le monde: une économie relativement peu intégrée dans les chaînes de valeurs internationales, une monnaie qui n’est pas pleinement convertible, un tourisme étranger bien en deçà de son potentiel. Paradoxalement, la faible intégration de l’Algérie dans l’économie mondiale ne l’a pas préservée d’une certaine dépendance aux importations et d’une vulnérabilité aux chocs externes.
Le fond du problème est que nos deux économies ne se sont pas développées de la même façon. Les difficultés que nous rencontrons à nous entendre sur les questions commerciales ne sont que la résultante de cette différence.
Pour résoudre de manière durable le déséquilibre commercial de l’Algérie, nous devrions travailler ensemble à rapprocher ces deux modèles et le faire de manière plus ambitieuse: améliorer le climat des investissements, assurer plus de stabilité et de prévisibilité dans le cadre législatif et réglementaire et plus de transparence dans son application, alléger les procédures administratives. Si ces propos peuvent paraître critiques, ils ne font que reprendre les orientations du gouvernement algérien, telles qu’elles transparaissent dans le bilan d’activités du gouvernement pour l’année 2020 récemment publié. Pour moi, c’est de bon augure pour le développement de notre coopération.
Parlez-nous des projets de partenariats entre l’UE et l’Algérie, notamment dans le contexte complexe de la pandémie mondiale de Covid-19?
Dans le cadre de sa réponse mondiale à la pandémie, l’UE a lancé en avril 2020 «Équipe Europe», une initiative pour soutenir les pays partenaires dans la lutte contre la pandémie. Le montant global de cette initiative s’élève à près de 38,5 milliards d’euros, et, en tant que partenaires stratégiques, les pays voisins de l’UE, dont l’Algérie, en sont les principaux bénéficiaires.
Pour l’Algérie, le montant de cette aide s’élève à 75 millions d’euros, dont 43 millions destinés à appuyer les efforts déployés par le ministère algérien de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière (MSPRH) afin de limiter la propagation du virus. Il s’agit de livraison de matériel sanitaire, d’équipements de protection pour le personnel soignant, ainsi que de l’acquisition de kits de dépistage précoce. La seconde partie de ce soutien (32 millions d’euros) est destinée à soutenir la relance de l’économie algérienne à travers deux programmes visant le soutien des communautés côtières et l’emploi des jeunes dans le secteur touristique.
Des réformes structurelles devraient être engagées pour rationaliser les dépenses publiques et maîtriser le déficit commercial. Où en est la coopération entre l’Algérie et l’UE dans ce domaine?
L’Algérie a décidé d’entamer le processus d’amélioration de la gestion de ses finances publiques, notamment via les dispositifs des lois de Finances et entend aussi créer les conditions de la diversification économique à travers le développement des PMI/PME. Si l’UE ne prétend pas disposer de recette magique pour la conduite de telles réformes, elle a néanmoins une expérience avérée dans ce domaine. C’est cas des pays qui ont rejoint l’Union européenne en 2004 et qui disposent d’un modèle économique semblable dans une certaine mesure à celui de l’Algérie.
Ils l’ont fait avec un succès indéniable. Afin de soutenir ces processus de transformation, l’UE a mis en place des instruments et des programmes pour accompagner ces réformes, aider à l’adaptation de la main-d’œuvre, accélérer la réforme de l’administration publique, informatiser les cadastres, faciliter l’accès des PME au capital…
L’UE est tout à fait prête à mobiliser son expérience pour accompagner les réformes que l’Algérie décidera d’engager.
L’UE est tout à fait prête à mobiliser son expérience pour accompagner les réformes que l’Algérie décidera d’engager. Il est important de rappeler que la Commission a récemment proposé un plan économique et d’investissement dont l’objectif est de stimuler la reprise socioéconomique à long terme dans le voisinage méridional. Dans le cadre de sa coopération avec ses voisins de la rive sud de la Méditerranée, près de 7 milliards d’euros y seraient alloués entre 2021-2027, et jusqu’à 30 milliards d’euros en investissements privé et public au cours de la prochaine décennie.
Nous avons aussi une coopération bien développée avec le ministère des Finances, notamment dans la mise en place d’un système informatique intégré pour la gestion budgétaire. L’autre volet de notre coopération, conduit en coopération avec la Banque mondiale, concerne l’identification de mesures à prendre afin d’améliorer le climat des affaires.
Lors de ma rencontre avec le ministre des Finances algérien, Aïmane Benabderrahmane, il a également été question de la réforme des services de douanes pour laquelle j’ai exprimé la disponibilité de l’UE d’engager une coopération.
Serait-il envisageable de développer davantage les programmes d’appui aux organismes publics et associatifs pour optimiser l’apport des ressources humaines et techniques dans les programmes institutionnels?
Bien sûr. L’UE s’est dotée d’un instrument spécifique pour appuyer le renforcement institutionnel (ce qu’on appelle en anglais «institution building»). Il s’agit du jumelage. Cette formule de coopération est particulièrement utile, car les experts, étant eux-mêmes des fonctionnaires, partagent avec leurs homologues algériens, au-delà de leur connaissance pointue du sujet concerné par chaque jumelage, un vécu du travail spécifique à la fonction publique. D’ailleurs l’Algérie a souvent recours à cet instrument dans le cadre de notre coopération.