PARIS: Économie versus santé: le dilemme du gouvernement face à la pandémie s'est enrichi récemment d'un troisième terme, celui du bien-être des Français, une notion appelée à jouer un rôle durable dans la définition des politiques publiques, explique l'économiste Claudia Senik, spécialiste du «bonheur».
Le ministre de la Santé Olivier Véran évoque «mal être, ras-le-bol, stress, anxiété, déprime» et une «santé mentale des Français significativement dégradée», le Premier ministre Jean Castex relève des «mesures de restriction qui se succèdent et dont l'impact est de plus en plus difficile à supporter» (Jean Castex), tandis qu'Emmanuel Macron nous en conjure: «il faut tenir».
Depuis plusieurs mois, l'exécutif semble fonder de plus en plus ses décisions sur l'appréciation du moral des Français, mesurée notamment par l'enquête CoviPrev lancée par Santé publique France dès mars 2020, souligne Claudia Senik, professeure à la Paris School of Economics.
Signe de cette attention nouvelle à la détresse psychologique dont souffrent certains Français, l'annonce mi-janvier d'un «chèque psy» que les étudiants pourront utiliser pour consulter un psychologue et suivre des soins.
«Jusque-là, le gouvernement était dans un dilemme entre santé et économie. Maintenant on s'est rendu compte qu’il y a une troisième dimension qui influe sur les deux: la santé mentale et le bien-être. C'est pour cela qu'on ne ferme pas les écoles par exemple», explique Claudia Senik, coauteur du rapport 2020 sur le «Bien-être en France» publié par le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap).
Bien avant la Covid-19, des économistes appelaient déjà à prendre en compte de nouveaux indicateurs pour mesurer la qualité de vie et le bien-être des habitants.
En 2009, le président Nicolas Sarkozy commande au prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz un rapport pour améliorer la mesure de la performance économique et du progrès social, qui reste cependant dans les cartons. En 2018, l'OCDE publie un rapport intitulé «Au-delà du PIB», appelant à forger de nouveaux indicateurs pour mesurer «les performances économiques et sociales».
Après la crise des «gilets jaunes«, le sujet revient sur la table. «Il est urgent que les politiques publiques territoriales changent d'objectif pour viser plus le bien-être et la qualité de vie» des citoyens, affirment, dans une étude qui leur est consacrée et publiée par le Conseil d'analyse économique (CAE), Claudia Senik et Yann Algan.
Dans d’autres pays, cette notion de «bien-être» fait partie de la panoplie des indicateurs économiques. Ainsi, l'Office national des statistiques britannique (ONS) réalise depuis 2012 des enquêtes. Les degrés de bonheur, de sentiment d'accomplissement et d'anxiété des Britanniques y sont évalués une fois par an.
Claudia Senik note que cela «se répand dans plein de pays. Le bien-être va devenir un indicateur de réussite des politiques publiques, au-delà des indicateurs classiques comme le retour à l'emploi. Il est plus intéressant que des mesures agrégées comme le bonheur intérieur brut».