CHICAGO: L’ambassadrice du Liban auprès de l'Organisation des nations unies (ONU), Amal Mudallali, a appelé le public à donner du temps au gouvernement libanais, chargé d’expédier les affaires courantes depuis hier soir après sa démission, pour compléter son enquête sur les causes de l’explosion du 4 août qui a détruit le port de Beyrouth et des secteurs du centre-ville. Elle l’a exhorté à « ne pas préjuger » des résultats.
Le président Michel Aoun a formé un comité gouvernemental chargé d’enquêter sur l’explosion qui a tué plus de 170 personnes, en a blessé plus de 5 000, et a endommagé des propriétés jusqu’à dix kilomètres de distance. On pense que l’explosion a été causée par un incendie qui a enflammé 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium hautement explosif, stockées dans un entrepôt du port depuis plus de six ans.
Le gouvernement a arrêté plusieurs directeurs et employés du port. Cependant, de nombreuses personnes ont répondu avec scepticisme à l’annonce de l’enquête, appelant à une investigation indépendante, focalisée sur la responsabilité du gouvernement concernant les événements qui ont mené à l’explosion.
« Le gouvernement a déjà établi un comité d’enquête et affirme qu’il partagera les résultats », a déclaré Mudallali durant une vidéo-conférence organisée vendredi par l’Institut arabe américain (AAI) à Washington D.C. Attendons (…) et voyons quels seront les résultats… »
Selon le délai fixé par la présidence libanaise, les résultats de l’enquête auraient déjà dus être rendus publics en début de semaine.
« Je ne sais pas ce que l’enquête va permettre de déterminer, mais donnons-leur une chance et écoutons ce qu’ils ont à dire, nous pourrons alors juger, a ajouté Mudallali. Il n’est pas facile de juger avant qu’ils ne parviennent à un résultat. Le problème, c’est le manque de confiance dans le pays, cela affecte tout. »
Les dégâts causés par l’explosion ont laissé plus de 300 000 personnes sans abri, dont 80 000 enfants.
Mudallali a précisé qu’après des décennies passées à subir des crises dévastatrices, les unes après les autres – la guerre civile, l’invasion israélienne en 1978, l’occupation et les conflits répétés subséquents, la pandémie de Covid-19 et la crise financière actuelle – beaucoup de personnes en ont assez et souhaitent quitter le pays.
« Sur le port, il y avait la statue d’un émigré libanais debout, regardant la mer, raconte Mudallali. Cette statue n’est plus. Elle a été détruite. Elle est désormais un symbole. »
Et d’ajouter : « Nous ne voulons pas qu’elle devienne le symbole des Libanais aujourd’hui. Nous ne voulons pas qu’ils partent! Nous souhaitons au contraire que les Libanais restent. Nous avons besoin qu’ils restent et reconstruisent, sinon personne d’autre ne le fera. Mais les aider à reconstruire ne consiste pas seulement à leur envoyer de l’aide ou de la nourriture. Nous devons les aider à améliorer les constructions, de façon durable, et à rester dans leur pays, pour que ce dernier retrouve la stabilité. »
Mudallali a été nommée ambassadrice auprès de l’ONU par le gouvernement Aoun en janvier 2018. Auparavant, elle a occupé durant cinq ans le poste de conseillère en politique étrangère du Premier ministre Rafic Hariri, qui a été assassiné le 14 février 2005 dans un attentat à la bombe que le Hezbollah est soupçonné d’avoir organisé. Plus récemment, elle était conseillère principale pour les affaires américaines auprès du Premier ministre Saad Hariri, chercheuse principale au centre Woodrow Wilson à Washington et chroniqueuse pour Arab News.
Interrogée par le président de l’AAI et hôte de la conférence, Jim Zogby, sur « la volonté politique » libanaise de mettre en œuvre les réformes économiques nécessaires pour renforcer la confiance mondiale dans le Liban et débloquer des programmes d'aide financière internationale, Mudallali a répondu qu'elle pense que les gens sont désormais plus conscients de l'urgence des réformes et de la nécessité de commencer à progresser dans leur mise en œuvre.
« Je pense que les gens comprennent maintenant qu’il n’y a pas d’autre issue et qu’il n’y a pas d’autres moyens de progresser, a-t-elle ajouté. J’espère que les choses s’amélioreront. »
La députée de l’opposition Paula Yacoubian a déclaré que le peuple n’a aucune confiance dans le gouvernement d’Aoun, aujourd’hui démissionnaire, et qu’elle qualifie de « bande de voleurs et d’escrocs » et de « mafia ». L’enquête officielle « est à la recherche de boucs émissaires » et de membres du gouvernement « faibles » à sacrifier, a-t-elle poursuivi.
« Ils essaient de s'en tirer en identifiant quelques personnes responsables de l'échec… ils commencent avec le responsable des douanes, indique Yacoubian. Nous constatons cela souvent – à chaque fois qu'il y a un problème, ils trouvent un bouc émissaire. »
Yacoubian avait prédit que le gouvernement Aoun sera chassé du pouvoir du fait de l’explosion, décrivant l’administration comme un « un cancer pour le pays ».
Michel Aoun a rejeté vendredi les appels à une enquête internationale sur les raisons de l'explosion. Il a déclaré que la cause n'a pas encore été déterminée et que l'enquête gouvernementale examinera la possibilité d'une « ingérence extérieure ».
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com