La communauté internationale doit s’engager auprès des nouveaux dirigeants de la Syrie

Sans engagement international, les nouveaux dirigeants de Damas risquent de retomber dans leurs vieilles habitudes révolutionnaires. (File/AFP)
Sans engagement international, les nouveaux dirigeants de Damas risquent de retomber dans leurs vieilles habitudes révolutionnaires. (File/AFP)
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Publié le Jeudi 12 décembre 2024

La communauté internationale doit s’engager auprès des nouveaux dirigeants de la Syrie

La communauté internationale doit s’engager auprès des nouveaux dirigeants de la Syrie
  • L'économie syrienne est en ruine, car les fonctionnaires du régime se sont partagé les maigres richesses du pays, complétées par les revenus de la contrebande, des ventes de Captagon et de la vente de leur influence
  • Les nouveaux dirigeants ont hérité d’un pays déchiré géographiquement, politiquement, économiquement, ethniquement et religieusement

Il est probablement trop tôt pour annoncer la fin du conflit syrien, même si le départ de Bachar Assad constitue un point d’inflexion important. Il est pratiquement impossible de parler avec certitude de la fin d’un régime qui a dirigé la Syrie pendant 61 ans et s’est livré à des violences et à des violations flagrantes des droits de l’homme presque dès le premier jour, laissant une population aigrie et assoiffée de vengeance.

En 1963, un coup d’État perpétré par des militaires baasistes a renversé le gouvernement démocratiquement élu de la Syrie. Il a dirigé le pays d’une main de fer. En 1970, l’un de ces officiers, Hafez Assad, a chassé ses collègues et a dirigé seul la Syrie jusqu’à sa mort en 2000. Au cours de ces années, des dizaines de milliers de Syriens, Libanais, Palestiniens et autres ont été tués par ses forces de sécurité, ont disparu ou ont été portés disparus. Pendant son règne, j’ai participé à un projet visant à documenter ces violations, dont l’énormité dépassait l’entendement en termes de dépravation et de cruauté. Il est difficile de décrire le profond dégoût que de nombreux Syriens et Libanais ont ressenti à l’égard de Hafez Assad en raison de ses crimes, d’autant plus qu’ils ont été contraints de lui déclarer leur loyauté indéfectible et de chanter ses louanges.

Toutefois, les péchés du père pâlissent en comparaison avec ceux de son fils, Bachar, qui lui a succédé en 2000 et qui a dirigé la Syrie jusqu’au début de cette semaine. Il a surpassé son père en commettant des crimes innommables contre l’humanité. On estime que des centaines de milliers de personnes auraient été tuées, disparues ou torturées et ruinées à vie. Pendant son règne de terreur, près de la moitié de la population syrienne s’est retrouvée sans abri dans son propre pays ou a été contrainte de chercher refuge à l’étranger.

L'économie syrienne est en ruine, car les fonctionnaires du régime se sont partagé les maigres richesses du pays, complétées par les revenus de la contrebande, des ventes de Captagon et de la vente de leur influence. De grandes parties du territoire échappent depuis longtemps au contrôle du gouvernement central, y compris les zones de production pétrolière. Les institutions de l'État ont été conçues pour servir principalement Bachar Assad, sa famille et ses proches associés.

L'économie syrienne est en ruine, car les fonctionnaires du régime se sont partagé les maigres richesses du pays.

                                                     Abdel Aziz Aluwaisheg

Les nouveaux dirigeants ont hérité d’un pays déchiré géographiquement, politiquement, économiquement, ethniquement et religieusement. Assad n’est plus là, mais la plupart de ses partisans sont probablement toujours en Syrie. La Russie, la Turquie et les États-Unis y ont tous des forces et soutiennent différentes factions. De nombreux groupes ethniques et religieux ont leurs propres revendications territoriales, contestant la prérogative du gouvernement central en matière de contrôle et d’intégrité territoriale. En outre, les groupes triomphants sont une coalition composée de différentes factions, dont certaines se sont fait la guerre.

Israël teste également les nouveaux dirigeants et tente de les provoquer. Selon les déclarations, il a lancé cette semaine des centaines de raids aériens pour détruire les armes et les équipements militaires de la Syrie.

Peu expérimentées en matière de gouvernance, les milices qui ont chassé Assad pourraient ne pas être en mesure de réparer à elles seules tout ce qui est cassé en Syrie. Elles ont dit beaucoup de bonnes choses, mais les mettre en œuvre est une autre affaire, tout comme instaurer la discipline dans leurs rangs. La communauté internationale doit les aider.

Par le passé, de nombreux pays ont fait preuve d’un soutien considérable au peuple syrien, en donnant généreusement lors des conférences des donateurs, dont la dernière – la conférence de Bruxelles sur le thème “Soutenir l’avenir de la Syrie et de la région”, la huitième de ce genre depuis de début de la crise en 2011 – s’est tenue en mai. La neuvième conférence pourrait se tenir dans un avenir proche afin d’accélérer l’aide à la Syrie, maintenant que les restrictions imposées par Assad à l’acheminement de l’aide ont été levées. Cette fois, elle pourrait également inclure des engagements en faveur de la stabilisation et du relèvement rapide, qui sont tous deux nécessaires pour aider les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays à rentrer chez eux.

Peu expérimentées en matière de gouvernance, les milices qui ont chassé Assad pourraient ne pas être en mesure de réparer à elles seules tout ce qui est cassé en Syrie.

                                                           Abdel Aziz Aluwaisheg

La Conférence internationale des amis de la Syrie, active dès les premiers jours de la crise, constitue un cadre supplémentaire pour mobiliser le soutien au peuple syrien. Elle s’est réunie à plusieurs reprises et a formé un certain nombre de groupes de travail. Ses membres ont fluctué, mais elle a toujours compris des pays comme l’Égypte, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Jordanie, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et les États-Unis. Des organisations telles que l’ONU, le Conseil de coopération du Golfe, l’UE, la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique y ont également participé. Tous ces anciens membres du groupe n’ont pas besoin d’adhérer dès le départ; certains peuvent avoir reconsidéré leur position. Une fois réunis sous une forme ou une autre, les Amis de la Syrie pourraient former des groupes de travail, comme dans la première version, axés sur la politique, l’assistance économique, la sécurité et l’État de droit.

Sans engagement international, les nouveaux dirigeants de Damas risquent de retomber dans leurs vieilles habitudes révolutionnaires, qui ne sont pas la meilleure façon de gouverner un pays fracturé comme la Syrie ou de naviguer dans les relations internationales compliquées auxquelles le pays doit faire face.

S’ils sont livrés à eux-mêmes, les révolutionnaires pourraient suivre d’autres exemples récents. Comme nous le savons, le renversement de Saddam Hussein en 2003 n’a pas mis fin aux problèmes de l’Irak, pas plus que le fait de se débarrasser d’Omar Bashir n’a mis fin aux problèmes du Soudan.

Sans engagement international, le peuple syrien pourrait découvrir qu’il a échangé le régime d’Assad contre un régime similaire. Comme l’a écrit George Bernard Shaw dans “L’homme et le surhomme”, “Les révolutions n'ont jamais allégé le fardeau de la tyrannie, elles l'ont seulement transféré sur une autre épaule”.

Ou bien des luttes intestines peuvent s’ensuivre, comme c’est trop souvent le cas lorsque les révolutions triomphent et que la concurrence s’intensifie. Le révolutionnaire français Georges Danton a déclaré en 1794: “La révolution, comme Saturne, dévore ses propres enfants”, lorsqu’il a commencé à s’opposer à l’usage excessif de la violence et qu’il a été condamné à mort pour cela.

Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas nécessairement celles du CCG. X : @abuhamad1

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.