Le 9 février 2021, la sonde Hope s’est placée en orbite autour de la Planète rouge, marquant le début d’une mission scientifique d’envergure initiée par les Émirats arabes unis. Cette mission revêt une importance capitale, à la fois pour la science, les pays arabes, et aussi, peut-être, pour l’avenir des vols spatiaux habités.
D’un point de vue scientifique, grâce à la caméra et aux deux spectromètres embarqués, la mission va permettre de mieux comprendre l’atmosphère martienne et son évolution saisonnière. Comme la Terre, Mars tourne sur elle-même selon un axe incliné par rapport au plan de l’écliptique, ce qui explique la présence de calottes polaires garnies de glace et l’alternance de saisons chaudes et froides selon la position de la planète sur son orbite.
Ces saisons expliquent la fonte des glaces, les tempêtes de poussière, les principaux mouvements atmosphériques et l’évolution des taux de gaz carbonique, d’oxygène, de vapeur d’eau, entre autres. On s’interroge sur les niveaux atteints par certains éléments ainsi que par les taux d’échappement atmosphérique des éléments les plus légers. Des questions qui n’intéressent que les scientifiques? Un peu, c’est vrai, mais aussi tous ceux qui pensent à l’établissement de bases permanentes habitées sur Mars… J’y reviendrai par la suite.
Pour les pays arabes, il s’agit une grande première. De plus en plus de pays maîtrisent le lancement de fusées et les technologies spatiales: les États-Unis, la Russie, une alliance de pays européens, le Japon, la Russie ou l’Inde notamment mais, jusqu’ici, aucun pays arabe. Certes, Hope a été propulsée vers Mars grâce à une fusée japonaise, mais la sonde a bien été conçue par une équipe d’ingénieurs émiratis.
Les Américains ou les Européens ne perçoivent sans doute pas l’importance de cette mission pour les pays arabes. En effet, il n’existe pas d’entreprise arabe de renommée internationale dans les domaines des hautes technologies, de l’automobile, de l’aviation, de l’électronique, de l’informatique ou du spatial, comme si les entreprises des pays arabes avaient manqué la révolution du numérique des années 2000. En somme, la sonde Hope vient de démontrer, pour ceux qui en doutaient, qu’il n’y a pas vraiment de retard technologique et que des compétences scientifiques et techniques spécifiques peuvent être acquises en peu de temps, pour peu qu’il y ait une volonté politique et un investissement approprié.
Cela nous amène à l’avenir du spatial habité. Peu de gens le savent, mais les Émirats arabes unis ont un projet futuriste appelé «Mars 2117». Son objectif est l’établissement d’une base permanente sur la planète rouge d’ici à une centaine d’années. Bien entendu, il ne s’agit pour l’instant que d’un projet vague et peu financé, mais il est évident que le succès de la mission Hope nous pousse à croire en la faisabilité d’un tel projet. Et pourquoi pas?
À titre personnel, ayant publié plusieurs articles techniques sur le sujet, je suis convaincu qu’une première mission martienne habitée est à la portée d’un pays comme la France, ou de la France en coopération avec l’Allemagne. Mais pourquoi pas en collaboration avec d’autres pays, comme les Émirats arabes unis, pour concevoir, par exemple, le véhicule de retour qui attendra en orbite martienne? C’est envisageable. Et cela me paraît même souhaitable, pour renforcer la collaboration internationale, et parce que Mars ne doit pas être réservée à quelques pays, qui finiraient sur le long terme par s’approprier la planète entière. D’ailleurs, «Espérance», le nom choisi pour la sonde, exprime clairement la projection dans l’avenir, l’envie de quelque chose de grand, de quelque chose qui fait rêver petits et grands.
D’abord une première mission martienne habitée, pas nécessairement aussi complexe et ambitieuse que ce que projette Elon Musk avec sa Starship, pas non plus aussi complexe et ambitieuse que ce que la Nasa a décrit dans ses rapports et qui n’a convaincu personne; mais juste ce qu’il faut (architecture de mission appelée semi-directe, avec quatre lancements lourds et trois astronautes), fruit d’une collaboration internationale qui inclut un ou plusieurs pays arabe(s), pour démontrer que c’est faisable et qu’on peut voir plus loin. Et ensuite, qui sait, dans cent ans, peut-être qu’il y aura sur Mars une base américaine, une base chinoise, une base franco-allemande, et pourquoi pas une base arabe?
Jean-Marc Salotti est professeur des universités à Bordeaux INP, chercheur dans une équipe commune de l’Inria et dans le laboratoire de l’intégration du matériau au système (IMS) et membre de l’International Academy of Astronautics (IAA) ainsi que de l’association Planète Mars. Il a publié de nombreux articles techniques sur les missions martiennes habitées et la faisabilité de l’établissement de bases permanentes sur Mars.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.