La Syrie se trouve à un moment charnière, avec une réelle possibilité de renaissance après avoir enduré des décennies de répression violente sous l'emprise dynastique des Assad. Le destin de cette nation et l'équilibre régional au Moyen-Orient sont maintenant suspendus aux décisions que prendront - ou éviteront de prendre - les nouvelles autorités syriennes, leurs alliés et les puissances internationales, Washington en tête, durant cette période critique qui s'ouvre.
Lors de son allocution inaugurale à la conférence sur la Syrie organisée par le Middle East Institute à Washington la semaine dernière, Timothy Lenderking, cadre supérieur au Bureau des affaires du Proche-Orient du Département d'État, a dressé un constat sans équivoque de la situation. Il a interpellé directement "les responsables politiques américains, dont je fais partie avec mes collègues, sur notre responsabilité collective de prendre les bonnes décisions face à ce tournant historique que traverse la Syrie et l'ensemble de la région."
Ce moment est critique car la nouvelle administration à Washington formule actuellement sa politique syrienne.
L'administration américaine peut tirer satisfaction des avancées stratégiques majeures obtenues en Syrie depuis l'effondrement du régime Assad : l'influence iranienne a été neutralisée, le Hezbollah se trouve privé de son corridor logistique terrestre depuis l'Iran, et la puissance russe a considérablement décliné, sa position en territoire syrien étant désormais fragilisée. Jim Risch, qui préside la Commission des relations étrangères du Sénat, exprimait sa satisfaction le mois dernier concernant la dissolution de ce qu'il a appelé le "cercle de feu" - ce dispositif qui "maintenait Israël dans l'étau de groupes terroristes satellites et d'une instabilité chronique depuis plusieurs décennies" et qui "gît aujourd'hui en ruines."
Les questions auxquelles l'administration Trump est confrontée concernent sa future relation avec la nouvelle Syrie et sa présence militaire dans ce pays.
Les questions auxquelles l'administration Trump est confrontée concernent sa future relation avec la nouvelle Syrie
Dr. Amal Mudallali
Les spécialistes syriens basés à Washington s'accordent à reconnaître une conjoncture sans précédent pour pacifier le pays et sa région environnante. Ils appellent l'administration américaine à dépasser ses réticences et à établir un partenariat actif avec les autorités transitoires, afin d'accompagner la République arabe syrienne vers la stabilité par la suspension des mesures coercitives et le renforcement institutionnel d'un gouvernement confronté à d'innombrables obstacles.
Le sénateur Risch a parfaitement saisi le sentiment qui prévaut à Washington vis-à-vis de la Syrie dans sa déclaration: "Nous naviguons entre opportunités et risques dans un équilibre délicat. S'engager trop fortement ou trop vite pourrait engendrer de nouvelles complications sécuritaires, tandis qu'un désengagement ou une implication insuffisante risquerait de créer un vide que la Russie et l'Iran s'empresseraient de combler, tout en envoyant un signal erroné d'indifférence américaine. Soyons lucides - précipiter la levée des sanctions comporterait des périls considérables pour nos intérêts."
Un nouveau rapport, "Reimagining Syria", publié par trois think tanks lors de la conférence du Middle East Institute la semaine dernière, appelle cependant à donner à la transition syrienne "l'espace nécessaire pour réussir." Il préconise la levée des sanctions américaines et soutient que l'engagement offre une meilleure chance "d'orienter l'ampleur et la direction du changement en Syrie" que l'isolement.
Malgré les actes et déclarations positifs des nouveaux dirigeants syriens, Natasha Hall du Center for Strategic and International Studies met en garde contre l'existence d'opposants déterminés. "Certains acteurs souhaitent l'échec de ce gouvernement syrien et le plongeon du pays dans le chaos," affirme-t-elle. Hall avertit sans ambiguïté que l'absence d'allègement des sanctions condamnerait ce gouvernement : "Sans cette mesure, sa survie est tout simplement impossible."
Les experts mettent en garde Washington: maintenir le régime de sanctions économiques qui étouffe actuellement la Syrie pourrait pousser le nouveau gouvernement dans l'orbite de Moscou. Parallèlement, les analystes plus circonspects expriment leurs préoccupations quant à certaines mesures adoptées par les autorités syriennes, qu'ils considèrent comme potentiellement dangereuses.
Les récents épisodes de violence sur le littoral syrien ont malheureusement conforté l'argumentaire des opposants à l'assouplissement du régime de sanctions. Ces événements risquent désormais sérieusement d'entraîner un durcissement de la position américaine quant à la levée des mesures restrictives.
Bien que le président Donald Trump n'ait pas encore pris position officiellement sur ce dossier, son administration adopte une approche pragmatique durant cette phase d'observation, permettant l'acheminement d'aide humanitaire vers la Syrie tout en maintenant des restrictions sur d'autres exportations.
L'administration Biden avait accordé en janvier une suspension partielle des sanctions contre la Syrie pour une durée de six mois. Plus récemment, selon Reuters, l'équipe Trump a autorisé le Qatar à fournir du gaz à la Syrie en transitant par la Jordanie, une mesure visant à soutenir le réseau électrique syrien en difficulté.
Par ailleurs, des sources indiquent que la Maison Blanche a joué un rôle déterminant dans les négociations ayant abouti à un accord entre Damas et les Forces démocratiques syriennes kurdes soutenues par Washington. Le secrétaire d'État Marco Rubio a d'ailleurs salué cette avancée qui contribue à "l'intégration du nord-est dans une Syrie unifiée."
La Syrie reste néanmoins sous haute surveillance. Lors de son intervention, Lenderking a affirmé que l'administration américaine entretient "d'importantes réserves concernant l'autorité provisoire installée à Damas." Il a précisé l'approche de Washington : "Nous maintenons une observation attentive tout en établissant des contacts mesurés avec cette nouvelle direction et le président par intérim Ahmad Al-Sharaa pour évaluer leur sincérité."
Les spécialistes alertent les décideurs américains sur le risque de voir la Syrie nouvelle se tourner vers Moscou si les sanctions paralysantes devaient être maintenues.
Dr. Amal Mudallali
La gestion des événements survenus sur la côte constitue l'un des critères d'évaluation cruciaux. Sur ce point, Lenderking a été catégorique : "En Syrie, la notion de responsabilité dépasse le simple cadre moral pour devenir un élément fondamental de la stabilité et de la cohésion sociale. Nous ne pouvons tolérer que la violence sectaire ou les combattants étrangers trouvent leur place au sein des futures institutions gouvernementales ou militaires syriennes." Le diplomate américain a clairement exprimé les attentes de Washington, exigeant l'expulsion des combattants étrangers tant des fonctions officielles que du territoire syrien, qualifiant cette mesure de "preuve tangible d'engagement envers la stabilisation du pays et de la région."
Sous régime de sanctions depuis 1979, la Syrie fait face à un paradoxe avec la loi César de 2019 pour la protection des civils syriens. Initialement conçue pour punir le régime de Bachar el-Assad pour ses atrocités, cette législation entrave aujourd'hui les efforts d'assistance envers la population même qu'elle visait à défendre. Bien que le régime et sa structure militaire aient été démantelés, ces sanctions continuent à restreindre sévèrement la marge de manœuvre du gouvernement intérimaire dans ses tentatives de reconstruction nationale et de redressement économique.
Le mois dernier, Risch a avancé l'idée d'un "assouplissement graduel des sanctions César" tout en préconisant une vigilance américaine sur les actions du nouveau gouvernement. Il a précisé que si l'évolution s'avérait positive, "nous poursuivrons ce processus d'allègement sanctionnel." Sa proposition s'articule autour de cinq "impératifs sécuritaires fondamentaux" pour Washington: empêcher que le territoire syrien ne devienne un "tremplin pour des actions terroristes contre les États-Unis ou leurs alliés," obtenir le retrait définitif des forces russes et iraniennes, démanteler les réseaux de narcotrafic établis sous Assad, clarifier le sort des Américains d'origine syrienne détenus par l'ancien régime, et garantir l'impossibilité d'un retour à un système dictatorial.
Certains analystes défendent une position plus radicale. Selon Thomas Warrick de l'Atlantic Council, qui s'est exprimé lors de la conférence du MEI la semaine passée, Damas n'aurait qu'une seule voie pour obtenir la levée des sanctions: entamer des négociations avec l'administration Trump en vue d'adhérer aux Accords d'Abraham, impliquant ainsi une normalisation complète des relations avec Israël.
Dans cette période décisive où Washington façonne sa stratégie syrienne, rappelons l'importance de consolider les avancées géopolitiques obtenues et d'œuvrer pour l'émergence d'une Syrie démocratique et ouverte, affranchie de l'influence iranienne et entretenant des relations pacifiques avec son voisinage. Une telle configuration politique n'a pas existé dans le pays depuis plus de cinquante ans. Le président Trump aurait tout intérêt à offrir cette opportunité à la Syrie plutôt que de céder aux analyses conventionnelles et dépassées concernant cette nation.
Dr Amal Mudallali est consultante sur les questions mondiales. Elle a été ambassadrice du Liban auprès des Nations unies.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com