PARIS: Les bancs des quatre groupes de la coalition gouvernementale sont clairsemés à l'Assemblée depuis le début de la discussion budgétaire, signe d'une forme de "démobilisation" à l'heure où le budget s'écrit ailleurs, qui pourrait in fine faire le jeu des oppositions.
Cette défection, encore vérifiée lundi pour l'ouverture du débat sur le budget de la Sécurité sociale, a suscité railleries et colère à gauche et à l'extrême droite.
Le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian "avant de s'en prendre à l'absentéisme des fonctionnaires, devrait se poser la question de l'absentéisme de ses propres députés", a ironisé lundi matin sur France Inter le coordinateur de LFI Manuel Bompard, alors que le gouvernement vient d'annoncer son projet de moins bien indemniser les jours d'arrêt maladie des fonctionnaires.
Par leur absence, ces parlementaires laissent "finalement l'extrême gauche, La France insoumise, abîmer ce budget", a grondé le vice-président du RN Sébastien Chenu. Absentéisme "inadmissible", a tonné le président du MoDem François Bayrou, au grand dam de ses propres troupes.
Interviewé sur BFMTV, le député Renaissance Karl Olive a assumé de ne "pas faire le concours Lépine du plus présent à l'Assemblée nationale, quand on n'a pas grand chose à y faire de façon concrète" et qu'on peut "être beaucoup plus efficace sur le terrain".
Les armes du parlementarisme rationalisé laissent en effet peu d'espace aux députés pour influer réellement sur les textes budgétaires, en l'absence de majorité à l'Assemblée: si les débats se prolongent trop, l'article 47 permet à l'exécutif de transmettre les projets de loi de finance au Sénat, où la majorité est désormais acquise au gouvernement, sans que l'Assemblée les ait votés.
Et le 49.3, dont le gouvernement devrait faire usage pour l'adoption finale des textes, lui permet de choisir en toute liberté les amendements qu'il veut conserver.
"En fait, le vrai budget va être fait au Sénat", pointe un élu du "socle commun" à la Chambre haute. Les députés "se disent +de toute façon ça va être le 49.3, rien ne sera retenu, on s’en fout, pourquoi y gâcher un samedi soir+", résume-t-il sans fard.
Une source au sein du groupe Renaissance souligne que beaucoup de députés mènent des négociations en coulisse, avec le gouvernement ou les sénateurs. Et dit ne pas redouter de retombées négatives dans l'opinion face aux bancs vides du bloc central. "Ca n'a pas vraiment passé le mur du son".
Plus dommageable serait le spectacle des défaites inévitables du camp gouvernemental, si LR et les macronistes menaient franchement bataille, plaide-t-elle. "Le fait qu'on soit peu là banalise" les victoires de l'opposition, pense-t-elle.
- "Perte de sens" -
Un cadre RN estime, lui, que les députés du camp gouvernemental "ont tort" de se montrer si peu présents. "Les gens considèrent que les députés, pour voter le budget, doivent être dans l'hémicycle".
Interrogé par l'AFP, le constitutionnaliste Benjamin Morel dit comprendre leur attitude à titre individuel.
"Ils ont plutôt intérêt à se désolidariser" d'un budget qui ciblent leurs électeurs, les catégories socio-professionnelles supérieures et les retraités, et à "jouer sur le seul paramètre sur lequel ils peuvent jouer, leur ancrage local", souligne-t-il.
Mais ce comportement "nourrit des discours anti-parlementaires".
Surtout, les oppositions peuvent sortir "vainqueurs de la séquence", estime M. Morel.
Le RN en jouant la carte du "sérieux", de la "crédibilité", de la "protection des catégories que (la coalition gouvernementale, ndlr) est réputée représenter: les retraités, les classes moyennes".
Et la gauche, qui peut apparaître comme le camp de "l'alternance", avec "un projet construit en matière budgétaire". Au milieu, "le camp du sauve-qui-peut", sans chef clairement identifié pour "tenir les grenouilles dans la brouette", décrit-il.
Auprès de l'AFP, un député Renaissance estime que l'absentéisme de ses collègues "n'a rien d'étonnant", et qu'il se manifeste dans l'hémicycle mais aussi en commission ou en réunion de groupe. "Je ne connais pas un collègue qui sache précisément où on va, pourquoi et avec qui", dit-il, évoquant une "perte de sens" et même une forme de "burn-out".
"L’origine du problème, c’est qu'à aucun moment ni Michel Barnier ni nous n’avons essayé de conclure un accord politique (...) et donc il n’y a pas de sens, pas de direction", soupire-t-il.