Comment l'Iran exploite les conflits sectaires en Syrie

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Publié le Vendredi 14 mars 2025

Comment l'Iran exploite les conflits sectaires en Syrie

Comment l'Iran exploite les conflits sectaires en Syrie
  • L'Iran a longtemps été un allié clé du régime Assad, lui apportant un soutien militaire, économique et politique pour le maintenir au pouvoir
  • Des rapports crédibles suggèrent que les milices soutenues par l'Iran ont joué un rôle central dans le déclenchement des récentes violences

Ces derniers jours, la région côtière de la Syrie, longtemps considérée comme un bastion de la secte alaouite, a été le théâtre d'une éruption de violence qui a fait plus de 600 morts – un bilan macabre qui en dit long sur la gravité du conflit. Les affrontements entre les tireurs musulmans sunnites fidèles au nouveau gouvernement et les communautés alaouites restées fidèles au régime déchu d'Assad ont ravivé les lignes de fracture sectaires qui affectent la Syrie depuis des années. Mais ce qui semble être un affrontement entre des factions locales est en réalité une interaction complexe de forces internes et externes, qui façonne profondément l'avenir de la Syrie.

Cette violence n'est pas seulement la conséquence des divisions internes du pays, mais aussi le signe de luttes d'influence plus profondes sur l'avenir de la Syrie après la chute du régime d'Assad. Les troubles représentent un défi existentiel pour le gouvernement intérimaire dirigé par Ahmad al-Charaa, soulignant la fragilité du contrôle de l'État dans la région. Alors que le gouvernement intérimaire s'efforce d'asseoir son autorité et sa légitimité, sa capacité à surmonter les divisions internes est mise à l'épreuve. Le rôle des acteurs extérieurs, en particulier de l'Iran, a été largement négligé, mais il ne doit pas être sous-estimé. En fait, l'ombre de l'Iran plane sur les récentes violences, ce qui soulève des questions sur l'étendue de son implication dans l'exacerbation de ces tensions sectaires pour réaliser ses propres ambitions régionales.

La Syrie reste un État fragmenté, qui s'efforce de surmonter des années de guerre civile et les profondes cicatrices laissées par le régime d'Assad

                                               Hani Hazaimeh

Au fur et à mesure des violences, des rapports ont indiqué que des hommes armés sunnites, perçus comme loyaux au nouveau gouvernement, ont commencé à cibler les communautés alaouites, historiquement considérées comme des bastions du loyalisme d'Assad. Le bilan humain de ces affrontements est accablant: 428 alaouites, 120 combattants pro-Assad et 89 membres des forces de sécurité ont trouvé la mort. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques; ils représentent l'approfondissement des clivages au sein de la société syrienne, où l'identité sectaire est de plus en plus instrumentalisée, tant par les acteurs locaux que par les puissances extérieures. La violence viscérale du moment rappelle que la Syrie reste un État fragmenté, qui s'efforce de surmonter des années de guerre civile et les profondes cicatrices laissées par le régime d'Assad. Mais c'est aussi le reflet de la façon dont des acteurs extérieurs comme l'Iran façonnent discrètement le conflit pour servir leurs propres objectifs géopolitiques.

L'Iran a longtemps été un allié clé du régime Assad, lui apportant un soutien militaire, économique et politique pour le maintenir au pouvoir. Cependant, avec la chute d'Assad, l'Iran a changé de tactique. S'il continue de soutenir les partisans de la ligne dure du régime, il aurait également incité à l'agitation parmi les divers groupes sectaires de Syrie.

Des rapports crédibles suggèrent que les milices soutenues par l'Iran ont joué un rôle central dans le déclenchement des récentes violences. Un incident particulièrement alarmant s'est produit dans le village de Basnada, à Lattaquié, où trois individus ayant des liens avec l'Iran ont été surpris en train de tenter d'enlever un homme d'un village majoritairement sunnite. Leur objectif était de le tuer au sein d'une communauté alaouite afin de déclencher de nouvelles violences entre les deux sectes. Les auteurs ont reconnu leurs actes, soulignant le rôle stratégique que jouent les mandataires de l'Iran dans l'exacerbation de la violence sectaire.

Ces provocations s'inscrivent dans une stratégie iranienne plus large visant à déstabiliser le pays et à maintenir son influence dans la région en exploitant les divisions sectaires que l'Iran a contribué à créer et à encourager pendant la guerre.

Le rôle de la désinformation dans l'alimentation de cette violence est tout aussi préoccupant. Comme on l'a vu dans les conflits précédents, le pouvoir des réseaux sociaux et de la propagande en ligne ne doit pas être sous-estimé. Dans le cas présent, les campagnes de désinformation coordonnées ont été attribuées à des réseaux opérant sous des noms tels que «Observatoire de protection» et «Observatoire de documentation des violations en Syrie». Ces réseaux, qui auraient des liens avec des entités soutenues par l'Iran, ont diffusé de faux récits et des contenus incendiaires destinés à attiser les tensions sectaires.

En déformant les faits et en amplifiant la peur des menaces perçues, ces acteurs visent à créer un environnement dans lequel la violence semble à la fois justifiée et inévitable. Ces campagnes ne sont pas simplement menées par des acteurs malhonnêtes, mais s'inscrivent dans une stratégie iranienne plus large visant à remodeler le paysage politique de la Syrie, alors même que l'emprise du régime sur le pays s'amenuise.

Les actions de l'Iran dans ces récents affrontements montrent un aspect plus sombre et plus déstabilisant de son implication en Syrie

                                                   Hani Hazaimeh

Cette manipulation des sentiments sectaires et l'exploitation de la peur à des fins politiques s'inscrivent dans le cadre plus large de la lutte régionale pour le pouvoir qui se déroule en Syrie. Alors que l'Iran a soutenu le régime Assad dans le cadre de sa vision plus large de la domination régionale, ses actions dans ces récents affrontements montrent un aspect plus sombre et plus déstabilisant de son implication en Syrie. La violence n'est plus liée à la survie du régime Assad, elle est devenue un champ de bataille pour le pouvoir régional, où les objectifs à long terme de l'Iran peuvent supplanter tout engagement envers la souveraineté de la Syrie. Nous assistons à l'enracinement progressif du sectarisme en tant qu'outil de manœuvre politique, une évolution dangereuse qui menace non seulement l'avenir de la Syrie, mais aussi la stabilité de l'ensemble de la région.

La communauté internationale, en particulier les États arabes, doit porter un regard critique sur cette évolution. L'influence déstabilisatrice de l'Iran en Syrie ne peut se poursuivre sans contrôle, en particulier au moment où le pays est sur le point de connaître une réconciliation et une reconstruction potentielles. Un changement de politique s'impose, qui s'attaque aux causes profondes du conflit sectaire, limite l'ingérence extérieure et permet à la Syrie de panser les plaies de la guerre. Mais pour cela, toutes les parties – internes et externes – doivent être tenues pour responsables du rôle qu'elles ont joué dans la perpétuation de la violence.

En conclusion, les récents affrontements dans la région côtière de la Syrie ne sont pas simplement une lutte interne pour le contrôle, ils sont symptomatiques d'une bataille géopolitique plus profonde et plus complexe. L'Iran cherche à étendre son influence au détriment de la stabilité interne de la Syrie. Pour que la paix règne, l'avenir de la Syrie doit être déterminé par les Syriens eux-mêmes, sans la manipulation de puissances étrangères dont les intérêts divergent souvent des aspirations du peuple syrien.

La voie vers une paix et une stabilité durables en République arabe syrienne peut sembler lointaine, mais avec une pression internationale adéquate et un engagement en faveur du dialogue interne, il est encore possible de forger un avenir où les divisions sectaires ne domineront plus le paysage politique.

Hani Hazaimeh est un rédacteur en chef basé à Amman. 

X: @hanihazaimeh

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com