Lors de sa récente visite d’État en France, le président chinois Xi Jinping avait dans ses bagages un important programme de discussions avec l’Europe. Son voyage l’a également conduit en Serbie et en Hongrie, signe de l’intérêt de la diplomatie chinoise pour la revitalisation des relations avec l’Europe, près de cinq ans après la dernière visite officielle du président chinois.
Le choix de ces trois étapes n’était pas motivé par des considérations politiques, mais s’inscrivait dans le cadre de l’intérêt économique de la Chine pour l’Europe. La Hongrie est l’une des principales destinations d’investissement de la Chine en Europe, où des entreprises chinoises construisent la plus grande usine de batteries d’Europe et se préparent également à construire la première usine automobile chinoise en Europe sur le sol hongrois. Il existe également une coopération sino-française dans le domaine des voitures électriques. Le fait que le président Xi Jinping ait choisi Paris comme première étape de son voyage en Europe est révélateur à plusieurs égards, notamment parce que cette visite coïncide avec le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre Paris et Pékin, un anniversaire qui symbolise l’indépendance du processus décisionnel français vis-à-vis des relations avec les États-Unis.
Cela revêt une importance particulière aujourd’hui à la lumière de la campagne des États-Unis visant à mettre en garde contre l’influence surpuissante de la Chine sur les économies européennes, et également à la lumière de l’insistance du président Emmanuel Macron sur une politique étrangère française relativement indépendante à l’égard de la Chine. Il avait précédemment déclaré : « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes[,] adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». M. Macron a également suscité la controverse lorsqu’il a déclaré que l’Europe ne devait pas être un « vassal » des États-Unis en cas de conflit avec la Chine au sujet de Taïwan. M. Macron a appelé les pays européens à adopter une position indépendante dans les différends entre les États-Unis et la Chine, ce qui a incité certains médias américains à l’accuser d’affaiblir les capacités de dissuasion de l’Occident face à la Chine.
La visite du Président Xi Jinping en France a comporté une approche significative exprimée par la promesse du Président chinois d’ouvrir les marchés aux entreprises occidentales.
- Salem AlKetbi
Pékin observe certainement avec intérêt la tendance de Macron à toujours donner une dimension européenne aux relations de la France avec la Chine, puisqu’il a veillé à ce que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, assiste à sa rencontre avec le président chinois à Paris, un sommet trilatéral qui n’est pas sans importance.
Malgré les différends commerciaux majeurs entre les deux parties et les préoccupations européennes concernant les flux d’exportations chinoises bon marché et les menaces potentielles pour la sécurité nationale, l’Europe semble actuellement avoir besoin d’un rôle actif de la part de la Chine pour contenir la guerre en Ukraine.
Cela est d’autant plus vrai que cette guerre est dans l’impasse et que les États-Unis sont préoccupés par les élections présidentielles et la crise de Gaza, qui s’est aggravée au point de compromettre les chances du président Biden d’obtenir un second mandat.
La Chine, qui a récemment accueilli le chancelier allemand Olaf Scholz et le secrétaire d’État américain Blinken et qui se prépare à la prochaine visite du président russe Vladimir Poutine, peut en effet être un acteur clé dans la résolution de la crise ukrainienne, d’autant plus qu’elle souhaite jouer ce rôle. Toutefois, cet intérêt s’est jusqu’à présent heurté à la volonté de l’Occident, emmené par les États-Unis, d’infliger une défaite militaire à la Russie en Ukraine. Cette ambition a été tempérée par la réalité sur le terrain, car la possibilité d’une défaite militaire de l’Ukraine semble désormais inquiétante compte tenu de l’avancée continue de l’armée russe.
La visite du Président Xi Jinping en France a comporté une approche significative exprimée par la promesse du Président chinois d’ouvrir les marchés aux entreprises occidentales, son discours sur la compréhension des risques posés par la crise ukrainienne aux Européens et la réaffirmation par son pays de son engagement en faveur de la coexistence pacifique entre les États.
Dans son message économique à la France, Xi Jinping a déclaré que la Chine souhaitait introduire davantage de produits agricoles et de cosmétiques français de haute qualité sur le marché chinois afin de répondre à la demande croissante d’un meilleur mode de vie.
Le dirigeant de la deuxième économie mondiale a réaffirmé que son pays travaillera avec la France pour maintenir l’esprit qui a prévalu lors de l’établissement des relations diplomatiques et pour promouvoir le partenariat stratégique global entre les deux pays.
Dans l’ensemble, l’Europe semble avoir atteint un point où elle ne souscrit pas entièrement à la position américaine, qui appelle à l’isolement ou au découplage économique de la Chine, tandis que la position européenne vise à réduire les risques de concurrence économique et à continuer à considérer la Chine comme un partenaire, un point de vue réitéré par la France, qui appelle à un équilibre économique garantissant un commerce durable et un bénéfice mutuel.
En réalité, la position française sur les questions commerciales est conforme à celle des autres pays européens, mais diverge sur les questions de sécurité. Les Européens continuent de penser que l’OTAN et les États-Unis sont seuls capables de garantir la sécurité européenne. Cependant, la France de Macron n’est pas la seule à ne pas isoler la Chine, puisqu’il y a aussi la Hongrie, où le président chinois s’est également rendu.
L’actuel Premier ministre Viktor Orban semble être l’un des plus proches amis du Parti communiste chinois en Europe. Il est favorable à une orientation vers l’Est et à la réduction de la dépendance de son pays à l’égard du commerce avec l’Ouest, au profit de la Chine et de l’Est.
Orban est même allé jusqu’à signer des accords de contre-espionnage avec la Chine, permettant à la police chinoise de patrouiller dans le pays pour faciliter la poursuite des transfuges chinois en Europe. La Hongrie est également devenue la première destination des investissements commerciaux chinois en Europe centrale, en signant un accord de coopération avec la Chine dans le cadre de l’initiative la Ceinture et la Route et en recevant 7,6 milliards de dollars de Pékin pour financer la ligne ferroviaire à grande vitesse Budapest-Belgrade, le projet phare de la Ceinture et la Route en Europe. Un nouveau projet de construction d’un oléoduc entre la Hongrie et la Serbie a également été annoncé dans le cadre de l’initiative. M. Orban a été le seul membre de l’UE à assister au troisième forum la Ceinture et la Route, qui s’est tenu à Pékin en octobre dernier.
À mon avis, toutes ces démarches diplomatiques ne sont pas très éloignées de calculs politiques dans le contexte des chances croissantes de l’ancien président Trump de remporter la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, avec tous les changements et fluctuations possibles de la politique étrangère américaine que cela implique, que ce soit à l’égard de la Chine ou des partenaires européens.
Salem AlKetbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com