Le régime iranien fait face à la pire crise depuis son arrivée au pouvoir après la révolution de Khomeini en 1979. Aucun analyste ne pourrait remettre en question ce constat. Par le passé, le régime a affronté des tribulations, mais disposait d’alternatives stratégiques lui permettant de les surmonter sans pertes catastrophiques, ou plus précisément, avec des dommages limités.
Le régime iranien a été victime d’une humiliation et d’une dégradation nationale totales avec l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh en plein cœur de Téhéran, sans la moindre capacité d’affronter ou de riposter d’une manière qui restaurerait ne serait-ce qu’une once de son prestige et de sa dignité.
Dr. Salem AlKetbi
Cependant, cette fois la crise semble radicalement différente. Le régime iranien a été victime d’une humiliation et d’une dégradation nationale totales avec l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du mouvement terroriste du Hamas en plein cœur de Téhéran, sans la moindre capacité d’affronter ou de riposter d’une manière qui restaurerait ne serait-ce qu’une once de son prestige et de sa dignité. En effet, une telle réponse aurait des répercussions encore plus sévères.
L’ahurissement du régime iranien après l’assassinat de Haniyeh a été plus vif que les répercussions du crash de l’hélicoptère de l’ancien président Ebrahim Raïssi et de la confirmation de son décès ainsi que de ses compagnons. Le défi de cette opération d’assassinat est manifeste et l’affrontement sur le terrain du renseignement est direct et ouvert, frappant la capacité du régime à sauvegarder le pays et battant en brèche toutes ses assertions répétées ces dernières années sur son niveau d’avancement militaire et technologique.
Après tout, on ne peut faire confiance à un régime incapable de protéger une modeste pièce dans un complexe résidentiel central gardé par ses milices qui sèment la terreur au Moyen-Orient, pour protéger ses hauts dirigeants chez lui et à l’étranger et encore moins pour protéger ses alliés et ses armes disséminés dans la région.
Il est évident, à suivre les réactions, que l’assassinat de Haniyeh a ouvert la voie aux railleries à l’encontre du régime iranien, réputé pour sa poigne de fer sur ses citoyens, au sein même du pays. Son prestige s’est effondré et sa dignité nationale a été bafouée, transformant son discours continu sur la défense de l’Iran en objet de moquerie pour des millions de gens ordinaires souffrant des conditions économiques et des restrictions sécuritaires.
Pour la première fois, le régime iranien se trouve dans l’incapacité d’apporter une véritable réponse militaire qui restaurerait sa fierté, d’autant que la mise en scène menée en réaction au ciblage du consulat iranien à Damas n’a convaincu personne. Au contraire, elle est devenue un sujet de ridicule et de moquerie envers le régime et ses dirigeants. Comment pourrait-il réagir cette fois, face à une brèche du renseignement israélien qui a visé l’intérieur iranien ?
Les mollahs recourent typiquement au principe de la Taqiya, ou réalisme et pragmatisme politiques, invoquant l’intérêt public et les équilibres politiques et stratégiques. Ils affichent le contraire de leurs intentions, se réfugiant dans leurs pensées et leurs fantasmes qui leur dépeignent ce qu’ils désirent au lieu d’affronter la réalité qu’ils fuient.
Dr. Salem AlKetbi
De toute évidence, les hauts dirigeants iraniens, menés par le guide suprême Ali Khamenei, nourrissent un désir profond et authentique de riposter et de se venger. Cependant, ce désir est totalement distinct de la capacité à le traduire en actes sur le terrain, étant donné l’ampleur des coûts potentiels de véritables représailles qui assureraient le rétablissement de la fierté nationale pour ce régime dont la seule préoccupation est la survie et la pérennité. Le sort du régime est la véritable boussole de tout comportement iranien. Il n’y a ici aucune consolation pour les victimes, qu’il s’agisse d’un chef des Gardiens de la révolution, du deuxième homme de facto du régime, d’un président victime d’un mystérieux crash aérien ou du leader d’une des milices iraniennes les plus vitales au Moyen-Orient.
Face à de tels prédicaments ardus, les mollahs recourent typiquement au principe de la Taqiya, ou réalisme et pragmatisme politiques, invoquant l’intérêt public et les équilibres politiques et stratégiques. Ils affichent le contraire de leurs intentions, se réfugiant dans leurs pensées et leurs fantasmes qui leur dépeignent ce qu’ils désirent au lieu d’affronter la réalité qu’ils fuient.
En effet, ils ont un besoin crucial de répit puisque les humiliations dont est victime le régime iranien pendant cette période constitue, selon les médias d’opposition iraniens, une dégradation historique et internationale face à son soi-disant ennemi juré, Israël. Cela le place dans l’inextricable dilemme, sans échappatoire possible, équivoque ou prétexte, maintenant que le régime a usé tous ses tours et ses écrans de fumée et que son incapacité ou sa réticence à s’engager dans un affrontement direct avec un ennemi est devenue évidente.
Deux options – inévitables – s’offrent à lui : la première est le silence, qui saperait ce qu’il reste de sa crédibilité auprès de ses partisans, avocats et obligés régionaux ; la seconde est la réponse fracassante promise par l’un de ses dirigeants, avec des répercussions qui pourraient mener à la chute du régime lui-même ou du moins ouvrir la voie à un soulèvement populaire guettant le moment de s’affranchir de l’emprise des milices sécuritaires pour fondre sur ce qui reste de l’influence du régime.
La vérité crue est que l’ébahissement prévaut, notamment parmi les observateurs et chercheurs, face à ce niveau ahurissant de faiblesse et de laxisme sécuritaire indigne d’un État se présentant à tous comme un paradigme de défiance envers l’hégémonie et l’influence occidentales, et autres slogans idéologiques brandis par la révolution iranienne depuis plus de quatre décennies.
Plus bizarre encore que ces brèches catastrophiques à répétition est la capacité du régime à couvrir et dissimuler les faits, sans réaliser les conséquences de ce silence sur sa crédibilité et l’ampleur des dommages pour sa réputation et sa perception dans la région et internationalement. Il persiste à nier les preuves de la faiblesse et des défaillances de ses systèmes sécuritaires, de même que son incapacité limitée à retracer les causes afin d’éviter d’éventuels conflits entre les piliers du régime et l’implication possible de hauts responsables dans ces brèches.
Salem AlKetbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.