La récente visite du président russe Vladimir Poutine en Chine a été l’événement le plus marquant de ces dernières années dans les relations internationales. Elle a de profondes implications stratégiques compte tenu du poids et de la position de ces deux alliés. En outre, elle a eu lieu juste après la tournée européenne du président chinois Xi Jinping en France, en Serbie et en Hongrie.
Il n’est pas surprenant que les milieux américains se méfient de tout rapprochement sino-russe, qu’ils considèrent comme un pas en avant vers le renforcement d’une alliance anti-américaine. Aucune des deux parties n’essaie d’ailleurs de le cacher.
Les statistiques sont éloquentes : les dirigeants chinois et russes se sont rencontrés 40 fois en 15 ans de relations personnelles, depuis 2009, lorsque Xi était vice-président. La visite d’État de Poutine marque le début de son cinquième mandat présidentiel. En réalité, l’Occident mène une bataille perdue d’avance contre les mastodontes russe et chinois.
Il affronte la Russie en Ukraine, la provoquant militairement au point de forcer Moscou à adopter une attitude nucléaire, alors que les dirigeants occidentaux menacent de déployer des forces en Ukraine. Les tensions sont si fortes que le président Biden a mis en garde contre l’utilisation potentielle d’armes nucléaires tactiques par Poutine, estimant qu’il s’agissait d’un danger réel.
Quant à la Chine, elle doit faire face à des accusations incessantes de pratiques commerciales portant atteinte à l’ordre économique mondial et à des vagues de sanctions occidentales - la dernière en date étant la guerre des puces - visant à forcer les banques chinoises à rompre leurs liens commerciaux avec Moscou.
Pourtant, Pékin n’a pas l’intention d’abandonner son solide partenariat stratégique avec la Russie. En fait, il a joué un rôle de bouée de sauvetage économique après les sanctions occidentales majeures qui ont frappé la Russie à la suite de l’opération 2022 en Ukraine, notamment le gel des réserves de devises, la restriction de l’accès aux technologies occidentales et l’expulsion de SWIFT.
Malgré cela, l’économie russe a rebondi avec une croissance de 3,6 % en 2023, dépassant celle des États-Unis et de l’Europe. La Chine a également refusé d’appliquer les sanctions occidentales, devenant au contraire le premier importateur de combustibles fossiles et exportateur de technologies, de puces, de drones et de toutes sortes de produits chinois, des voitures aux smartphones.
Le commerce bilatéral a atteint 240 milliards de dollars, soit une hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Ces échanges renforcent les deux économies, mais portent également un coup fatal au dollar américain, car ils sont effectués en renminbi par l’intermédiaire de systèmes de paiement chinois opaques, qui échappent à la surveillance des Occidentaux.
Le seul recours de Washington est de renforcer les sanctions tout en accusant Pékin de soutenir l’effort de guerre de Moscou en Ukraine par des livraisons militaires.
L’un des principaux avantages stratégiques pour les deux pays est de renforcer leurs économies contre le découplage avec l’Occident si un nouvel ordre multipolaire se mettait en place sans être lié à la coopération et au commerce mondialisés. La Chine exploite habilement le vide géostratégique massif laissé par l’absence quasi-totale de l’Amérique sur la scène mondiale.
Alors qu’il entame sa dernière année de présidence, un Biden boiteux fait une fixation sur le bourbier de Gaza, incapable de coordonner, de parvenir à un accord ou de convaincre le gouvernement de Netanyahou des points de vue américains dans ce conflit catastrophique.
Pendant ce temps, Pékin réorganise habilement ses cartes mondiales, préparant le terrain pour un éventuel retour de Trump tout en reconstruisant les liens avec l’Europe - où les dirigeants observent avec anxiété à la fois le spectre de Trump et la trajectoire du conflit ukrainien, craignant une victoire militaire potentielle de la Russie, alors que l’Europe ne trouve aucun moyen de pression sur le Kremlin, à l’exception de la médiation chinoise.
Le président Poutine a salué le partenariat sino-russe « sans limites », prêt à approvisionner de manière abordable et fiable l’économie, les entreprises et les villes chinoises en énergie, en lumière et en chaleur respectueuses de l’environnement.
Il a également insisté sur l’approfondissement de la coopération dans les domaines de la haute technologie et de l’innovation en mettant en commun les capacités scientifiques afin d’occuper une place de premier plan au niveau mondial.
Tout en faisant preuve d’une plus grande retenue rhétorique à l’égard de l’Occident et en définissant ses relations comme un partenariat et non comme une alliance, la Chine indique clairement que ses liens avec la Russie ne visent personne, mais qu’ils défendent la justice, le droit et la démocratie.
Pourtant, ce calme dément les efforts conjoints visant à saper les sanctions occidentales par le biais d’une architecture financière alternative et d’institutions telles que l’Organisation de coopération de Shanghai et les BRICS.
Avec des relations à un niveau sans précédent, les options comprennent l’utilisation de ces blocs contre les sanctions, l’ouverture de discussions sur la sécurité eurasienne avec des compagnons de route, et la poursuite d’une « double résistance » pour dissuader le « double endiguement » de Washington qui vise à entraver une réalité multipolaire.
Soulignant l’inquiétude des Etats-Unis, le porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, a averti que la Russie et la Chine cherchaient à remettre en cause l’ordre international d’une manière qui contredisait les intérêts de Washington, et a promis que les Etats-Unis les surveilleraient de près.
Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com