NEW YORK: Tribunes assassines du New York Post, appel à la démission du Wall Street Journal, critique ouverte du président sur Fox News: les médias américains de l'empire de Rupert Murdoch s'en prennent tous, pour la première fois, à Donald Trump, tout en cherchant à préserver ses partisans et ménager leur audience.
Depuis le soir de l'élection présidentielle, un début de rupture s'était opéré, au moins aux yeux de milliers de supporteurs du président sortant, qui accusaient Fox News de l'avoir abandonné.
Mais les éditorialistes conservateurs de la chaîne d'information, comme ceux du New York Post ou du Wall Street Journal, tous contrôlés par le magnat Rupert Murdoch, lui étaient restés fidèles, relayant inlassablement sa thèse d'une fraude électorale à grande échelle.
Le front s'est effondré comme jamais depuis 2016, après l'intrusion mercredi de partisans du président dans l'enceinte du Capitole, «une journée d'infamie» dont «Trump est responsable», selon l'éditorialiste du Post Michael Goodwin.
«Cette semaine marque probablement la fin» de Donald Trump» comme figure politique sérieuse», ont écrit les responsables des pages opinion du Wall Street Journal. «Il serait mieux pour tout le monde, y compris pour lui, qu'il s'en aille», dès maintenant.
«Ils ont peur que Trump soit allé trop loin», selon Mark Feldstein, professeur de journalisme à l'université du Maryland. «Donc ils mettent de la distance entre lui et eux.»
«Ils ont créé un monstre digne de Frankenstein et ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes», dit-il.
Même Tucker Carlson, le second présentateur le plus regardé aux Etats-Unis, a accusé jeudi soir sur Fox News le président d'avoir «dangereusement encouragé» ses ouailles à marcher sur le Capitole.
Mais Rupert Murdoch «cherche à la fois à prendre ses distances et à ne pas offenser le public» du président, analyse Matt Jordan, professeur de médias à l'université Penn State. «C'est une danse amusante» à laquelle se livrent donc les grands médias conservateurs.
«Nous sommes toujours d'accord avec ses idées», a expliqué Tucker Carlson, dans un exercice d'équilibriste dont il a le secret, «mais à un moment donné, (...) est-ce qu'un seul président mérite tout ce temps et cette attention?»
Une question d'argent
Après les événements historiques de mercredi, «il est possible que (Trump) perde quelques soutiens, mais sa base lui est quand même restée fidèle depuis 2016» malgré scandales et polémiques, souligne Jon Marshall, professeur à l'université Northwestern.
«Ils veulent ces téléspectateurs», martèle Mark Feldstein. «Il ne s'agit pas d'idéologie, mais d'argent, d'audience, de profits.»
La manoeuvre est d'autant plus délicate pour Fox News qu'une nuée de petits acteurs, de Newsmax à One America News Network (OAN), lui grappillent des parts de marché, en faisant dans la surenchère pro-Trump. Depuis l'élection, elle est régulièrement battue par CNN, qu'elle piétinait depuis des années.
Avec l'investiture de Joe Biden, Jon Marshall s'attend à une réorientation éditoriale au profit d'«attaques contre les démocrates», pour «cristalliser la colère» des conservateurs.
A l'unisson, les trois superstars de Fox News, Tucker Carlson, Sean Hannity et Laura Ingraham, se sont déjà engagées sur cette voie, accusant les démocrates d'instrumentaliser les incidents de mercredi pour diaboliser l'électorat républicain.
«Le discours d'unité de Biden était une arnaque depuis le début», s'est emportée Laura Ingraham jeudi soir. Pour elle, Joe Biden et Kamala Harris «envoient le signal» d'une «période de représailles contre les supporteurs du président Trump».
Mais, prévient Mark Feldstein, «Biden promet d'être assez ennuyeux», et les chaînes d'information «vont être tentées de donner à Trump beaucoup plus de temps d'antenne qu'il ne le mérite, y compris après son départ de la présidence».
Et cette équation ne se limite pas qu'à Fox News. CNN et MSNBC, ses deux grands concurrents, résolument plus à gauche, vont «avoir encore plus de mal» après le 20 janvier, annonce Jon Marshall. CNN a ainsi enregistré la meilleure audience de son histoire mercredi.
La présidence Biden pourrait-elle être l'occasion d'une couverture davantage centrée sur les dossiers et les grands enjeux de politique publique que sur les tweets et autres polémiques?
«La télévision n'a jamais été bonne pour couvrir des sujets politiques sérieux, et ça ne va pas changer maintenant», livre, sans concession, M. Feldstein. «La télévision est bonne sur l'émotion, le conflit, les personnalités. C'est pour ça que Trump était un tel nectar pour elle».