S'appuyant sur une longue histoire de coopération en matière de sécurité, l'Arabie saoudite et la Grande-Bretagne élargissent leur collaboration dans le but de réaliser de multiples objectifs économiques et politiques dans le cadre du partenariat stratégique annoncé lors de la visite du prince héritier Mohammed ben Salmane au Royaume-Uni en mars 2018. Un conseil conjoint a été créé lors de cette visite pour «s'engager dans un partenariat plus approfondi et plus stratégique en vue de renforcer les intérêts mutuels». Ce partenariat repose sur quatre piliers: l'engagement politique, sécuritaire, économique et interpersonnel. Après les fermetures en raison de la Covid-19, des progrès considérables ont été réalisés au niveau des quatre piliers, mais surtout dans la collaboration en matière de sécurité. Il faut en faire davantage concernant les trois autres.
Le 28 mars, l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni ont signé plusieurs accords de sécurité à Londres lors d'une réunion entre le ministre saoudien de l'Intérieur, le prince Abdelaziz ben Saoud ben Nayef, et la ministre britannique de l'Intérieur, Suella Braverman. Plus tôt, toujours en mars, le secrétaire britannique à la Défense, Ben Wallace, s'est rendu en Arabie saoudite pour rencontrer son homologue saoudien, le prince Khaled ben Salmane, et signer des accords de défense. Le 13 décembre, les deux pays ont également signé à Londres un plan de coopération en matière de défense. Ensemble, ces accords, ententes et visites définissent le partenariat de sécurité croissant entre l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni.
Les relations politiques et sécuritaires des deux pays remontent au XVIIIe siècle, après que la Grande-Bretagne a établi ses bureaux de résidence du Golfe en 1763 pour gérer sa présence croissante et faire face à l'influence saoudienne dans le Golfe. Leur relation était une relation de concurrence, parfois d’hostilité, et demeura ainsi jusqu'au déclenchement de la Première Guerre mondiale, lorsque la Grande-Bretagne donna la priorité à la fin de la domination ottomane dans la région. Il fallait pour cela gérer cette concurrence et désamorcer les sources de conflits, notamment les conflits frontaliers.
Cela a été réalisé grâce à l'accord de Darin de 1915, suivi de l'accord d'Uqair de 1916. Ces deux accords ont été remplacés par le traité plus étendu de Djeddah de 1927, qui a ouvert la voie à une relation de coopération plus pacifique. Il y a eu depuis lors des désaccords, notamment sur la question palestinienne, et même des affrontements armés, mais les deux parties ont de façon générale maintenu d’étroites relations de coopération au cours des cent dernières années.
Le mois dernier, Wallace a réitéré «l'engagement indéfectible» du Royaume-Uni à coopérer avec l'Arabie saoudite pour soutenir la stabilité et la sécurité régionales. Il a fait référence à la «longue histoire de la collaboration en matière de défense entre le Royaume-Uni et l'Arabie saoudite» ainsi qu’à la détermination pour un renforcement de leur capacité à «répondre aux problèmes de sécurité communs pour les décennies à venir». Une déclaration conjointe publiée le 2 mars a souligné le «désir commun d'une collaboration industrielle plus étroite, pour développer les capacités essentielles et favoriser la prospérité dans les deux pays, notamment en appuyant les objectifs de la Vision 2030 de l’Arabie saoudite».
L'objectif principal de cette relation est de «soutenir la stabilité et la sécurité régionales» dans le Golfe, sachant que les deux pays cherchent également à maximiser leurs avantages en s'attaquant à d'importants objectifs économiques. Pour l'Arabie saoudite, stimuler les industries militaires dans le pays même est l’un des objectif clés de sa Vision 2030, qui vise à réduire la dépendance du Royaume au pétrole, à diversifier son économie et ses échanges commerciaux et à développer les secteurs des services publics. Une partie de la Vision 2030 consiste à établir sur place les industries de la défense avec l'objectif qu'au moins 50% des dépenses d'équipement militaire soient nationales d'ici 2030. Les dépenses militaires de l'Arabie saoudite dépassent actuellement 50 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro), dont la plus grande partie est consacrée à l'achat d'armes à l'étranger.
Pour le Royaume-Uni, ces accords font partie d'une initiative visant à encourager une plus grande collaboration industrielle mondiale. Les accords de défense avec l'Arabie saoudite ont fait suite à un accord visant à étendre les efforts conjoints avec l'Italie dans les domaines spatial et cybernétique, et à la collaboration sur le Global Combat Air Programme pour construire un avion de combat de la sixième génération. Les accords avec l'Arabie saoudite pourraient inclure un programme aérospatial conjoint similaire.
Le ministère britannique de la Défense a dernièrement déclaré qu'il souhaitait «encourager l'innovation dans nos activités et attirer de nouveaux fournisseurs non traditionnels à tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement de la défense. Nos clients dans le domaine militaire ont mis l'innovation en tête de leur programme, et nous nous attendons à ce que cela se reflète dans leurs besoins futurs.» L'objectif de trouver des chaînes d'approvisionnement nouvelles et inexploitées dans l'industrie de la défense est en grande partie conforté par les progrès de la technologie et des compétences techniques.
L'Arabie saoudite est logique en tant que choix de collaboration dans le domaine de l'industrie de la défense axée sur la technologie. La Vision 2030 a accordé la priorité à l'innovation et, selon un rapport du cabinet de conseil londonien GlobalData, les résultats de l'Arabie saoudite en matière de brevets ont récemment été meilleurs que la plupart de ses voisins. En 2021, les Saoudiens ont obtenu 34,6 brevets par million d'habitants, suivis par Israël (12,5) et l'Égypte (0,9).
Le partenariat avec les principales entreprises saoudiennes et britanniques pourrait être le moyen le plus rapide de mettre en place les autres chaînes d'approvisionnement que les deux parties recherchent dans l'industrie de la défense axée sur la technologie. À titre d’exemple, une partie de l'accord saoudo-britannique signé le 2 mars consiste à entreprendre une étude visant à déterminer quels domaines de collaboration pourraient valoir la peine d'être poursuivis dans le secteur de la filière aéronautique.
Le Conseil de partenariat stratégique saoudo-britannique, annoncé en mars 2018, visait à renforcer ce partenariat dans tous les domaines. Les exigences de la sécurité régionale ont voulu que soit donnée la priorité à cet aspect des relations, mais comme nous l'avons vu dans les récents accords de défense et de sécurité, les deux parties cherchent également à inclure des objectifs économiques, notamment la présence sur le territoire national des industries de défense, et l'investissement dans des solutions de sécurité axées sur la technologie.
«Les deux parties ont de façon générale maintenu d’étroites relations de coopération au cours des cent dernières années.»
Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Les progrès en matière d'engagement interpersonnel ont également été impressionnants, soutenus par le retour des étudiants et des touristes. Le tourisme, en particulier, a été stimulé par l'assouplissement des règles concernant les visas. L'Arabie saoudite a accordé des visas à l'arrivée aux visiteurs britanniques, et le Royaume-Uni a accordé des exemptions de visas aux touristes saoudiens demandant une entrée unique ainsi que pour les visites d'affaires de courte durée. Mais il reste encore du travail à faire pour les étudiants et les visiteurs de longue durée afin d'encourager les hommes d'affaires des deux côtés à voyager plus fréquemment et à rester plus longtemps quand cela s’avère nécessaire.
Davantage de travail est particulièrement nécessaire pour atteindre l'objectif du partenariat stratégique consistant à stimuler le commerce et les investissements dans les deux sens. L'économie croissante de l'Arabie saoudite est alimentée par les investissements, aussi bien publics que privés, locaux et étrangers. En 2022, l'économie saoudienne a franchi une étape historique en dépassant 1 000 milliards de dollars en biens et services, ce qui en fait l'économie à la croissance la plus rapide au monde et la plus grande économie régionale. Les investissements britanniques pourraient contribuer à cette renaissance.
Réciproquement, les investissements saoudiens, de même que d'autres investissements du Golfe, pourraient aider à donner une impulsion à l'économie britannique à la suite de son ralentissement actuel, conséquence du Brexit.
Une façon de stimuler le commerce et les investissements serait de créer une plus grande prise de conscience des opportunités disponibles dans les deux économies, ainsi qu'une volonté de réduire rapidement les obstacles au commerce et aux investissements.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, et chroniqueur à Arab News.
Twitter: @abuhamad1
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com