ANKARA: La Turquie a rallumé la guerre des mots avec les États-Unis après qu’un ministre turc ait accusé Washington d’être derrière le coup d’État raté de 2016.
Le ministre turc de l'Intérieur, Suleyman Soylu, a accusé les États-Unis d'avoir orchestré la tentative du coup d’état ratée de 2016 et d'accueillir le prédicateur turc Fethullah Gulen, accusé par Ankara d’avoir contrôlé l’insurrection par l’intermédiaire de son réseau caché au profond de l'État turc.
Washington a, de son côté, attisé les flammes avec des déclarations accusant la Turquie d’avoir lancé une «répression excessive» des opposants lors de manifestations estudiantines.
Ces accusations interviennent au moment où la Turquie cherche à rétablir des liens tendus avec les États-Unis depuis que ceux-ci avaient imposé des sanctions, l’année dernière, contre le gouvernement turc suite à sa décision d’acquérir le système de défense aérienne russe S-400.
Ankara avait ouvert plusieurs canaux diplomatiques avec des rivaux régionaux, notamment la Grèce, la France et Israël, elle a aussi réduit son interventionnisme, que d’aucuns juge agressif, en Méditerranée en signe de bonne volonté envers l'administration Biden.
Pour Max Hoffman, spécialiste de la Turquie au Centre pour le progrès américain à Washington, l'accusation de Soylu pourrait être liée à une lutte de pouvoir en cours au sein du gouvernement à Ankara.
«Je dois me demander à un moment donné si Soylu tente activement de discréditer Erdogan. La ligne officielle est clairement d'essayer un nouveau départ diplomatique. L'économie est en ruine. Et Soylu est sans aucun doute l'héritier présumé du parti conservateur», a déclaré Hoffman.
Le département d'État américain a condamné l'accusation comme étant «irresponsable et sans fondement». «Les États-Unis n'ont rien à voir avec la tentative du coup d'État de 2016 en Turquie et l'ont rapidement condamnée. Les récentes affirmations faites par de hauts responsables turcs sont totalement fausses », a-t-il déclaré.
Le rejet de Washington des demandes d’extradition de Gulen vers la Turquie a provoqué la colère d’Ankara dans le passé.
Les experts ont affirmé que l'administration Biden serait plus ferme à l'égard d’Ankara en ce qui concerne son bilan en matière de démocratie et des droits de l'homme, contrairement à l'approche non interventionniste adoptée par les administrations précédentes.
Il reste à voir comment l’équipe de Biden pourra se montrer plus sévère sur le bilan relatif à la démocratie en Turquie, compte tenu de son statut d’allié de l’OTAN.
«Contrairement aux relations Turquie-UE, les relations d'Ankara avec Washington ne comportent pas d'éléments concrets tels que le soutien financier aux réfugiés ou une union douanière, qui sont comme pièces maîtresses dans leurs relations», a déclaré Marc Pierini, universitaire et ancien envoyé de l'UE en Turquie, à Arab News. Pierini a en outre confié qu'Ankara «ne peut pas essayer de laisser de côté les questions d'état de droit lors de ses discussions avec Washington».
De son côté, la Turquie a accusé «l'ingérence étrangère» d'avoir joué un rôle dans les manifestations estudiantines en cours dans l’ensemble du pays. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères a même adopté des termes sévères en indiquant qu’il y a probablement un «doigt américain» dans les manifestations. «Nous avertissons certains cercles à l'étranger de ne pas utiliser des groupes au langage provocateur qui recourent à des moyens illégaux et encouragent des actions illégales», a indiqué le communiqué.
Les interventions policières musclées contre des manifestants en Turquie ont alarmé Washington. Environ 600 personnes ont été arrêtées, les manifestations se propageant dans les grandes villes, alors que le gouvernement ne cesse pas de qualifier les manifestants de «terroristes».
Vendredi, un groupe de 3 317 universitaires du monde entier a publié une déclaration commune critiquant la Turquie et appelant à la démission du nouveau recteur de l’Université Bogazici, Melih Bulu, nommé par le président turc Recep Tayyip Erdogan pour sa loyauté politique et non pour son bagage académique.
Le militant américain Noam Chomsky a qualifié les manifestations étudiantes de «courageuses et honorables».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com