LE CAIRE: Rira bien qui rira le dernier. Lors du Printemps arabe, le comique Bassem Youssef s'en était donné à coeur joie contre les dirigeants égyptiens, rendant hilares ses compatriotes. Mais dix ans plus tard, dans l'Égypte de Sissi, l'humour n'a plus droit de cité.
Cet ancien chirurgien âgé de 46 ans vit aujourd'hui aux États-Unis, avec la peur de rentrer dans son pays, où les autorités musèlent toute liberté d'expression.
"J'aime ma vie en Amérique", a déclaré à l'AFP M. Youssef dans un chat video depuis Dubaï, ajoutant, ironique: "La seule chose, peut-être, qui me manque à propos de l'Égypte, ce sont les mangues".
M. Youssef est devenu célèbre sur YouTube après le soulèvement populaire de janvier 2011, qui a mené à la chute du président Hosni Moubarak.
Dans "El Bernameg" (Le programme), il ridiculisait chaque semaine les hommes de pouvoir de tous bords, des militaires aux imams, avec un humour décapant.
Mais en 2014, il a dû quitter l'Égypte après la suspension de son show: il s'était moqué d'Abdel Fatah al-Sissi, alors candidat à l'élection présidentielle, qu'il a remportée largement.
"40 millions"
Il avait notamment raillé le culte de la personnalité envers le nouvel homme fort du pays dont les portraits figuraient partout, des mugs aux pâtisseries.
Depuis son arrivée au pouvoir, M. Sissi a mené une répression impitoyable contre toute forme d'opposition, islamiste ou libérale, emprisonnant artistes, journalistes, intellectuels, avocats ou politiciens.
Aujourd'hui, l'humoriste vit en Californie et a débuté une nouvelle carrière de stand up comédien, écrivain et podcaster, mais il ne cache pas son amertume.
"Je ne veux même pas dire que je suis un exilé. J'ai passé ça", confie-t-il.
"Quand vous vous dites que vous êtes en exil, vous pensez à quand vous allez rentrer chez vous. Moi, je n'y pense même plus", ajoute l'humoriste, qui n'a pas pu se rendre aux funérailles de son père en Égypte.
Après la "révolution" de janvier, le médecin au large sourire et aux yeux bleus avait conquis un large public en Égypte, et même au delà, grâce à sa modeste émission sur Youtube en 2011, filmée depuis sa buanderie. Le show était vite devenu un programme télévisé ultra-populaire rassemblant des millions de téléspectateurs.
"Une grande partie du succès de El Bernameg était dû aux circonstances (....) Or on ne peut pas recommencer car ces évènements ne sont plus là", dit-il en référence aux manifestations monstres de janvier-février 2011.
"Aucune autre émission ne rassemblera 40 millions de personnes chaque semaine. Et il nous faut tous - moi le premier - vivre avec", ajoute-t-il.
Malgré son lien avec la révolution, le comédien, suivi par 15 millions de personnes sur les réseaux sociaux, refuse de se poser en "militant" politique.
"Je dis toujours que le rôle d'un humoriste, d'un artiste ou d'un comédien se limite à l'écran", lance-t-il.
Nouveau créneau
"Je pense que la révolution était quelque chose qui devait arriver. C'était naturel. C'est devenu quelque chose que, peut-être, on n'espérait pas, mais c'est comme ça", ajoute-t-il.
Il n'en reste pas moins, selon lui, que ces événements constituent une rupture avec "la façon de penser traditionnelle".
Pour son retour auprès du public arabe, sa nouvelle émission "Demande à Bassem", diffusée sur la chaîne saoudienne Asharq à Dubaï, se focalisera sur sa passion pour l'alimentation à base de plantes.
"Je suis médecin après tout", lance-t-il.
"C'est une façon de retourner au monde arabe sans les risques que nous connaissons", analyse le comédien qui souhaite "aider les gens à se sentir mieux".
L'humour, Bassem Youssef continue à le pratiquer aux Etats-Unis. Il a fait des apparitions dans plusieurs émissions populaires, dont celle de son ami Jon Stewart, le célèbre humoriste américain auquel il est souvent comparé. Pour s'adapter à ce nouveau public, il y raille notamment le président sortant Donald Trump.
Mais la nostalgie n'est jamais loin.
"Vous ne pouvez pas en avoir complètement terminé avec votre pays d'origine, parce vous êtes toujours égyptien. Ca fait partie de vous".