PARIS: L’Etat de barbarie est tombé.
C’est par ces mots que le président français Emmanuel Macron s’est félicité de la chute du président syrien Bachar Al Assad, et sa fuite en Russie.
Le constat est sévère, totalement en rupture avec le langage diplomatique.
Mais il colle réellement à l’essence du régime et de la dynastie sanguinaire d’Al-Assad, qui a asservi pendant de très longues décennies le peuple syrien, sans parler de sa mainmise sur le peuple libanais voisin.
Il est vrai que le président français n’a eu à aucun moment des contacts avec ce régime autoritaire et mafieux, il n’a pas eu non plus à subir les déceptions liées à ses mensonges et ses fausses promesses, contrairement à ses prédécesseurs, dont Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy.
Cette transition elle-même interpelle, sera-t-elle à la hauteur des problèmes et des défis ?
Les Syriens, soudés pour l’instant par la joie
Les relations diplomatiques entre Paris et Damas sont rompues depuis mars 2012, suite à la répression sanglante du soulèvement populaire par le régime.
Avec son effondrement, la France ne peut que suivre de près mais avec vigilance l’évolution de la situation, elle ne peut en même temps que se réjouir de la liberté enfin retrouvée du peuple syrien.
Les gages de bonne volonté donner par le chef de de Hayat Tahrir Al-Sham « HTS », Mohamed Al Joulani, concernant les minorités et les libertés individuelles sont de bon augure, mais seront-ils tenus sur le long terme ?
Les Syriens, soudés pour l’instant par la joie qu’ils ont laissé exploser suite à la fuite du despote, se reconnaîtront-ils dans la transition qui est amorcée ?
Cette transition elle-même interpelle, sera-t-elle à la hauteur des problèmes et des défis ?
Quels seront ses contours et sa finalité…et pourra-t-elle éviter à la Syrie de succomber au chaos et aux déchirements ?
Interrogé à ce sujet par Arab News en français, le chercheur en philosophie politique et enseignant universitaire à Paris Rami Alkhalifa Alali semble vouloir considérer le verre à moitié vide.
Sans récuser les difficultés qu’aura à affronter le régime qui se met en place, il s’en remet à la volonté internationale.
Il est évident pour Alali « qu’il existe une volonté internationale de renverser le régime d’Assad », et les rebelles du « HTS » et les autres mouvements armés « ont provoqué ce changement, minutieusement préparé ».
C’est ce qui explique selon lui la facilité inimaginable et imprévisible avec laquelle le pouvoir a basculé, en dépit de sa férocité traditionnelle et qui s’apparente à « une transmission plutôt qu’à une prise de contrôle par la force militaire ».
D’autre part, on ne peut que constater la mue effectuée par Joulani lui-même, « son discours sophistiqué et modéré » et « sa manière propre d’administrer les affaires des villes, tel qu’on l’a vu à Alep » par exemple.
Alali s’arrête particulièrement à «sa manière d’approcher les minorités par le biais d’un discours national et non un discours idéologique » contrairement à ceux adoptés généralement par les mouvements islamistes.
Inquiétudes
En même temps souligne Alali, au lieu de provoquer l‘ébranlement des institutions, Al Joulani « s’est précipité pour maintenir les ministres et les responsables à leurs postes, en attendant la formation d’un organe de transition dont-il sera lui-même l’épine dorsale ».
La question maintenant estime Alali est de « savoir quelle est la nature de cet organe de transition et sa forme » concédant que ceci reste à éclaircir.
L’autre question est de savoir quelles seront ses relations avec les autres groupes d’opposition, notamment la « Coalition Nationale Syrienne » dont les membres tardent à rentrer en Syrie « ce qui soulève des questions quant à leur éventuelle participation à la phase transitoire » et qui signifie que « le HTS semble être le principal acteur sur le terrain ».
L’inquiétude principale concerne la possibilité d’éviter le chaos, sachant que le « HTS a prouvé jusqu’à présent sa capacité à contrôler la situation »
Cela dit, il estime que la nouvelle situation suscite quand même des inquiétudes, pour les Syriens et pour ceux qui s’intéressent à la Syrie.
L’inquiétude principale concerne la possibilité d’éviter le chaos, sachant que le « HTS a prouvé jusqu’à présent sa capacité à contrôler la situation ». Les troupes rebelles se sont déployées dans Damas pour maintenir l’ordre tout comme elles l’avaient fait auparavant dans les autres villes comme Alep où Homs.
Par ailleurs, tout au long de sa progression dans le pays, le « HTS » a multiplié les messages positifs à l’adresse de la population, mais est ce que c'est suffisant s’interroge Alali avant d’ajouter « je ne crois pas. Je crois que nous avons besoin de temps pour s’assurer de la nature nationaliste et pour constater l’application pratique de ce discours sur le terrain et sa capacité à préserver les libertés et les minorités ».
Il s’agit là d’un défi majeur qui consiste à assurer la cohésion entre les différentes régions du pays, la région contrôlée par les Kurdes Syriens, celles contrôlées par des factions rebelles et celle de la communauté alaouite à laquelle appartient la famille Al-Assad.
Un échec à ce niveau, viendra renforcer le spectre de la partition du pays concède Alali avant de s’en remettre à nouveau à la volonté de la communauté internationale.
« Ceux qui ont amené le changement et la chute du système, ne semblent pas vouloir diviser la Syrie » affirme-t-il.
Le désir de coopération avec les minorités et la tolérance pratiquée envers les responsables de l’ancien régime n’augure pas d’après Alali, tout au moins pour le moment, « d’une volonté d’affrontement entre les alaouites et les sunnites qui sont maintenant au pouvoir ».