JENINE: En regardant sa petite-fille dormir dans des logements exigus pour Palestiniens déplacés, Sanaa Chraïm espère une vie meilleure pour le bébé né après le déclenchement de l'opération militaire israélienne d'envergure en cours depuis plus d'un mois dans le nord de la Cisjordanie occupée.
"Je m'inquiète de ce qui va se passer quand les enfants grandiront dans cette réalité de raids constants", dit Mme Chraïm, qui a déjà perdu un fils, membre d'un groupe armé, lors d'une précédente opération de l'armée israélienne, en 2023.
"Il y a eu tellement de raids répétés, ça ne s'arrêtera pas", lâche-t-elle le visage austère, dans une pièce bondée d'un centre associatif de Jénine, ville où la famille s'est réfugiée en janvier.
L'armée israélienne a lancé le 21 janvier une opération visant les groupes armés palestiniens, baptisée "Mur de Fer", dans le nord de la Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967.
Le ministre de la Défense, Israël Katz, a ordonné le 23 février aux soldats de se préparer à un "séjour prolongé" dans trois camps de réfugiés de la zone (Jénine, Tulkarem et Nour Chams) dont les habitants ont été chassés par cette opération.
L'offensive a été lancée deux jours après l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas dans la bande de Gaza, après plus de 15 mois de guerre.
Selon les Nations unies, l'offensive en Cisjordanie a coûté la vie à au moins 39 Palestiniens et déplacé quelque 40.000 habitants. Avant l'opération, 24.000 personnes vivaient dans le camp de réfugiés de Jénine.
"Il n'y a plus rien"
Originaire de ce camp, Mme Chraïm et sa famille partagent avec environ 80 habitants déplacés des locaux exigus dans un immeuble de la ville. Parmi eux, Thaer Mansoura, en fauteuil roulant en raison d'une ostéoporose, passe son temps dans la cour avec d'autres déplacés.
Il a été évacué du camp de réfugiés dans une charrette, après la destruction des rues par des bulldozers de l'armée. "Nous avons enduré tout ce que nous pouvions. Mais avec tant d'enfants, ceux de mes frères, de nos voisins, de mes cousins, nous n'avions pas d'autre choix que de partir", a-t-il dit à l'AFP.
Il raconte que sa famille est restée trois jours chez elle pendant que l'eau, l'électricité et les lignes téléphoniques étaient coupées. Sans compter le bruit des explosions, des tirs et des hélicoptères, ainsi que les appels des drones de l'armée demandant aux habitants d'"évacuer leurs maisons", détaille-t-il.
Aujourd'hui au centre associatif, M. Mansoura ne voit aucune issue: "Nous sommes toujours coincés ici, il n'y a pas d'endroit où nous pouvons retourner".
A cinq kilomètres de là, plusieurs zones du camp de Jénine sont en ruines. Les rues étroites sont désertes, envahies de décombres de maisons dont les façades ont été arrachées par des bulldozers de l'armée, constate un correspondant de l'AFP depuis les abords du camp. Les murs sont criblés de centaines d'impacts de balles et des auvents de boutiques noircis par le feu.
"La peur est en moi"
Au centre-ville de Jénine, la vie a repris son cours malgré la présence militaire, et les magasins habituellement fermés pendant les offensives de l'armée ont rouvert.
"Normalement, après une opération, tout est fermé. Mais cette fois-ci, c'est différent", dit à l'AFP le gérant d'un magasin de vêtements, qui raconte aussi les difficultés économiques auxquelles la population est confrontée.
De retour au centre associatif, Nathmi Turkman tient le seul objet qu'il a pu emporter avant de s'enfuir: une tour Eiffel miniature, cadeau qu'il a choisi pour sa valeur sentimentale.
Agé de 53 ans, cet homme a passé plusieurs années dans des prisons israéliennes et porte encore les stigmates d'une précédente opération militaire à Jénine qui lui rappelle la deuxième Intifada -- le soulèvement palestinien au début des années 2000 -- une balle tirée en 2002 et toujours dans sa chair.
Pour les personnes qui n'ont pas été témoins des événements de la seconde Intifada, l'opération israélienne actuelle "est choquante", dit le quinquagénaire. "Mais pour nous qui avons vécu 2002 avec les chars et les avions militaires il n'y a pas de différence (...): il s'agit toujours de la même occupation", ajoute-t-il.
A bout de nerfs, Mme Chraïm raconte, elle, avoir été prise de panique la veille lorsque la poussette dans laquelle se trouvait sa petite-fille s'est renversée dans un parc proche du camp de réfugié, avant de se rendre compte que le bébé allait bien: "La peur est en moi et je ne peux pas m'en débarrasser."