NEW YORK: Après une réunion intense de deux heures du Conseil de sécurité pour discuter de la crise au Yémen, Abdallah Al-Mouallimi, le représentant permanent de l'Arabie saoudite auprès de l'ONU, s'est arrêté pour réfléchir à la récente intensification des agressions des Houthis dans le pays.
Dans une interview exclusive avec Arab News jeudi, Al-Mouallimi a déclaré que la flambée de violence était un signe de «l'état de désespoir dans lequel se trouvent les Houthis», leur crainte d'un changement d’attitude de la communauté internationale à leur encontre, et leurs échecs sur les champs de bataille, où ils ont subi «d'énormes défaites».
Les hostilités des Houthis se sont intensifiées dans de nombreuses régions du pays, notamment une offensive lancée contre le dernier bastion du gouvernement yéménite à Marib, riche en pétrole. Plus d'un million de civils y ont trouvé refuge et le spectre d'une nouvelle catastrophe humanitaire se dessine. Pendant ce temps-là, les attaques des Houthis contre des cibles civiles dans le Royaume se poursuivent encore.
Cette amplification de la violence intervient moins d'un mois après que l'administration Biden, qui a l'intention de trouver une solution à la situation au Yémen, a emménagé à la Maison Blanche.
Al-Mouallimi a indiqué que les Houthis sentent qu'une percée politique et militaire pourrait donc être en vue, et ont ainsi «désespérément» recouru à «un sabotage supplémentaire du processus de paix» en lançant des attaques qui ne peuvent qu'entraver les efforts de paix de Martin Griffiths, l’envoyé spécial pour le Yémen et empêcher l’acheminement d’une aide humanitaire vitale.
«L'administration (Trump) au cours des derniers mois était extrêmement préoccupée par d'autres activités et soucis», a souligné Al-Mouallimi. «L'administration Biden est déterminée à trouver une solution et il sera très bientôt clairement évident que pour trouver une solution, il faut traiter avec les Houthis d'une manière qui repousse leur offensive et réduit leurs exigences et leurs ambitions».
Richard Mills, le vice-ambassadeur américain auprès de l'ONU, a déclaré jeudi au Conseil de sécurité que l'administration Biden était «déterminée à aider nos alliés à se défendre contre les attaques, telles que l'attaque des Houthis qui a touché un avion de ligne civil à l'aéroport d'Abha en Arabie saoudite le 10 février, et nous continuerons d'appliquer les sanctions existantes des Nations Unies et des États-Unis contre certains membres d'Ansarallah (le nom officiel du mouvement Houthi), et nous surveillerons de près les activités du groupe afin de déterminer si des actions supplémentaires sont justifiées».
Al-Mouallimi a souligné que les autorités saoudiennes étaient prêtes à travailler avec la communauté internationale pour identifier d'autres mesures possibles qui pourraient être prises «soit sur le champ de bataille, soit sur le front politique».
Il a ajouté: «Nous sommes prêts à poursuivre toutes les options possibles et à envisager toutes les autres voies qui pourraient s'ouvrir à nous et aux Américains ainsi qu’à la communauté internationale».
En informant le Conseil de sécurité jeudi, Griffiths a condamné la récente montée des agressions Houthis et a mis en garde contre le désastre humanitaire imminent auquel sont confrontés les civils à Marib. Toutefois, il a également exhorté le Conseil à saisir l'occasion de réactiver le processus politique.
Mark Lowcock, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence auprès de l’ONU, a averti le Conseil que le Yémen se dirige rapidement vers «la pire famine que le monde ait connue depuis des décennies» et que les enfants sont en train de «mourir de faim», à cet instant.
«Le monde doit agir maintenant», a-t-il ajouté.
La Suisse et la Suède coorganiseront une conférence des donateurs de haut niveau pour le Yémen à Genève le 1er mars prochain. Al-Mouallimi a indiqué qu'il espérait que l'événement va sensibiliser à la gravité de la crise humanitaire dans le pays, en appelant la communauté internationale à mettre son argent là où il faut. Il a également demandé que tout le monde soit plus généreux avec les dons en vue d’aider le peuple du Yémen.
«Il ne suffit pas que quiconque au sein de la communauté internationale commente la gravité de la situation sans réellement soutenir le Yémen par ces contributions appropriées, ces dons et son soutien matériel qui sont vraiment nécessaires».
Le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial David Beasley, entre autres, a appelé les États du Golfe à payer la facture de l’aide humanitaire au Yémen, au motif que d'autres pays riches sont débordés par leurs efforts pour résoudre d'autres crises.
«Beasley fait surement référence à la Covid-19 et aux besoins résultant de cette crise sanitaire. Eh bien, nous sommes confrontés à la même crise et nous ne nous cachons pas derrière elle pour fuir notre responsabilité », a assuré Al-Mouallimi.
«La réalité est la suivante: le besoin humanitaire au Yémen est une responsabilité de la communauté mondiale tout entière. S'il s'agit d'une division du travail, nous les Saoudiens avons pris sur nos épaules beaucoup plus que notre part du fardeau au Yémen - et ailleurs, aussi.
«Il est assez facile d’être généreux avec l’argent de quelqu'un d’autre. Il est assez facile de renvoyer la balle aux États du Golfe ou à d’autres coins du monde. Nous disons que la responsabilité s’arrête ici. Cela s’arrête ici, comme dans le cas des États du Golfe et de la communauté mondiale en général».
Les Houthis sont soutenus par les Iraniens, mais personne n’a fait allusion au régime malhonnête de Téhéran lors du briefing du Conseil de sécurité de jeudi. Cette «politique d'apaisement, d'essayer de trouver des excuses pour le régime iranien va se retourner contre le monde en général», a averti Al-Mouallimi.
«Cela s'est déjà retourné contre lui», a-t-il ajouté. «Lorsque le monde a fermé les yeux pendant un moment, l’Iran est allé de l’avant et a développé son programme nucléaire à un niveau qui est devenu extrêmement alarmant.
«Et la même chose se passe actuellement à la fois en termes de programme nucléaire, que l'Iran continue de développer, ainsi qu'en termes de soutien aux Houthis et de leur emprise sur d'autres régions, comme le Liban et d'autres endroits du Moyen-Orient.
«Les Iraniens n’ont rien à faire pour s’ingérer au Liban, au Yémen, en Syrie ou en Irak, ou ailleurs. La communauté mondiale doit prendre conscience de ce fait et attribuer la part de responsabilité là où elle doit être attribuée».
Al-Mouallimi a terminé son interview sur une note positive en mentionnant que l'histoire des crises à travers le monde nous ont appris que l'escalade est souvent le signe d'une solution imminente.
«En arabe, nous disons, «ichtaddi ya azmatu, tanfariji»: pour qu'une crise soit résolue, les gens ont tendance à remonter la barre avec leurs positions (dans une tentative) d'obtenir des avantages tactiques afin d’améliorer leur position potentielle dans tout accord négocié qui pourrait être à venir. Sur cette base, je suis donc optimiste que nous pourrons finalement parvenir à une solution globale au Yémen», a soutenu Al-Mouallimi.
«Nous savons tous que la situation yéménite ne peut être résolue que politiquement, par des négociations, des compromis et une vraie entente entre tous les Yéménites car ils ont un destin commun et ils doivent travailler ensemble pour trouver une solution raisonnable aux difficultés et aux différences du Yémen».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com