KHARTOUM : Les violents heurts qui frappent le Darfour depuis trois jours, faisant au moins 130 morts et de nombreux blessés, soulignent les profondes divisions tribales dans cette région agitée de l'ouest du Soudan.
Ces nouvelles violences interviennent au moment où le gouvernement de transition à Khartoum --installé après la destitution de l'ancien président Omar el-Béchir en 2019-- tente de stabiliser la région après le récent départ de la mission onusienne de maintien de la paix.
Mais les derniers affrontements remettent en cause le récent accord de paix historique signé en octobre entre gouvernement et rebelles darfouris, ainsi que la capacité des autorités à assurer la sécurité.
Que s'est-il passé?
Les habitants d'Al-Geneina, dans l'Etat du Darfour-Ouest, se sont réveillés samedi sous une «fusillade intense».
«Tout a commencé vendredi par une querelle entre deux personnes, une de la tribu non-arabe Massalit et l'autre d'une tribu arabe», a dit à l'AFP par téléphone Adam Hussein, un habitant.
La dispute «s'est terminée par un coup de poignard», a-t-il poursuivi.
Les autorités ont rapidement arrêté le meurtrier, mais les «milices armées ont pris cet incident comme prétexte pour attaquer Al-Geneina», selon l'Association des avocats du Darfour.
«Ces milices ont semé la panique (...) commettant toutes sortes de violations des droits humains», a rapporté l'association dans un communiqué.
Les affrontements se sont poursuivis jusqu'à dimanche en dépit d'un couvre-feu décrété par les autorités locales.
«Les pillages et les meurtres ont eu lieu dans le marché local et dans d'autres districts», selon M. Hussein.
Les violences se sont étendues et lundi, des affrontements ont éclaté dans un village de l'Etat du Darfour-Sud, fief de la tribu non-arabe Fallata.
Un chef de cette tribu, Mohamed Saleh, a dit à l'AFP que des hommes de la tribu arabe des Rizeigat ont attaqué le village de Saadoun, tuant 47 personnes et brûlant plusieurs maisons.
Qu'a fait le gouvernement?
Dimanche, les violences avaient fait au moins 83 morts et 160 blessés, et plusieurs habitations avaient été incendiées.
Les autorités à Khartoum et dans d'autres Etats ont envoyé des renforts au Darfour-Ouest pour protéger les civils et les infrastructures.
Le couvre-feu a pris effet dimanche après-midi. Aucune information n'était disponible sur une possible levée du couvre-feu.
«Nous avons cessé d'entendre la fusillade depuis hier (dimanche) vers 16h00 (14H00 GMT)», a dit Mohamed Eissa, un commerçant, avant d'ajouter que «les forces de sécurité se sont déployées dans tous les coins de la ville».
Le ministère soudanais de la Santé a envoyé des aides et des équipes médicales.
Les raisons?
Les violences soulignent l'état «des relations entre les communautés dans chacun des camps de la guerre civile, non résolue au Darfour», a estimé Magdi El-Gizouli, analyste au Rift Valley Institute.
«Le scénario qui s'est joué à Al-Geneina est la base du drame des violences dans la région», selon lui.
Le conflit au Darfour avait débuté en 2003 entre forces loyales au régime du général Omar el-Béchir à Khartoum et des membres de minorités ethniques s'estimant marginalisées.
Les violences ont fait quelque 300.000 morts et plus de 2,5 millions de déplacés, essentiellement durant les premières années du conflit, selon l'ONU.
Les affrontements restent encore fréquents concernant l'accès à la terre et à l'eau, opposant éleveurs nomades arabes et fermiers darfouris.
Le 31 décembre, l'ONU et l'Union africaine ont mis fin à leur mission de maintien de la paix (MINUAD) de 13 ans au Darfour.
Des centaines de personnes déplacées avaient manifesté contre le départ de cette mission, craignant un regain de tensions.
La MINUAD n'aurait peut-être pas pu empêcher les violences, mais sa présence avait un «effet dissuasif», selon Jonas Horner, du cercle de réflexion International Crisis Group.
Le gouvernement a promis d'assurer la sécurité de la région mais selon M. Horner, les troupes de Khartoum sont «mal équipées».
En outre, les forces de sécurité soudanaises comprennent les Forces de soutien rapides, un groupe paramilitaire issu des Janjawids, une milice armée composée essentiellement de nomades arabes, accusés de «nettoyage ethnique» et de viols pendant le conflit.
«Les darfouris ont souffert d'une violence extrême et d'atrocités pendant des années entre les mains des mêmes militaires et forces paramilitaires qui sont maintenant chargés de les protéger», estime M. Horner.