PARIS: "Ca commence à faire beaucoup pour notre peuple": la diaspora libanaise installée en France est sous le choc après les explosions de Beyrouth, une catastrophe de plus pour un pays déjà "à genoux".
Une amitié historique lie les deux pays, la France étant considérée comme la "tendre mère" ou la "seconde patrie" des Libanais, en raison de liens historiques, culturels, politiques et économiques, nourris par la francophonie. L'Hexagone compte aujourd'hui une importante communauté libanaise sur son territoire, estimée entre 120.000 à 200.000 personnes par l'ambassade.
Parmi les membres de cette diaspora, Claude Tarabey n'a presque pas dormi de la nuit. "J'ai encore la chair de poule en pensant à ce qui s'est passé".
Avec difficulté, elle a pu joindre des membres de sa famille, qui lui ont décrit des scènes d'"apocalypse". La maison de sa sœur, au centre-ville, a été soufflée. Sa nièce a réussi à sortir "miraculeusement" des gravats.
"Les images font penser à la guerre du Vietnam ou à Hiroshima", soupire cette Libanaise arrivée en France dans les années 1980, qui préside l'association Le Liban autrement. Elle s'inquiète du manque de place dans les hôpitaux, "déjà qu'il n'y avait pas beaucoup de matériel"...
Incompétence
Son mari Kamal Tarabey, ancien journaliste spécialiste du monde arabo-musulman, compare la catastrophe à un "séisme": "Même dans les pires années de la guerre civile, on n'a pas connu de tels dégâts dans un périmètre aussi important". "En colère", il attend qu'on pointe des responsabilités: "Rien ne marche au Liban, cette catastrophe vient s'ajouter à la crise économique, sociale, humanitaire..."
Le pays est secoué par sa pire crise économique depuis des décennies, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie qui a plongé près de la moitié de la population dans la pauvreté.
"Cette tragédie est une preuve de plus de l'incompétence de la classe politique qui a gouverné le Liban depuis plusieurs décennies", s'indigne Antoine Fleyfel, philosophe et théologien franco-libanais. "Je vois mon pays s'effondrer de plus en plus". Il confie par ailleurs "manquer de mots" pour exprimer sa tristesse.
Pour Salim Eddé, 61 ans, cofondateur de la société Murex (éditeur de logiciels), qui emploie 670 personnes à Beyrouth, c'est la catastrophe de trop: "Le pays est déjà à genoux, il mérite beaucoup mieux que ça".
"Descente aux enfers"
Les déflagrations ont tué plus de 100 personnes et blessé plus de 4.000 autres, selon le bilan de la Croix Rouge libanaise mercredi.
A Toulouse mercredi soir, un rassemblement à l'appel d'une association culturelle libanaise, a réuni quelque 80 personnes place du Capitole, en soutien à Beyrouth sinistrée. Portant des drapeaux frappés du Cèdre, elles ont écrit avec des bougies le mot "Liban" au sol, avant d'entonner l'hymne libanais et la Marseillaise.
"Clairement, c’est un signe de la désorganisation de l’État" estimait Farah Fakhaoui, Franco-Libanaise de 31 ans, enveloppée dans le drapeau libanais, qui a pris des nouvelles de sa famille: "Aujourd’hui, il y a une colère chez eux, ils savent qu’ils ne connaîtront jamais la vérité".
Pour Farid, 27 ans, ingénieur en aéronautique, "c’est le système politique libanais qui est défaillant (...) Le gouvernement est corrompu, il prend les richesses du peuple".
"On se disait qu’il ne pouvait rien arriver de pire quand le Liban s’enfonçait, mais il est arrivé quelque chose de pire".
"Ca commence à faire beaucoup pour le peuple libanais, c'est un coup de massue pour le pays", renchérit Armand Khoury, président de l'association culturelle Asnières Liban amitié, en région parisienne, pendu au téléphone depuis l'annonce du drame, "abasourdi" par les images "de désolation" qu'il voit défiler et qui lui rappellent "la guerre du Liban de 1975 à 1990". Il a d'ores et déjà lancé une cagnotte pour récolter de l'aide.
Pour ne pas "désespérer", Samar Seraqui de Buttafoco, une blogueuse dont le compte Instagram compte plus de 100.000 abonnés, a aussi commencé à récolter des fonds. "Des textos annonçant des tragédies, j'en reçois trop souvent du Liban", déplore l'activiste de 37 ans, arrivée en France à 20 ans. "Ce pays cumule malheureusement trop de difficultés. La suite, on la connaît: ce sera une crise écologique et sanitaire".
"Je ne vois pas d'issue de secours, c'est une descente aux enfers", se lamente aussi Simona Saba, une ingénieure installée en France depuis dix ans. La nouvelle, apprise par une amie mardi soir, a été "un choc". "Avec tous les problèmes qu'il connaît depuis un moment, ce peuple ne peut pas souffrir encore plus", estime-t-elle.