ANKARA: Un nouveau tour de pourparlers entre la Turquie et la Grèce aura lieu dans le courant du mois à la suite d’une proposition d'Ankara, avec pour sujet de discussion central les revendications territoriales en Méditerranée orientale.
Les négociations débuteront le 25 janvier à Istanbul.
C’est la 61ième série de pourparlers qui se tient en quatorze ans. Les réunions précédentes se sont cependant principalement penchées sur des questions liées à la mer Égée.
Athènes va sans doute orienter la discussion vers des zones maritimes dans la mer Égée et la Méditerranée orientale, délimitées conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). La participation d’Ankara n’est pour le moment pas conditionnelle.
La Turquie ne fait pas partie des signataires de la CNUDM, et ne reconnaît pas Chypre comme membre de l'Union européenne.
Rauf Mammadov, chercheur à l'Institut du Moyen-Orient, explique à Arab News que tout dialogue direct constitue sans nul doute une étape positive vers la réconciliation des deux adversaires. «Le dialogue est la seule méthode pacifique pour résoudre ce conflit» dit-il.
Le chercheur ajoute que «l'essentiel du différend entre les deux membres de l'OTAN repose sur des interprétations divergentes et incompatible du droit international. L'alternative consiste à accumuler les querelles diplomatiques, parfois accompagnées de menaces d'escalade militaire».
Le spécialiste du Moyen-Orient à l'Université d'Oxford Samuel Ramani estime qu'une percée diplomatique à court terme dans l'impasse entre la Grèce et la Turquie est «peu probable». «Les niveaux de confiance sont extrêmement bas des deux côtés, et les deux considèrent toute ouverture diplomatique comme un coup publicitaire auprès de la communauté internationale, plutôt qu'une tentative sincère de désamorcer la crise», ajoute-t-il.
Ramani ne trouve «pas étonnant» que la Turquie propose d'organiser des pourparlers avec la Grèce, puisque Ankara a déjà fait des insinuations dans ce sens. «L’unique voie de la convergence en Méditerranée orientale consiste à atténuer certaines tensions entre la Grèce et la Turquie» dit-il.
L’ouverture de la capitale turque dernièrement envers la France est un facteur positif, tout comme les récentes déclarations des EAU l’importance de désamorcer la situation avec la Turquie», a-t-il ajouté.
Ankara rejette les revendications de frontière maritime grecques et chypriote, affirmant qu'elles violent ses droits souverains ainsi que ceux de Chypre-Nord.
Les experts ont également souligné l’importance du moment choisi pour de telle annonce.
«Ankara et Athènes entreprennent des démarches vers un compromis potentiel au moment où le corridor gazier sud (CGS) devient opérationnel. Le projet est un exemple rare de coopération économique continue entre deux pays voisins», se réjouit Mammadov.
Il a ajouté qu'une éventuelle résolution du différend énergétique de la Méditerranée orientale serait certainement couronnée de succès si elle était motivée par des intérêts économiques mutuellement avantageux, similaires au CGS.
Charles Ellinas, chercheur principal au Conseil de l'Atlantique, confie à Arab News que la nouvelle administration du président élu américain Joe Biden devait préoccuper Ankara, d'autant plus que le pays, dans un court laps de temps, a fait l'objet de sanctions européennes et américaines simultanées.
«Pour le moment, il est très important d'éviter les propos agressifs et les menaces. Le récent avertissement envoyé par le président turc Recep Tayyip Erdogan à l'UE, à savoir que soutenir la Grèce déclencherait de nouvelles explorations offshores, complique la situation et n’est guère constructif» explique Ellinas.
Le chercheur ajoute que sans changement de cap, Ankara serait susceptible vivre des moments difficiles avec Biden. Un début de discussions avec la Grèce serait par contre perçu de manière très favorable par l'UE et les États-Unis.
Les deux pays souhaitent par ailleurs un soutien plus fort de la part Washington afin de consolider leurs acquis régionaux et faire pression au sujets leurs «lignes rouges», avant l'inauguration prochaine de Biden le 20 janvier.
Néanmoins, Ramani a expliqué que si un apaisement de l'agressivité des deux côtés est certainement possible, les questions fondamentales restent plus difficiles à résoudre. «La Turquie voudra maintenir son accord d'extraction de gaz avec la Libye, ce qui est inacceptable pour la Grèce. Le différend chypriote est toujours un point de friction», explique-t-il.
Des efforts de plusieurs décennies pour établir la paix dans l'île divisée sont sur le point de s'effondrer, particulièrement avec Ankara qui préconise la division de Chypre en deux États depuis le mois d’octobre de l'année dernière.
Les controverses autour des droits maritimes et des explorations d'hydrocarbures au large de l'île alimentent de plus en plus les tensions croissantes dans les eaux de la Méditerranée orientale.
Ramani affirme que le dialogue Turquie-Grèce peut théoriquement mettre fin, en théorie, à la stratégie de la corde raide turque, qui comprend le harcèlement des bateaux de pêche et les manœuvres militaires provocatrices. «Cela ne résoudra probablement pas les problèmes fondamentaux», a-t-il ajouté.
En décembre, Ankara a retiré son navire de recherche sismique Oruç Reis des eaux contestées de la Méditerranée orientale, et qui a déclenché une dispute avec Athènes au sujet des perspectives de forage énergétique.
Le navire restera sur le plateau continental turc jusqu'au 15 juin, une décision considérée par des observateurs comme un geste de bonne volonté.
La 60ième série de négociations, la dernière entre les deux pays, a eu lieu à Athènes en mars 2016. Les pourparlers se sont poursuivis pendant des années par le biais de consultations politiques, malgré l'absence d’un cadre officiel.
«La seule condition préalable d’Athènes est que les discussions ne portent que sur la délimitation des zones maritimes sur la base du droit international, là où elles se sont arrêtées en mars 2016. De son côté, Ankara semble garder ses options ouvertes, espérant que les deux parties s’entendent sur l’ordre du jour», dit Ellinas.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu et Erdogan, ont rencontré mardi les ambassadeurs des États membres de l'UE à Ankara. Cette mesure est considérée par de nombreux experts comme une nouvelle tentative pour renouer avec l'UE et rétablir les liens avec la Grèce.
Cavusoglu doit se rendre à Bruxelles le 21 janvier.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com