PARIS: La campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 a-t-elle bénéficié de financements illégaux ? Au procès de l'ex-Premier ministre, les juges ont tenté mercredi, près de 26 ans après, de démêler les versions discordantes sur l'origine d'un dépôt suspect de 10,25 millions de francs sur le compte du candidat.
Le 26 avril 1995, trois jours après l'élimination au premier tour de l'éphémère favori des sondages, cette somme est déposée sur le compte de campagne d'Edouard Balladur.
D'où provient-elle ? De dons et de la vente de gadgets lors de meetings comme l'affirme depuis toujours l'ex-candidat ? De rétrocommissions illégales en marge de contrats d'armement comme le soutient l'accusation ? Ou des « fonds secrets » de Matignon comme le certifie l'ex-trésorier de la campagne ?
Face à la Cour de justice de la République, qui juge Balladur et son ancien ministre de la Défense François Léotard depuis le 19 janvier, le prévenu de 91 ans se sent « la conscience parfaitement tranquille ».
Cette « affaire », répète-t-il à l'envi, a été « réglée par le Conseil constitutionnel », qui a « expressément » validé en octobre 1995 son compte de campagne et ainsi « les explications » fournies alors par son mandataire.
Dons et « objets divers », « tee-shirts, casquettes, briquets », avait indiqué ce dernier, en réponse aux nombreuses interrogations des rapporteurs chargés d'examiner la régularité du compte.
« Ca m'a paru crédible », rétorque Balladur, droit à la barre dans son costume-cravate gris. « Il s'agit finalement de 10 millions de francs, soit 1,5 million d'euros. Ça représente 15 000 euros par département, (...) ce n'est pas un ratio tellement surprenant », insiste-t-il.
Pourtant, ces 10,25 millions « tombent » sur le compte - déficitaire - après plusieurs dépôts réguliers et bien moins importants, dont l'un trois jours avant, relève le président de la CJR, Dominique Pauthe.
Premier ministre et candidat à la présidentielle, Edouard Balladur ne s'occupait pas des « détails », réplique le prévenu, pour qui les sommes n'étaient finalement « pas extraordinairement importantes ».
« A mon insu »
Mais ces « détails » intéressent la Cour qui veut déterminer si la « masse » de coupures de 500 francs déposée sur le compte peut réellement correspondre à des dons.
« Je suis incapable de vous répondre », s'impatiente l'ex-Premier ministre, demandant à pouvoir retourner s'asseoir.
Après deux heures d'interrogatoire, il quitte la salle d'audience pour raisons médicales. Et n'entendra pas son ex-trésorier de campagne, René Galy-Dejean, soutenir que la somme litigieuse provenait des « fonds secrets » de Matignon.
Très critiquée, cette pratique consistant à distribuer de l'argent liquide aux ministères sans justification a été encadrée en 2001 par Lionel Jospin.
Explorée par les juges qui n'y ont pas donné suite, la piste des fonds secrets a également été avancée récemment, et pour la première fois, par Nicolas Bazire, l'ancien directeur de campagne de Balladur, selon les extraits lus à l'audience d'une lettre qu'il a adressée le 12 janvier à la CJR.
Dans cette même missive, Bazire, condamné en juin dans le volet non-ministériel de la même affaire et qui a fait appel, expliquait pourquoi il ne témoignerait pas devant la Cour.
René Galy-Dejean avait évoqué les fonds secrets dès décembre 2012. Mercredi, dans des déclarations filandreuses laissant parfois perplexe la Cour, il confirme s'être rendu à la banque après le premier tour, mais pour y déposer « trois millions de francs », ce qui représentait déjà selon lui « beaucoup de volume ».
La banque avait pourtant attesté du versement de 10,25 millions de francs. Sur « un bout de carton », murmure l'ex-trésorier, pour qui les sept millions restants ont été « déposés à (son) insu ».
Sur l'origine des espèces, il n'en démord pas : « Elles m'ont été remises par le chef de cabinet du Premier ministre, Pierre Mongin, chargé des fonds secrets ».
Entendu à sa suite, Mongin dénonce « une fable absurde ». « A ma connaissance, il n'y a pas eu de fonds spéciaux attribués à la campagne d'Edouard Balladur », a martelé l'ex-patron de la RATP, comme l'ancien Premier ministre avant lui.
Les soupçons de financement occulte de la campagne Balladur sont l'une des branches de la tentaculaire affaire Karachi, du nom de l'attentat commis en 2002 dans cette ville du Pakistan contre des employés français de la Direction des constructions navales (DCN).