LE CAIRE : L'arrivée au pouvoir en Syrie d'islamistes ayant chassé le président Bachar al-Assad suscite l'inquiétude de l'Égypte, un peu plus de dix ans après la prise de pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi, qui a renversé les Frères musulmans.
L'Égypte a soutenu M. Assad jusqu'au dernier moment, et maintenant, avec les islamistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) au pouvoir depuis le 8 décembre, elle s'inquiète des répercussions potentielles de ce changement sur la Syrie dans son ensemble.
« Pour l'Égypte, cela suscite bien sûr de l'appréhension, notamment en raison de l'histoire de la Confrérie des Frères musulmans dans le pays », explique Merissa Khurma, directrice du programme pour le Moyen-Orient au centre de réflexion Wilson Center, basé à Washington.
Plusieurs autres pays arabes ont rapidement pris contact avec les nouvelles autorités de Damas, tandis que Le Caire a fait preuve d'une plus grande prudence.
Après avoir déclaré soutenir le pouvoir de Bachar al-Assad trois jours seulement avant d'être évincé, le ministre des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a attendu trois semaines avant d'appeler son nouvel homologue syrien et d'exhorter les autorités de facto à faire preuve d'inclusivité.
Samedi, un avion cargo égyptien a atterri à l'aéroport de Damas pour la première livraison d'aide humanitaire du Caire depuis la chute d'Assad, a indiqué le ministère égyptien des Affaires étrangères.
- « Chiffon rouge » -
Dans les jours qui ont suivi la chute d'Assad, les déclarations de M. Sissi étaient on ne peut plus mesurées : « Ceux qui prennent les décisions en Syrie sont les citoyens du pays. Ils peuvent soit la détruire, soit la reconstruire », a-t-il déclaré devant des personnalités des médias affiliés à l'État.
« La réaction de l'Égypte a été extrêmement prudente », a déclaré à l'AFP Mirette Mabrouk, chercheuse au Middle East Institute, basé à Washington. Selon elle, les lignes rouges de l'Égypte sont la sécurité, les islamistes et les acteurs non étatiques.
« Or, en Syrie aujourd'hui, vous avez au pouvoir des acteurs non étatiques et des islamistes, c'est un chiffon rouge pour l'Égypte », a-t-elle ajouté.
Le Caire a pris des mesures préventives. Selon l'Initiative égyptienne pour les droits de l'homme (EIPR), les forces de sécurité ont arrêté 30 Syriens qui célébraient la chute d'Assad, dont trois risquent l'expulsion.
Les restrictions d'obtention de visas à l'encontre des Syriens, qui sont environ 150 000 à vivre en Égypte, ont également été renforcées.
La télévision d'État a diffusé un montage combinant des scènes de troubles, des exercices militaires et des projets de développement, accompagné d'un discours de M. Sissi en 2017 dans lequel il affirmait que les acteurs à l'origine de la guerre en Syrie pourraient se tourner vers l'Égypte.
Elle a aussi montré une photo du chef du HTS, Ahmed al-Sharaa, aux côtés de Mahmoud Fathi, une figure des Frères musulmans accusée de terrorisme en Égypte.
L'arrivée au pouvoir en Syrie de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) à l'issue d'une offensive éclair ne plaît guère au Caire. Il s'agit d'une coalition islamiste issue d'al-Qaïda et soutenue par la Turquie, alliée fidèle des Frères musulmans.
Elle ravive les souvenirs du règne éphémère d'un an de la Confrérie sous l'ancien président égyptien Mohamed Morsi, et entre en conflit avec l'image de Sissi comme rempart contre l'islamisme.
- Changement de dynamique -
Si le HTS a modéré sa rhétorique, s'est engagé à protéger les minorités et a juré de ne pas « exporter la révolution », le Caire reste sceptique.
La chute d'Assad a aussi bouleversé l'équilibre géopolitique du Moyen-Orient, diminuant l'influence de l'Iran, allié fidèle d'Assad, tout en ouvrant la voie à la Turquie, soutien de longue date de l'opposition syrienne.
Pour l'Égypte, ce changement de dynamique alimente les craintes de voir la Turquie, avec laquelle les relations se sont récemment améliorées après des années d'exécrabilité, devenir le plus puissant allié de la Syrie, compte tenu de la rivalité entre Le Caire et Ankara.
Le Caire ne peut toutefois pas se permettre de rester à l'écart éternellement. Les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, ont déjà pris contact avec les nouveaux dirigeants syriens.
Mais pour Le Caire, tout rapprochement est censé être assorti de conditions. Le Caire insiste avant tout sur un partage du pouvoir qui empêcherait les islamistes de monopoliser le pouvoir, note Mme Mabrouk.