PARIS: Coup de frein ou coup d'arrêt ? L'incertitude politique qui règne en France entraîne un certain "attentisme" des ménages et des entreprises, mais elle ne devrait pas précipiter le pays dans la "récession", jugent plusieurs économistes interrogés par l'AFP.
Pour Andreas Eisl, chercheur en politique économique européenne à l'Institut Jacques-Delors, "s'il y a une situation d'incertitude ou d'instabilité politique, ça a généralement un effet négatif, notamment sur l'investissement" des entreprises.
Invité jeudi sur RTL, le président de l'Union des entreprises de proximité (U2P) Michel Picon s'est joint aux cris d'alerte d'autres organisations patronales quant à l'impact du blocage politique sur les embauches et les projets des entreprises.
"La situation crée de l'attentisme et de l'inquiétude dans le bâtiment, dans le secteur des professionnels de santé, dans toutes les petites entreprises", s'est-il inquiété.
"Les choses ne sont pas catastrophiques" mais "il ne faut pas que ça dure", a poursuivi M. Picon.
Responsable de la recherche économique sur les pays de l'OCDE chez BNP Paribas, Hélène Baudchon "entend bien ce discours des patrons d'entreprises".
"Mais quand on regarde les déterminants de l'investissement ou de l'emploi", la politique d'un gouvernement "n'est pas du tout le déterminant principal", nuance-t-elle.
"Ce qui compte pour les entreprises, ce sont les débouchés" liés à leurs investissements, argumente-t-elle.
Au-delà des entreprises, l'impact de l'incertitude politique sur la consommation des ménages, carburant essentiel de la croissance française, est "très complexe" à évaluer, souligne Andreas Eisl. Depuis le Covid, la propension des Français à épargner plutôt qu'à consommer s'est en effet nettement renforcée, indépendamment du contexte politique.
L'Insee a fait état vendredi d'une légère progression de 0,3% sur un mois de la consommation des ménages en juillet, après une baisse de 0,6% en juin.
Le climat des affaires s'est lui partiellement redressé en août après un plongeon en juillet, même s'il reste légèrement inférieur à sa moyenne historique.
Si l'absence de visibilité sur la composition et les orientations du prochain gouvernement peut effrayer, l'économiste d'ING Philippe Ledent assure qu'"il ne faut pas exagérer l'impact d'une telle situation."
« Légère croissance »
"Nous ne sommes pas dans des économies planifiées (...) Tout ne dépend pas du secteur public" et de la politique gouvernementale, souligne-t-il.
L'Insee, dont les prévisions font référence en France, table sur une croissance de 0,5% au troisième trimestre, largement soutenue par l'accueil des Jeux olympiques et paralympiques, et un léger repli de 0,1% du PIB au quatrième.
ING s'attend à une croissance modeste au cours des prochains mois mais M. Ledent n'imagine pas que la crise politique puisse provoquer une "récession".
BNP Paribas tablait en juillet sur une hausse de 0,3% du PIB au troisième trimestre et de 0,4% au quatrième trimestre, avant une mise à jour de ses prévisions attendue prochainement.
Mme Baudchon reconnaît que la France "est dans une période de flou. Mais ça ne va pas jouer de manière significative sur nos prévisions de croissance", certifie-t-elle.
M. Eisl est du même avis. "Pour l'instant, au vu des données économiques, je ne vois pas changer drastiquement la trajectoire économique du pays, qui est quand même (orientée, NDLR) vers une légère croissance."
Celle-ci pourrait d'ailleurs être soutenue par des baisses de taux de la Banque centrale européenne (BCE), alors que l'inflation est repassée sous les 2% en août pour la première fois depuis 2021 en France comme en Allemagne.
Pour Ruben Nizard, responsable de l'analyse des risques sociopolitiques chez l'assureur-crédit Coface, "isoler l'impact (économique, NDLR) d'un évènement précis - en l'espèce une incertitude politique - est" de toute façon "assez compliqué".
Les conséquences économiques du blocage politique dépendront "beaucoup du temps que durera cette incertitude", poursuit-il.
Préparation du budget 2025, présentation d'un plan de désendettement national à la Commission européenne, actualisation de la note de crédit de la France par les trois agences de référence... Les échéances économiques seront nombreuses à l'automne.
"Compte tenu des équilibres" issus des législatives - trois blocs politiques dépourvus de majorité incontestable -, Ruben Nizard s'attend à des discussions "très difficiles" au Parlement sur le projet de loi de finances.
"Là, il y aura probablement un peu de volatilité" économique, suppute-t-il.